Sorti le 19 mai dernier, « Volver », nouvel album de Benjamin Biolay, est la suite, ou plutôt la seconde moitié de « Palermo Hollywood », sur lequel on chaloupait lascivement depuis l’année dernière. A l’arrivée, un diptyque intense, nostalgique et férocement vivant.
Les doubles albums ont toujours plutôt réussi à Benjamin Biolay. On se souvient de « Négatif », en 2003, et surtout de « La Superbe » en 2009, indéniable pierre angulaire de son parcours créatif. En apprenant que « Palermo Hollywood » allait avoir un petit frère, on s’est donc plutôt un peu réjouis.
Dans « Volver », il est beaucoup question du temps. Le temps qui passe, les années qui abîment, les amis qui manquent, le bonheur malgré tout, la sagesse qui vient et la folie qui fane. La chanson éponyme qui ouvre l’album, telle un écho au « Hier encore » d’Aznavour, donne le ton : Biolay ne se fait pas de cadeau, il porte sur sa propre vie un regard sans concession, même s’il semble, d’album en album, s’aimer un peu plus, se lâcher un peu les baskets. Et il aurait bien raison, parce que ce grand garçon qui, oui, a fait deux-trois petites conneries et quelques autres plus grosses, qui a renversé des meubles et fendillé des cœurs sur son passage, qui n’a pas marché qu’à la Contrex, il a aussi, mine de rien, transcendé tout ça dans des textes fulgurants et salutaires, voire cathartiques, pour les veinards que nous sommes. Comme, par exemple, quelques titres plus loin, La mémoire, liste non exhaustive des trésors de son rétroviseur amoureux, ou Arrivederci, hommage frissonnant de pudeur à son ami Hubert Mounier.
Comme « Palermo Hollywood », « Volver » a un pied voire un pied et demi en Argentine. En un peu moins tradi peut-être, mais sans pour autant en perdre l’essence. Latine élégance, digne mélancolie, appelons ça comme on veut. Les rythmes sud-américains, sensuels, charnels, viennent faire la nique au vocoder et aux sonorités quasi robotiques de certains titres plus « européens ». Et sinon y a un peu d’Italie aussi. On va se gêner. Ça se mélange, ça se métisse, la mécanique ondulatoire est redoutable, à en faire danser les vivants comme les morts. Bien que « Volver » soit définitivement plus intime que politique, l’air de rien, ça ne peut pas faire de mal à entendre, quand Lyon épouse Buenos Aires, quand le Rhône chante un fado, quand deux hémisphères s’attirent et que c’est tout simplement beau.
L’autre pied (ou demi pied du coup), il est à Paris. Pas comme un pas de danse, ici. Plutôt comme un sidekick. Belle et dangereuse à la fois, théâtre d’autant d’errances que de joies, mais malgré tout compagne récurrente, capitale sous les balles, alter ego architectural du Biolay moins lumineux, plus chargé, comme semble le résumer ce passage du titre Happy Hour : « Paris a l’alcool triste ». Déjà dans Paris, Paris, présente sur l’album « A l’origine » (2005), alcool, solitude et noirceur se fondaient dans les rues de la ville.
Bien qu’il n’en soit pas originaire et que des destinations plus lointaines et dépaysantes occupent une grande place dans ses textes et ses mélodies, Biolay et Paris forment au fil des albums une sorte de couple maudit. Et donc, forcément, archi-romantique.
On a souvent dit de Benjamin Biolay qu’il était le nouveau Gainsbourg. Bien sûr que non. Personne n’est le nouveau Gainsbourg. Seul Serge est Serge. Et de la même façon, il n’y a qu’un Biolay. Gainsbourien de cœur, probablement, fausse nonchalance et amour infini des mots coulant aussi dans ses veines, mais auteur à part entière, singulier, et qui a su, en un peu plus de quinze ans, rendre incontournables sa poésie, sa profondeur, son honnêteté brute et passionnée.
Devant cette sincérité frontale qui est l’un de ses traceurs, on peut avoir l’impression de savoir de quoi ou de qui il parle, quelle femme se cache ou se révèle derrière ce mot, cette phrase, cette rime, cette pirouette. Soit. Mais surtout, ces chansons peuvent exister dans nos vies parce que, comme leur auteur, on a tous souffert, on a tous ramé, on a tous douté, on a tous espéré, on a tous lâché la barre pour finalement laisser parler notre instinct de survie, et puis on a recommencé, en boucle. Lui l’a peut-être simplement dit un peu mieux qu’on ne l’aurait fait nous-mêmes, ou il a eu moins peur de le dire.
Il faut dire que Benjamin Biolay entretient avec la langue française une liaison sans limite, sans tabou, sans interdit. Tout au long de « Volver », on croise des biffles et des éoliennes, des cantatrices encartées et un orang-outan. D’autres voix passent, chantent, parlent, chuchotent, d’autres langues se glissent aussi. C’est de l’open mariage ou on ne s’y connait pas.
Benjamin Biolay présentera son petit dernier en concert au moins jusqu’à l’automne, allez-y ça va être une orgie. Haut de gamme.
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