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Beach House : « Tout arrive pour une raison même absurde »

Avant une interview, on ne sait pas toujours sur qui tomber. L’artiste qui veut absolument faire la promo de son disque et boire les mots parfois imbuvables du journaliste, être dans l’économie de paroles et regarder ses pieds ou ne rien vouloir d’autre qu’une discussion agréable qui change les esprits. Dans les grands groupes de pop que compte notre monde, il y a Beach House, duo de Baltimore qui fait mentir les a priori sur la naïveté et la déconnexion de cette esthétique. Sujets du jour : le pouvoir des mots, le danger des cases, la force de la révolte.

Qu’avez-vous fait ces dernières années ? Vous avez bullé ? Fait des projets solo dont on n’a pas entendu parler ?

Victoria : Presque que du Beach House. Ça fait trois ans depuis le précédent album. On a tourné et fait cet album en 6 mois. Mais dans les temps morts, on a juste vécu. Simplement.

Alex : [En janvier 2014] On a fait un projet de « super-groupe » autour d’un projet nommé No Other qui fait écho à l’album culte de Gene Clark (1974), le fondateur de Byrds. C’était fun. [Le projet comptait Robin Pecknold de Fleet Foxes, Daniel Rossen de Grizzly Bear, Hamilton Leithauser de The Walkmen, Iain Matthews de Plainsong et Fairport Convention, Jenn Wasner de Wye Oak et des membres de Lower Dens, du groupe de Cass McCombs, de Celebration et de Mt. Royal / NdlR]

C’est bizarre d’arriver avec un nouvel album en le présentant comme un disque plus « simple ». C’est en ces termes qu’on l’a reçu. Vous êtes d’accords avec ça ?

Alex : On se rend compte que le mot simple est le mauvais mot choisi parce qu’il a une connotation péjorative. On voulait dire naturel. On a écrit cet album avec une nouvelle forme de complexité.

Victoria : Tout ce qu’on peut dire c’est qu’on a eu du temps et de l’espace pour le faire. Tout le monde a son idée de la simplicité et c’est de ça que traite notre musique : des différences d’approche. Beach House n’est pas le genre de groupe qui change radicalement de son. Nous, on a notre son, qui se lit de plein de façons.

Alex : La pop te demande d’alterner couplet-refrain-couplet-refrain, ce qu’on ne fait pas vraiment. Ça ne nous semble pas naturel, plutôt forcé. Mais chaque chanson est un chapitre.

Chaque chapitre d’une histoire ?

Victoria : Non, ça n’est pas si littéraire. Mais parler en général de l’album ne peut qu’en réduire le potentiel. Si je disais, c’est un disque d’amour. Ok… C’est tout ? C’est bien plus.

Votre album s’appelle Depression Cherry. La dépression a-t-elle un goût de cerise ?

Victoria : Chacun a sa perception de la dépression. Les deux mots jouent ensemble.

Alex : La dépression peut ne plus en être une avec de la cerise.

Victoria : Ça peut être romantique.

Beach House – Myth

(sur Bloom chez Sub Pop / 2012)

Vous avez déjà été sujets à une grande dépression ?

Victoria : Tout le temps. C’est humain.

Alex : La dépression est plus qu’un état d’esprit. C’est un mot très large. Aux USA, on a une époque qui s’appelle La Grande Dépression quand même.

Victoria : On joue des nombreuses dimensions d’un mot.

Alex : En anglais, ce titre est très joueur. Tu connais le mot ‘irreverent’ ? Je pense qu’il est irrévérencieux.

Victoria : C’est assez punk dans l’approche.

Comme Beach House, qui est la juxtapostion de deux mots très simples. Qui veut tout et rien dire à la fois ?

Victoria : D’une certaine façon. La beauté du language vient du fait que tu peux jouer avec.

Du coup, les journalistes du monde entier qui vous intervieweront le comprendront d’une façon à chaque fois différente ?

Alex : Il y a tellement de titres qui sont simplement esthétiques. S’il n’y a pas de provocation, il n’y a pas d’art.

Victoria : Il auront tellement d’options. L’art existe pour qu’il y ait des conversations, que tu puisse évoluer. Mais les mots ne sont pas grand chose pour expliquer l’invisible et l’intraduisible part de l’art.

Mais on est quand même en train d’en parler maintenant.

Victoria : On essaie d’en parler. On le doit. Tout arrive pour une raison.

Tu le penses vraiment ?

Victoria : Oui. Même les pires choses au monde te montrent quelque chose, même si c’est terrible. Tout arrive pour une raison mais la raison peut être absurde. Ce n’est pas linéaire.

Alex : Et tu ne peux pas, qui que tu sois dans le monde, passer à travers ce monde et t’en tirer sans aucune cicatrice. Ton innocence sera forcément perdue.

Victoria : C’est la vie [en français dans le texte / NdlR].

Beach House – Sparks

(sur Depression Cherry chez Sub Pop / 2015)

Vous habitez à Baltimore, et vous y étiez pendant les émeutes. Comment les avez-vous vécues ?

Victoria : Avec beaucoup d’anxiété et de grosses interrogations sur la manière dont les médias ont blessé et mis les gens en colère. De ce côté, c’était affligeant, d’un autre, c’était intéressant de montrer à quel point les gens n’en peuvent plus. Ils devaient s’insurger. Ils devaient protester. Parce qu’on ne leur a donné aucune autre option.

Alex : Pour nous, l’important est que de ces émeutes sorte quelque chose de positif. Et qu’on ne voit pas juste ça comme une manifestation quelconque d’une population ignorante. Les gens des quartiers pauvres vivent des meurtres tous les jours avec les dealers ou autres. La violence n’a ni été accentuée ni diminuée. C’est juste qu’elle a été médiatisée. C’est bien qu’elle ait été vue et entendue.

Victoria : Je pense que ça a été encore plus choquant pour les gens que Ferguson.

Alex : Oui, parce que ce n’était pas qu’à propos du racisme, mais aussi de la pauvreté. Et la pauvreté touche tout le monde.

Victoria : Ça touche la valeur de la vie. Ce mouvement était vraiment important. Bien plus que les médias l’ont montré. Ils ont l’habitude de récupérer un fait et le réduire à quelques mots pour que le message soit plus impactant.

« Obama a dit un jour :

‘Sur CNN, c’est le même clip d’un

incendie en boucle pendant 24h’ »

Comment ont réagi les autorités ?

Alex : Elles ont fait des erreurs, mais de bons discours aussi. Obama était très juste dans ses mots et a rappelé qu’il y  a cinquante ans, les quartiers dans lesquels il y a eu les émeutes étaient forts. Les générations précédentes bossaient toutes dans des usines, elles étaient fières. Et fonctionnelles au vu de l’Etat. Normales, quoi. Quand il n’y a plus eu de boulot, les gens n’ont pas eu la possibilité de se renouveler. Et aucune éducation. Partout dans ces quartiers à Baltimore, en Amérique, on trouve des gens qui n’ont aucune opportunité. Genre aucune. Et aucune chance de faire quelque chose de leur vie en allant à l’école publique. C’est un cercle vicieux sans fin qui grandit depuis les années 60. Tout ça, beaucoup d’Américains n’en avaient jamais entendu parler. Ce sont ces mêmes Américains qui tournent leur poste de télé de côté quand on en parle. C’est une mentalité qu’on retrouve beaucoup : c’est leur problème. « Ils bossent mal, ils sont impolis… »

Victoria : Ce n’est pas juste Baltimore, c’est le monde. Les gens doivent se rendre compte que chaque jour, des gens essaient de mettre d’autres gens dans des boîtes. Les mettre dans une position et leur enlever du pouvoir. On devrait réaliser qu’on n’est pas obligé de le faire. « Ah, tu dis ça parce que tu es jeune ! »

C’est une façon flemmarde de voir le monde. Parce que l’être humain est tout simplement un grand flemmard ?

Alex : Tout le système médiatique américain est basé là-dessus. Une façon simpliste de voir le monde. Trop simple.

Victoria : Tu regardes la télé, c’est constamment la même chose.

Alex : Obama a dit un jour « Sur CNN, c’est le même clip d’un incendie en boucle pendant 24h ». C’est tellement vrai. C’est un petit feu, mais en le jouant toute la journée, il devient plus grand.

Victoria : Comment réfléchissent-ils ? « Une vache est en train de mater la télévision »

C’est ce qui se fait en musique également (habile retour à nos moutons). Les styles, sous styles, labels, villes, mouvements… Ce sont autant de cases ?

Victoria : Ce n’est pas grand chose ça. L’important est que la musique nous permette de naviguer entre les cultures et qu’elle est essentielle pour contrer les cases de la société.

Alex : Mais oui, dans toutes les strates de la société, comme la musique. Dans les grandes radios, c’est le pire, le schéma est d’un formatage. Je n’ai jamais compris pourquoi ils ne pouvaient pas proposer autre chose. Il n’y a rien d’expérimental ni de créatif. Ce sont des pop songs écrites par un script. Pas qu’elles sont toutes mauvaises, mais écrites par un script.

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Crédit photo : Shawn Brackbill
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