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BBK Live 2016 ou la colline des paradoxes

L’Espagne est une terre de culture. Une terre de festivals même depuis la montée en puissance de Benicassim, Primavera et autres Sónar. En terres basques, c’est le BBK Live qui irradie depuis dix ans l’ensemble de la région d’une programmation cinq étoiles dans un site tout aussi luxueux. Si le tableau semble parfait, la réalité s’avère un peu plus nuancée.

Faire l’expérience du BBK Live, c’est d’abord faire l’expérience de son contexte et de son environnement. Et, en tout premier lieu, Bilbao (et même « Bilbo » si, non content d’embrasser la culture locale, on se met au diapason basque). La capitale de Biscaye est la plus grande ville de la communauté autonome du Pays basque et ça, si on ne le savait pas encore, on l’apprend dès le premier pied posé hors de l’aéroport : le Basque est fier de sa culture, de ses traditions et de sa langue, comme en démontrent les doubles appellations quasi systématiques.

Des Basques fiers de leur langue mais aussi de leur « jeune » festival : des drapeaux à l’effigie des groupes programmés flottent au vent partout dans la ville. Depuis son entrée jusqu’à la vieille ville « El Casco Viejo » en passant par le célèbre musée Guggenheim ou l’impressionnant stade San Mamés. Impossible d’oublier que, sur les hauteurs de Bilbao, va se tenir le BBK Live 2016. C’est ainsi qu’on arrive – après quelques pintxos et non sans mal – en haut d’une impressionnante colline où se trouve le parc Kobetamendi qui accueille le festival chaque année.

La première impression (outre celle d’avoir laissé un poumon en chemin) est agréable : le lieu domine la ville de Bilbao et le panorama est bluffant. On s’étonnera plusieurs fois de la brume donnant l’impression d’être à mi-chemin entre les nuages. Près de 100.000 m2 de parc naturel sont dédiés à l’événement afin d’accueillir les 40.000 festivaliers quotidiens. Tout est verdoyant et vallonné pour un cadre champêtre à mille lieux de ses concurrents nationaux où la tendance est plutôt au bitume.

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Et pourtant. Et pourtant, il semble qu’il n’y a guère que les étrangers pour se pâmer devant la beauté de ce cadre naturel. Avec un tel site, on aurait pu parier sur une stratégie écologique de la part des organisateurs. Que nenni, que nenni. Tout d’abord, le manque flagrant de… poubelles. Hormis les grandes bennes à l’entrée qui recueillent déodorants et bouteilles d’eau clandestines lors de la fouille, il est presque mission impossible de trouver une poubelle pour jeter nos ordures. Retour aux bons vieux gobelets en plastique jetables et pas d’ecocup. Résultat prévisible : le public, plutôt que de parcourir le site de long en large pour enfin trouver une poubelle, a opté pour la pragmatique méthode du « je jette mon gobelet par terre et tant pis pour toi, petite pelouse. » Le spectacle en fin de journée est assez bourrin. Le sol est jonché de plastique, on se revoit déjà la belle époque des années 90/2000 en France. Rappelle-toi.

Niveau son, le festival a malheureusement trouvé son plus gros point faible. Dommage pour un festival de musique. Trop fort, trop lourd, trop strident, trop de basses, pas assez d’amplification sur les voix, trop sur la batterie… Le gros point négatif du week-end. Lourd et pâteux, il nous a empêché de saisir toutes les nuances de Tame Impala, d’apprécier la voix de Win Butler lors du show d’Arcade Fire, de tenir sous le chapiteau de la scène 3 pour écouter Jagwar Ma sans perdre quelques degrés d’audition.

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En même temps, on se demande si la très mauvaise qualité sonore aura dérangé le public espagnol dissipé et bavard pendant les concerts. En France, les trois quarts des festivaliers auraient fustigé les responsables d’un « chuuuttt » menaçant. Au BBK, ce sont ces mêmes trois quarts qui finissent la blague qu’ils avaient entamée.

Alors, parfois, les groupes s’y prêtent, car c’est la fête et que les guitares saturés couvrent un peu les voix. Mais parfois, comme sur José Gonzalez, on aurait préféré une ambiance un peu plus ténue, histoire d’entendre les jolies mélodies portées par la voix du suédois. Et pourtant, les festivaliers sont loin d’être là par hasard ! Pour preuve ce groupe d’amis se tenant devant nous lors du concert d’Arcade Fire, celui que nous attendions le plus. Loin d’être, comme nous, en extase et sans voix (ci ce n’est pour chanter et devenir les chœurs de Will et Régine), ils n’ont pas arrêté, pas une chanson, de parler (ou plutôt de hurler). Cependant, ils connaissaient toutes les chansons, toutes les paroles par cœur, s’extasiant devant la setlist, s’embrassant des étoiles dans les yeux en reconnaissant « My Body is a Cage »… Les Espagnols ne sont pas là en dilettantes, simplement pour passer un bon moment et les concerts ne sont absolument pas sacralisés.

Mais quel est le secret d’une ambiance aussi joyeuse ? Cela restera un secret bien gardé du BBK. Une chose est sûre, ce n’est pas l’alcool. On est certes loin du « sans alcool la fête est plus folle », rassurez-vous. Au contraire, les bars (tout comme les stands de snaking en tout genre) sont légions dans l’enceinte du parc basque. C’est simple, quand tu veux aller te chercher à boire, il y aura forcément une buvette à ta droite, à ta gauche ou derrière toi, et pas d’attente.

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Et si certains festivaliers ne veulent pas perdre leur place au premier rang pendant l’attente du prochain concert, ou même si certains ont soif pendant le show, pas besoin de se déplacer. Le système de beberapid permet de payer une bière juste en interpellant cet hybride, mi-homme mi-fût vivant. Ajoutez à cette accessibilité et à cette rapidité des tarifs vraiment peu chers (pour nous autres Français, car le BBK Live serait l’un des festivals espagnols aux consos les plus élevées). Tout est réuni pour boire sans compter mais les gens paraissaient au maximum légèrement éméchés. Pas de flaque de vomi ni de coma éthylique à déclarer. Deux pistes : ou la bière est encore plus diluée qu’en France, ou l’Espagnol tient mieux que nous.

Le point fort du BBK Live, c’est avant tout sa programmation. Bah oui. Né en 2006, le festival ibérique s’est très vite imposé comme l’un des rendez-vous incontournables de l’été avec des line-ups toujours plus réjouissants, mélange de headliners internationaux et de scène locale émergente. Question style, on restera dans une gamme assez monochrome avec beaucoup de pop et de folk et peu de « vrai rock » si ce n’est deux ou trois groupes. Nouveauté de l’année toutefois : la scène Basoa, dédiée à la musique électronique. Et ce n’est pas parce que c’était la première édition que la programmation n’a pas suivi, avec de très beaux noms comme Four Tet, Âme, Erol Alkan, ou Floating Points. Du son pointu dans une ambiance tamisée et mystérieuse, de quoi donner l’eau à la bouche.

Mais l’événement phare du BBK Live 2016 était surtout la venue quasi-exclusive d’Arcade Fire. Délaissant leur set de la précédente tournée, les Montréalais ont été fidèles à eux-mêmes avec une véritable performance scénique, nous faisant même oublier le son médiocre. Le groupe reste indéniablement l’un des meilleurs en live avec un Win Butler charismatique au possible. Des moments presque magiques lors de « My Body is a Cage »,  « Afterlife » ou « Rebellion (Lies) » que le public a reprit en chœur espérant même un retour sur scène une fois les lumières éteintes. Les autres temps forts étaient bien évidemment les Pixies (avec un Franck Black aux allures de VRP mais toujours aussi rock sans avoir à jouer au rocker), Tame Impala sur fond de coucher de soleil qui s’est montré bien plus convaincant que sur sa dernière tournée, Foals qui n’a pas fait un seul faux pas comme à son habitude et le retour de New Order qui eux aussi, ont marqué plusieurs générations

On a également pu découvrir des talents locaux avec le célèbre groupe espagnol Love of Lesbian qui a su faire chavirer le cœur de nombreux/ses festivalier(ère)s avec sa variété-pop ou encore Hidrogenesse, duo loufoque aux milles influences. Parmi nos autres chouchous, on citera Blossoms dont la musique est aussi efficace sur scène qu’en album, ainsi que K-X-P, capable de faire ressortir la finesse dans un torrent de décibels. Avec une telle affiche, on était sûr de vivre un des meilleurs festivals de l’été. Et pourtant, le point faible du BBK nous a rattrapés. Le son trop fort, beaucoup trop fort. À tel point qu’on était presque obligé de choisir entre faire la fête dans la foule sans rien entendre ou s’éloigner sur les hauteurs, s’asseoir et profiter pleinement des morceaux. Mais ce n’était pas que ça. Avec stupéfaction, nous nous sommes rendus compte que le festival était loin de maîtriser la technique, malgré dix ans d’expérience.

Les trois jours furent une succession de couacs plus ou moins gênants. Notre top 3 : les quarante minutes de retard de Junior Boys qui visiblement n’arrivait pas à se brancher ; la coupure générale d’électricité en plein show de Grimes, obligée de quitter la scène pendant de longues minutes ; et les multiples coupures de la scène Basoa se retrouvant dans l’obscurité et le silence total. Étonnant et décevant. Ce ne sont que la bonne humeur et la tolérance du public qui ont sauvé le festival.

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Enfin, dernier paradoxe de ce BBK : la communication. Comme on vous le disait, impossible d’ignorer la tenue du festival quand on se promène dans la ville. Outre les fanions volant au vent, nombre de concerts sont organisés dans la ville avant l’ouverture du site. Des concerts bien évidemment estampillés BBK. Plusieurs établissements comme des restaurants sont partenaires de l’événement, passant en boucle la playlist Spotify du festival. Le musée Guggenheim propose même des entrées réduites pour les festivaliers. Oui, le BBK est vraiment un festival qui se vit au travers de sa ville natale et il serait dommage de ne pas en faire l’expérience. De par sa proximité géographique avec la France et sa programmation internationale et accessible, le festival a clairement la volonté de toucher un public étranger.

De ce côté là, il a mis les petits plats dans les grands. Ce qui renforce notre surprise quant aux gros manquement de communication concernant les aspects directs du festival. D’abord le site et l’application : les développeurs semblent être totalement passés à côté. Alors que le festival prône un usage massif des nouvelles technologies pour coller à son public cible (les 25-39 ans), les réseaux sociaux semblent très bien investis mais le site et sa déclinaison mobile deviennent presque inutiles tant les informations manquent. Passer de la version espagnole ou basque aux française et anglaise signifie perdre la moitié du contenu, aucune information sur les groupes programmés si ce n’est leur nom ou leur provenance, une timetable hasardeuse… Bref, un labyrinthe. Et en parlant de labyrinthe, pour accéder au festival lui même, il faut avoir un bon sens de l’orientation et une dose de débrouillardise tant rien n’est indiqué. Trouver la navette du festival relève du parcours du combattant et la déception se fait sentir quand on s’aperçoit qu’il ne nous dépose qu’en bas de l’immense colline qu’il faudra grimper pendant que d’autres bus (de ville ceux-là) nous dépassent à toute allure. Le BBK Live reste une chouette expérience mais il faut la mériter.

Agacés de voir un tel bijou terni et déprécié par des errements si facilement corrigeables, notre mémoire garde heureusement l’image la plus positive et la plus marquante du BBK : un festival capable de faire venir un mastodonte comme Arcade Fire dans un site unique et aux dimensions idéales.

Diaporama ci-dessous, crédit photos : Sami Battikh pour Sourdoreille
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