2019 débute avec une double dose de Bertrand Belin : son troisième roman, « Grands carnivores », est sorti le 24 janvier, suivi de près par son sixième album, « Persona », le 25. On aurait pu commencer plus mal. Avec l’humanisme et l’empathie qui le caractérisent, mais habité par l’inquiétude et la colère que lui inspire une planète pas toujours très chic, Bertrand Belin observe, absorbe, encaisse, et puise joie et réconfort dans le pouvoir des mots qui ne cessent jamais de l’émerveiller. La tentation était trop grande, l’occasion trop belle, on est allés à sa rencontre, et il nous a parlé engagement, violence sociale et langue française.
Le mépris de classe. La déshumanisation du monde du travail. Les violences conjugales. La place des femmes. La révolte qui gronde. Les extrémistes. La condition animale. Les migrants. Tout ça, et tant d’autres choses qui font nos vies. Pas seulement les unes des journaux et des chaînes d’info en continu, mais notre quotidien, parce que ça ne peut pas ne pas nous toucher, parce que si ça ne nous touche pas, c’est qu’on est encore plus mal barrés qu’on le pensait.
Bertrand Belin n’est pas qu’un chanteur. C’est un homme, un citoyen, et lui aussi, il y pense. Ça l’atteint, ça le désole, ça le fait sortir de ses gonds. Alors pour s’éviter de finir « épuisé, ivre au fond d’un bistrot » il écrit. « N’importe quel citoyen négocie entre sa propre vie, ses propres rêves, son besoin de calme et de paix et le fait d’être pris dans le tumulte, d’être spectateur des inégalités et de l’intolérance. Je ne voudrais pas avoir la malhonnêteté de laisser croire que je suis engagé comme si je l’étais 24h/24. Je suis sensible au monde dans lequel je vis, à bien des aspects bouleversants, de la vie des autres, mais je suis aussi sensible aux bouleversements de ma propre vie, je ne témoigne pas comme quelqu’un qui pourrait avoir le courage du militantisme. J’ai trop de respect pour les gens qui sont vraiment engagés, en politique et dans le monde associatif, pour parler d’engagement. Moi, quand j’écris des chansons, je suis une présence, un suppléant, un supplément. Par contre je ne m’interdis pas de communiquer un certain désarroi qui me traverse en tant que personne et citoyen. Je suis chanteur et j’ai la possibilité d’exprimer ces sentiments, mais ce n’est pas parce que je suis chanteur que j’ai ces sentiments ». Ainsi parle Bertrand Belin. Sans prétendre résoudre quoi que ce soit ou détenir une quelconque vérité, mais pour établir un contact, tendre une main, être parmi, être avec.
Dans son nouveau disque Persona comme dans son livre Grands carnivores, les personnages sont esquissés. Ils n’ont pas de nom, mais ils projettent des ombres, des contours. « Il est question de silhouettes, de destins qui s’éveillent, qui se brisent. Le disque est traversé par des présences pas très définies, on ne sait pas si ce sont des hommes ou des femmes. C’est quelque chose d’assez fantomatique. J’ai le souci et le plaisir de donner à voir des situations, des individus posés dans leur environnement, leur biotope, et en très peu de mots, faire comprendre où on se trouve. Après, la personne qui écoute les chansons produit des images qui lui sont propres. Mon mode d’expression repose sur une certaine connivence avec l’auditeur, une complicité. Dans le livre (ndlr : où les personnages sont dépeints uniquement par leurs métiers et liens familiaux : le récemment promu, le fondateur, le peintre, la fille du fondateur, le dompteur, le valet de cage), il y a une forme de caricature, de l’ordre de ce qui existait au temps du cinéma muet. Le banquier avec son chapeau demi haut de forme et son cigare, le boucher avec son tablier… ». Juste assez pour qu’on s’y repère, pas trop pour qu’on s’y retrouve. Des personnages résolument ancrés dans le réel, malgré le prisme de la fiction, malgré leur floutage, leur anonymat.
Ils sont animés, dans Persona, par la voix grave et profonde de Bertrand Belin et par des arrangements bruts et minimalistes. Si on ferme les yeux, on dérive avec eux, au bord d’une l’autoroute, dans l’odeur d’une station-service ouverte la nuit. Leurs destins vrillent, pas toujours dans la bonne direction. Ils évoluent dans le minéral, l’organique, et dans l’urbain en même temps. Ils sont bec, esprit, corps, bronze, lilas.
« La désespérance bat son tambour depuis longtemps, on entend ce battement, on sent cette exaspération, mais tout le monde persiste dans des voies funestes, et soi-même parfois on ne lève pas le petit doigt. Donc à un moment donné, il y a un grand réveil. »
Dans Grands carnivores, toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé n’est sans doute pas fortuite. Un grand patron et son second pétris de haine, ne voyant en leurs ouvriers qu’un « pouilleux équipage grinçant et puant » et rêvant d’une « purification de l’entreprise », une classe ouvrière qui se révolte puis s’essouffle au gré des saisons, mais prête à exploser pour de bon, violemment, radicalement, bientôt, très bientôt. Des fauves échappés d’un cirque qui endossent soudain l’unique visage de la violence et de la peur. C’est commode. Et cette phrase terrible, tranchante, douloureusement familière : « il y a des gens, mon cher, dans cette ville, qui ne sont rien ».
Un parfum de chaos qui ne date pas de cet hiver. « La désespérance bat son tambour depuis longtemps, on entend ce battement, on sent cette exaspération, mais tout le monde persiste dans des voies funestes, et soi-même parfois on ne lève pas le petit doigt. Donc à un moment donné, il y a un grand réveil. Ça fait plusieurs élections où on va aux urnes avec la gueule de bois, il y a aussi une tension générale due à la situation internationale, ça fait longtemps qu’on voit poindre tout ça. Il est normal d’y être sensible et que ça surgisse au détour d’une chanson ou d’un paragraphe d’un livre. Je me suis aussi beaucoup inspiré de la période qui précède l’élection d’Adolf Hitler, où l’Allemagne se cherchait des racines dans l’Antiquité, voulait s’ériger sur une colonne ininterrompue de bravoure, à la recherche d’une identité nationale. L’exposition de l’art dégénéré organisée par les sbires du Reich qui ont exposé à Munich Picasso, Ernst Kirchner et le prétendu état de délabrement de la conscience humaine en montrant des tableaux d’artistes majeurs ».
« Si j’écris des livres c’est pour moi, ça me sert à élucider des choses, savoir qui je suis, comment je pense, si je pense mal, si j’ai des réflexions mesquines. On ne le dit pas mais on est tous travaillés par des déficiences un peu inavouables, des mesquineries dans la pensée, on n’est pas des anges. »
Le chemin de Bertrand Belin, auteur-compositeur-interprète devenu écrivain et romancier, fait sens d’un bout à l’autre. Non content d’avoir des choses à dire, il aime passionnément les moyens à sa disposition pour les dire. A chaque exercice, ses vertus, ses plaisirs, charnels et spirituels. « D’abord, il y a le plaisir de ce que ça demande comme implication du corps. Faire de la musique occasionne un certain type de rêverie, d’implication du cœur, du cerveau, des émotions, du système nerveux, qui produit un certain type de plaisir. La musique occasionne aussi une forme d’ivresse, de couleurs et de sensations un peu différentes. Écrire des livres me permet de manifester, le cas échéant, que si j’ai écrit telle chanson ce n’est pas par impossibilité de penser plus ou de porter plus loin une réflexion, c’est que c’est volontairement sous cette forme. Le sujet n’est pas volontaire mais la forme oui. Si j’écris des livres c’est pour moi, ça me sert à élucider des choses, savoir qui je suis, comment je pense, si je pense mal, si j’ai des réflexions mesquines. On ne le dit pas mais on est tous travaillés par des déficiences un peu inavouables, des mesquineries dans la pensée, on n’est pas des anges. C’est un avenir pour moi, c’est une question intéressante, la question de l’exposition de ces zones d’ombre ».
Si on peut éviter de tomber dans le simplisme et de faire de Bertrand Belin un intello, de le ranger dans un tiroir excluant et péremptoire, franchement, n’hésitons pas. « Je ne suis pas un littéraire. Je suis un lecteur mais aussi un guitariste, j’ai aussi un certain chaos, un certain bordel. Tu n’as pas besoin d’avoir ton bac pour écouter mes chansons, moi j’ai pas le bac d’ailleurs. Longtemps, je ne me suis pas senti le destinataire de bien des choses, parce que j’avais peur d’apprécier avec mes sentiments, mes émotions, or il n’y a que ça ».
Bertrand Belin a fait de sa fascination pour les mots son métier. Ses livres, ses disques sont une source tant de réflexion que de joie, pure et immédiate. Au-delà de leur sens, profondément altruiste, la beauté des quelques pages de « Grands carnivores » imaginant tous les « et si… » de vie de la fille du fondateur fait du bien au cœur, simplement. Tout aussi jouissif, ce passage surréaliste où le personnage sombre dans le sommeil et où toute sa journée s’emmêle pour n’être plus qu’incohérence.
On voudrait pas trop s’avancer, mais Bertrand Belin, on pourrait peut-être bien l’aimer pour toujours.
bertrand Belin vous êtes un charmeur, une âme exceptionnelle, j’aime vos costumes, votre personnalité sur scène je veux dire vous dansez bien, vous êtes grandiose atypique géant j’adore vos souliers, vous êtes un poète je suis tombée amoureuse de vous, vous chantez l’amour, votre voix est magnifique je vous ai entendu pour la 1ère fois à la radio quelque minute sur Radio Campus Bruxelles 92.1 votre voix m’a touchée, je me suis dit : mais quelle voix… et immédiatement j’ai écrit votre nom sur un papier pour vous entendre chanter sur youtube
maintenant je suis fan de vous, j’avais besoin de changer d’air en écoutant un nouveau genre musical que je recherchais, et je vous ai rencontré pour vous entendre indéfiniment j’espère que vous continuerez à nous surprendre avec vos nouvelles chansons quelle talent………vous êtes un ARrrrrrrrTISTE
dans votre article vous nommez plusieurs fois le livre : grands prédateurs au lieu de grands carnivores ;-)
Oula bien vu, on a modifié.