A l’aube de sa deuxième décennie, le Binic Folks And Blues Festival (BFBF) a la voix qui change, la peau criblée de boutons rouge et blanc et des poils qui poussent au-dessus des lèvres. Ça y est, le voilà entré dans l’adolescence. Le voilà dans la cour des grands.
22h15, dimanche 28 juillet. Sur la terrasse qui surplombe la scène de la Banche, comme penchés au-dessus d’un gigantesque berceau, des membres de la Nef D Fous (l’association qui organise le festival) assistent à la transformation de leur bébé. Quelques mètres plus bas, des centaines de personnes, épaule contre épaule, attendent que les Sleaford Mods, tête d’affiche du festival, montent sur scène. La foule est si dense qu’on n’y voit plus ses propres chaussures. « J’ai jamais vu Binic comme ça », confie un festivalier. En effet.
C’est que le BFBF qui passait, il y a quelques années à peine, pour l’un des secrets les mieux gardés du rock’n’roll, a bien grandi. Une bouche, une oreille. Une bouche, une oreille. Et paf : onze ans plus tard, 70.000 personnes foulent le sable de Binic. 10.000 de plus qu’il y a un an et un record absolu pour le festival. Et on n’a vu personne se plaindre de ce succès populaire — à l’exception, peut-être, du maire de cette petite station balnéaire de moins de 7.000 habitants.
N’empêche, que de chemin parcouru, que d’étapes franchies ! Pour résumer : la première édition du festival a lieu en 2009 avec 1.500 personnes ; le BFBF change de dimension en 2012 en invitant Ty Segall ; un an plus tard, en 2013, il fait jouer Thee Oh Sees, monte une troisième scène et accueille 15.000 personnes ; le premier camping festivalier est ouvert en 2015 et le premier parking (un vrai tournant) en 2019.
Les bookmakers du rock au tapis
2019, année de la maturité ? Si maturité est synonyme de rentabilité, alors, non certainement pas. A Binic, on ne transige pas avec les valeurs : gratuité et exigence artistique sont toujours les maîtres-mots. Et ils le resteront selon Ludovic Lorre, le boss du festival — un homme de parole à en juger par la force de sa poigne.
Mais, à défaut d’être rentable, le BFBF a fini par acquérir une certaine stabilité financière. Après avoir bouclé son budget 2018 au ras des pâquerettes et déjoué les pronostics des bookmakers du rock, qui commençaient déjà à creuser sa tombe, le festival a décidé de faire appel à la générosité de son public. A vot’ bon cœur, m’sieurs dames : avec un objectif de crowdfunding de 10.000€ rempli sur le gong, le BFBF peut (un peu) voir venir.
Elle est loin l’époque où les membres de la Nef D Fous se dépatouillaient avec quelques billets de 100, quelques paires de bras (tatoués) louées gratuitement et une dizaine de cerveaux en ébullition qui se demandaient ce que, diable, ils venaient faire là-dedans.
Comme un ado qui fait tourner son pet’
En réalité, les enjeux financiers, il s’en cogne comme de sa première branlette. Tout ce qui l’intéresse, lui, c’est la musique. Le BFBF n’est pas mature, il est un adolescent en quête de sensations fortes. Quand il a un peu d’argent de poche, il s’empresse de le dépenser pour faire jouer ses groupes préférés. En faisant croquer ses potes — et ils sont nombreux — au passage.
Le BFBF ressemble à ses artistes (et inversement) : il a les cheveux longs et gras, il porte une épaisse veste en cuir qui recouvre d’immenses tatouages et arbore un sourire large et affable. Il n’est pas ce gamin renfrogné qui méprise ses camarades qui ont succombé aux sirènes de l’époque — hip-hop et électro. C’est que la culture ça se partage, voyez-vous.
Alors, une fois par an, il ouvre grand les bras et offre de bon cœur ses trois scènes, peuplées d’une cinquantaine d’artistes triés sur le volet, à un public qui n’en demandait pas tant. Comme un ado qui fait tourner son pet’, il partage ses coups de cœur et ses trouvailles les plus obscures. Cette année, Mod Con, par exemple. Un trio féminin de Melbourne dont le post-punk n’est pas sans rappeler celui de Bench Press, l’une des révélations du BFBF cuvée 2018 — australienne, elle aussi.
Guadal Tejaz, aussi. Un peu comme leurs copains de Kaviar Special il y a un an, les Rennais sont en territoire conquis. Un peu comme eux, ils jouent un rock psychédélique bruyant et énervé. Mais, sans vouloir faire offense aux premiers, le son de Guadal Tejaz est plus riche et plus varié : il est enrichi d’une bonne dose de (post-)punk et jongle adroitement entre les références, de Joy Division à Talking Heads. Et puis, avec son « Discoliztli », le groupe tient un tube imparable. La foule apprécie. Elle peut.
Citons enfin les Schizophonics et Pat Beers, son chanteur-guitariste. Tel Pete Townshend branché sur 100.000 volts — c’est dire —, le leader de ce trio californien court partout, bondit, fait le grand écart, se pète la gueule, fait tomber sa guitare, la ramasse pour la brandir à bout de bras. Et ainsi de suite. Lui aussi ressemble au BFBF : il est dingue.
Un type qui n’a jamais grandi
Le festival sait aussi gâter son public (et l’appâter) avec quelques noms plus connus : Sleaford Mods, donc, mais aussi Cannibale ou King Khan. Ce dernier, tiens. Le portrait craché du BFBF ! Un type qui n’a jamais grandi, qui ne demande qu’à se marrer et faire marrer ses potes. Un type généreux, à la fois fidèle à lui-même et constamment à la recherche de nouvelles sensations, de nouveaux frissons.
Pour sa deuxième visite dans les Côtes d’Armor, le King du garage est venu avec ses Louder Than Death. Un groupe formé notamment avec les bordelais de Magnetix. Des habitués du festival, eux aussi, puisqu’ils y ont déjà joué quatre fois. Vêtu d’un slip pailleté dans lequel il fourre allègrement son micro (à l’arrière comme à l’avant), King Khan livre une performance pleine de mauvais goût en prenant garde à ne pas trop en faire — il n’a pas sorti sa teub, quoi. C’est qu’il y a des enfants dans le public. Dont le sien, puisque sa fille, Saba Lou, était également programmée par le festival.
Il y aurait encore tant à dire, tant d’exploits de festivalier à conter et tant de groupes à saluer. Mais là n’est pas l’important. Tout ce qui importe, c’est que le BFBF est vivant. Vive le BFBF.
Photo en une : King Khan, par Alex Lianeris
??? STEAL SHIT DO DRUGS !!! ???
Y a longtemps que j’avais coché Binic et bien je suis encore sur mon nuage : que de belles prestations et quelle ambiance … Ce festival m’a permis de voir pour la première fois une de mes idoles : Tim Rogers alors …
Coup de coeur pour Draught Dodgers, St Morris, Schizophonics, Prettiest Eyes : pas grand chose à jeter hormis peut être la fille du King, perdue sur cette grande scène …
Un point d’amélioration peut être la restauration du soir : trop d’attentes et la scénographie peut mieux faire
I ll be back !
J ai adoré les guadal tejaz et en particulier discolizti..le top , les guitaristes et le batteur top top…Merci a binic , super festival.
BRAVO
Une édition au top, qui renoue avec l’esprit « folk-blues » qui manquait aux deux dernières éditions. On a fait 15 concerts et quasiment que du très bon.
Bien déçu par Shifting Sands que j’ai trouvé archi mou du genou. Un comble quand on connaît les prouesses du monsieur.
Après, Gaudal Tejaz est sympas oui. De là à dire qu’ils ont un son « plus riche et plus varié » que les beaux arrangements et le travail au chant de Kaviar Special, … mouai.
c’est le meilleur festival rock de l’univers (voire des Côtes d’Armor) car il n’en a pas seulement la musique, il en a l’esprit !