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JP Roland, directeur des Eurocks : « Booba, c’est quoi le problème ? »

Avec Arcade Fire, Justice ou Phoenix, le cru 2017 des Eurockéennes s’annonce de premier ordre. Il sera aussi très marqué rap français, avec la présence de Booba et PNL. Mais aussi Alkpote, Lorenzo et Bon Gamin. Si tous les pontes du rap hexagonal sont déjà passés par Malsaucy (IAM, NTM, Solaar), c’est peut-être la première édition proposant deux tels poids lourds. Deux artistes qu’on voyait jusqu’à présent très peu en festivals (voire pas du tout pour Booba). Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes, s’en explique.

Avec PNL et Booba, l’édition 2017 comporte deux mastodontes du rap français. Cela était déjà arrivé par le passé ?

Les Eurocks et le rap français, c’est une longue histoire. Dès 1993, le festival invite MC Solaar et sa clique. Un des temps fort de cette édition. Depuis, il y a régulièrement eu des têtes d’affiches rap sur le site de Malsaucy : NTM, IAM, Oxmo Puccino, La Rumeur, Kerry James, Abd Al Malik, Nekfeu, Seyfu… Bref, on a toujours programmé du rap français.

Je me souviens notamment qu’en 1993 avec le concert de Solaar, certains râlaient et disaient qu’un DJ sur scène, ce n’était pas un musicien. Aujourd’hui c’est l’autotune que certains vont critiquer, notamment sur PNL. Sauf que Kanye West en fait depuis des années. Il s’agit juste de pratiques et de techniques qui évoluent.

L’an passé, il n’y avait peut-être pas de grosses têtes d’affiche mais on faisait quand même VALD et MHD sur la troisième scène (La Plage). Quelques mois après, s’il fallait les reprogrammer, ces deux rappeurs seraient sur la grande scène. D’ailleurs, MHD, on aurait quasiment pu le mettre dès l’été dernier sur la grande scène.

Proposer une programmation hip-hop, et notamment français, cela s’est fait naturellement pour les Eurocks ?

Il faut comprendre qu’on est un festival isolé dans notre région. Et l’une de nos missions, c’est de proposer aux passionnés de musique des artistes rares pour eux. Or, les artistes hip-hop sont rares dans notre région. Comme partout en France, les salles (notamment les SMAC) ne proposent que très peu de concerts rap : les rappeurs US sont trop chers et le rap français a une mauvaise image.

Pourtant, la montée en puissance du rap français dans le paysage musical, on la ressent depuis longtemps, depuis le début des années 90. Mais cette place, désormais très forte du rap, ne se traduit que très peu dans la programmation des salles françaises.

En 2017, y-a-t-il encore un risque de bashing, de la part du public ou des pros, en programmant PNL et/ou Booba ?

C’est sûr que c’est plus facile de programmer NTM ou Cypress Hill, qui font plus consensus, notamment dans le public rock. Curieusement, Booba a déclenché beaucoup plus d’insultes que PNL.

Du côté des pros, dans une très large majorité, ils sont plutôt contents, et curieux, de découvrir Booba dans un tel événement. Pour PNL, l’histoire n’est pas banale. La première offre, on l’a faite en 2015. Ce n’était pas pour les Eurocks mais pour notre festival Generiq. Et déjà, à cette époque, tous les pros étaient dessus. Mais dans le même temps, quand on regardait les clips du groupe, cela faisait ricaner une partie de l’équipe, totalement allergique. Mais on sentait qu’il y avait quelque chose. Puis c’est monté en puissance. Et aujourd’hui, clairement, il y a un style PNL qui s’est imposé dans le paysage musical français.

Au final, en 2015, nous n’avions pas réussi à les faire venir. Mais on a été tenaces et on est ravis de les avoir cette année.

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« On est là pour prendre le pouls des musiques populaires. Et aujourd’hui, c’est le hip-hop. C’est lui qui dit quelque chose de nos sociétés. « 

Un mec comme Booba pèse énormément depuis longtemps. Mais c’est seulement cette année, avec sa venue aux Eurocks, qu’il est programmé sur un festival.

Ce qu’il faut savoir, c’est que Booba, depuis longtemps, avait manifesté son envie de jouer en festival, et notamment aux Eurockéennes. Mais c’est le genre de personnage clivant, qui même en interne, ne fait pas consensus. Étrangement, sur des artistes américains aussi connus, cela pose beaucoup moins de questions en interne. Il y a toujours une vision un peu « quartier » qui fait chier la majorité. Et nous, on a pas envie de faire un festival « pop rock bien tranquille »

Mais ce côté clivant, on l’a retrouvé au niveau de notre public. Et même sur le site et les réseaux de Booba, certains fans ne comprenaient pas son choix de se produire dans un festival dit de rock. C’est l’artiste qui a le plus déclenché d’hostilité sur nos réseaux sociaux. Il y a eu plus de 4 000 commentaires et on a du faire pas mal de modération car certains étaient plus que limites. Clairement, il y a eu quelques discours aux relents racistes : tu pouvais remplacer le mot Booba par étranger. Et le mot Eurocks par France. Et tu avais clairement des discours racistes. On a eu droit à des réflexions du type : « C’est la culture chicha qui s’incruste aux Eurocks ».

Le problème, c’est quoi ? Un artiste death métal, même ultra sulfureux, n’aurait pas fait un tel bad buzz. Des mecs comme Orelsan en 2009 ou certains groupes de ragga jamaïcain ne sont plus programmés en festivals car ces événements pratiquent une auto-censure. Mais le côté sulfureux et controversé fait partie de l’ADN de la musique. Si les Eurocks avait existé en 1977, est-ce que le festival aurait programmé les Sex Pistols ? Je dirais que oui. Cela a toujours été l’esprit des Eurocks.

On est là pour prendre le pouls des musiques populaires. Et aujourd’hui, c’est le hip-hop. C’est lui qui dit quelque chose de nos sociétés. Sa résonance est partout. Se priver de ce pan culturel, cela n’aurait pas de sens pour moi. Booba, c’est aux Francofolies de Montréal qu’il est invité, pas à celles de la Rochelle. Pourquoi ? C’est quoi le problème en France ?

On ne veut pas que les Eurocks deviennent un festival de papas/mamans.

Les Lorenzo, Alkpote et Alaclair témoignent d’une tendance de plus en plus forte dans le rap à l’auto-dérision. Ça t’inspire quoi ?

Pour moi, Lorenzo, il est plus proche de Bérus que de la trap music. Je sais même plus si on est dans le rap. Est-ce que Lorenzo, ce n’est finalement pas du rock ? C’est foutraque. C’est l’évolution du courant hip-hop. Et aux Eurockéennes, on le suit. D’ailleurs, les gamins qui écoutent ces artistes ne se posent même pas la question de savoir s’ils écoutent du hip-hop.

L’aspect financier compte aussi : un rappeur français, même très populaire, coûtera toujours moins qu’une star internationale.

Le marché des artistes anglo-saxons est mondial, surtout dans l’esthétique pop rock. Arctic Monkeys, s’ils tournent une année, tous les festivals d’Europe vont chercher à les programmer. Donc logiquement, la loi de l’offre et de la demande fait qu’ils seront chers. Forcément, un rappeur français, même hyper populaire, sera moins cher. Après, les rappeurs internationaux sont aussi de plus en plus durs à attraper. Kendrick Lamar, cela fait trois ans qu’on essaie. En vain.

Du coup, on cherche plutôt à les programmer avant leur explosion. En même temps, quand on a fait Kanye West ou même Jay Z, cela n’a pas ramené tant de monde que ça par rapport à leurs cachets. On est très fiers et heureux de les avoir programmés. Mais on ne l’a pas fait pour faire tourner la billetterie à plein régime.

Programmer du rap français, c’est aussi une façon de faire venir un public plus jeune ?

La dernière étude sur les publics des Eurocks date de 2014. A l’époque, on avait constaté une hausse de la moyenne d’age (désormais de 27/28 ans contre 23/24 auparavant). Mais en parallèle de ce phénomène, on constatait aussi une part de plus en plus importante de jeunes festivaliers, voir très jeunes (collégiens). En fait, une partie du public vieillit avec le festival, et continue de lui être fidèle. On est très fiers de ça. Et un nouveau public arrive. Et c’est tant mieux, car on ne veut pas que les Eurocks deviennent un festival de papas/mamans. Cette année, on va donc refaire une étude en se concentrant sur ce nouveau public, à savoir jeune et n’ayant pas plus de deux éditions à son actif. Cette attention sur les nouveaux publics se reflète donc dans le fait qu’on soit très attentifs aux nouveaux courants artistiques. Sans pour autant programmer des bidules qui musicalement ne nous parlent pas.

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