Un temps marin pêcheur, Batlik n’en reste pas moins un banlieusard d’Aubervilliers qui remonte de ses filets, à quelques secondes d’intervalle, un « Ma gueule » et « L’ici, l’ailleurs et le maintenant ». L’attente teintée de mélancolie revient souvent dans XI lieux, onzième album en autant d’années de carrière. Autour d’un picon bière dans un café du XXe arrondissement de moins en moins populaire, Batlik appréciait l’ambiance bohème du lieu. Comme ses chansons toujours aussi engagées mais désormais emplies d’une douceur qui se pare d’arpèges enfantins, l’animal s’adapte. Loin des monts d’Ardèche, là où une asso l’accueille pour écrire dans un cube perdu dans la montagne « où il faut chercher l’eau à la source et l’éclairage se fait à la lampe », on s’est coupé du monde pendant une grosse heure.
Pour commencer, petit cadeau de Batlik, qui a adoré les peintures à l’huile d’une étudiante des Arts décoratifs de Paris (l’ENSAD) au point de lui demander de les compiler en peinture animée pour devenir le clip de « Ailleurs ». Les deux artistes vous offrent en avant-première cette collaboration colorée. Un petit mail du chanteur avait déjà honoré le talent de Marie Opron, en illustrant un premier extrait (« Dans le maintenant ») de l’album XI lieux de Batlik, sorti le 7 octobre, à regarder un peu plus bas.
Dédier une chanson à son chien (« Raoul »), ça ne rend pas ta femme jalouse ?
J’ai des angoisses énormes par rapport à cet animal. Des fois, je me lève la nuit pour vérifier qu’il n’est pas mort. Il a 8 ans, mais j’avais les mêmes angoisses quand il avait 2 ans. J’ai donc imaginé une chanson où mon chien me confierait ses dernières phrases rêvées. Ça a dérapé lors d’une chanson sur la condition canine vu de l’œil du chien. Plus on est sûr d’écrire sur un thème, plus on risque d’écrire sur autre chose.
C’est ton second album concept, cette fois autour de lieux. Étant donné que tu es prolixe, avec un album par an en moyenne, ce choix te permet-il d’avoir un cadre en terme d’écriture ?
Quand tu démarres avec des contraintes, c’est un rapport plus étroit à la liberté. Je fais souvent des ateliers d’écriture. J’aime bien prendre la place du prof en demandant au plus turbulent : « Tu écris ce que tu veux« . Invariablement, l’enfant ne fait rien car il ne sait pas quoi faire. Plus il y a de contraintes, plus l’imagination pointe le bout de son nez…
Mets-tu ton réveil pendant cette période afin d’être efficace ?
C’est un effort, il y a des sessions où il faut que j’écrive. J’aimerais tellement que ça vienne comme un rayon de soleil. Je me fais trois-quatre sessions d’une ou deux semaines où je pars et je me dis : « Là, il faut que tu écrives« . C’est un peu angoissant car je dois me restreindre et, en plus, vérifier que mon chien n’est pas mort…
Tu composes à la guitare en même temps que les mots te viennent à l’esprit ?
La guitare a toujours un squelette d’une dizaine de riffs dans lesquels je pioche. C’est elle qui fait venir le thème.
Tu composes, écris, chantes dans ton home-studio et as ton propre label. C’est l’économie bancale de la musique indé qui te pousse à tout faire ou cela provient d’une incapacité à déléguer ?
C’est vrai pour l’autonomie, ce qui m’apporte pas mal d’emmerdes. Mais vu que c’est ce que je demande à ce métier – de ne pas m’ennuyer – ça me convient. Puis, je suis pas mal entouré : j’ai aussi un distributeur, un tourneur, une attachée de presse, un graphiste et des gens dans le label. Il y a d’ailleurs dedans Sages comme des Sauvages (le back-band de l’album, ndlr) pour qui ça marche pas mal, donc je ne suis pas un vrai solitaire.
« Depuis quelque temps, j’ai comme une espèce d’aversion et de dégoût de l’actualité, de la surpuissance de ce qui est actuel. »
Yves Jamait, qui a connu l’usine avant de percer, nous confiait qu’il se sentait davantage comme un chanteur social qu’engagé. Avoir exercé des travaux physiques avant de vivre de la musique te protège du pétage de câble ?
Je ne tombe pas dans le showbiz car j’ai eu la rigueur des plages horaires que m’ont imposé l’intérim. Je peux m’astreindre à un partitionnement du travail : écrire, enregistrer, tourner, réécrire…
Tu ne pourras jamais être comme ces profs, infirmiers ou flics qui donnent leur vie pour une cause ?
Oui, c’est vrai. J’ai toujours eu des contrats assez court avant. La musique m’apporte cependant des moments décloisonnées. Une vie de studio, où je suis chez moi, est différente d’une vie de tournée où t’as une vie hyper sociale en rencontrant des gens que tu ne connais pas. Entre les deux, je m’isole pour écrire. La musique me permet donc de vivre plusieurs vies.
Tu t’acclimates vite à rencontrer le public après une longue période de studio ?
Le rapport à l’autre ne m’enthousiasme pas. A bien y réfléchir, les journées de tournée apportent un cadre… Et c’est bien ! On retrouve une certaine routine : le camion, on arrive dans la salle, la technique se prépare, on fait les balances avant d’aller à l’hôtel et enfin jouer.
Ce cadre apporté par la tournée, le retrouves-tu entre les chansons, avec des phrases type qui font mouche ?
Le discours parallèle entre les chansons se définit au cours de la tournée. A la fin de la tournée, ces interdiscours deviennent aussi réglé que le spectacle. Au début, on essaie une blague qui ne marche pas trop. Le lendemain, on essaie autre chose. Le but, c’est d’impulser un rythme et d’échapper à ce moment de vide entre les morceaux qui peut planter un concert.
En onze ans de carrière, t’es plus à l’aise ou le trac reste le même, quelques secondes avant de monter sur scène ?
J’ai appris à gérer les angoisses. C’est con mais, au début, j’avais très peur d’oublier mes textes fleuves. Mais ça se passe bien, en fait. Même si ça va, j’ai mis des années à me confectionner un pupitre au ras du sol, comme un retour. Les gros artistes ont la chance d’avoir des prompteurs. J’ai pas ça, donc j’ai décidé d’assumer mes textes imprimés en format A3 plastifié – ça m’a coûté un bras d’ailleurs – et les gens voient ce pupitre comme on voit des partitions dans les concerts de jazz ou de classique. Il m’a fallu dix piges pour comprendre que ça m’aide à gérer.
« Ma femme m’a fait prendre conscience du rapport sérieux que je dois à la musique »
Tu plombes l’ambiance au début de l’album, avant de proposer des passages davantage porteurs d’espoir. T’es devenu plus mélancolique qu’enragé ?
Cet album ne passera pas dans les mariages, en effet. Je le voyais plus en solo, aérien, spatial… Mais tu as raison, il fait la part belle à la mélancolie, à la peine, à la lenteur. Je suis surpris qu’un album qui part d’un concept de lieux donne tant de place à la mélancolie. Il faudrait que j’en parle à mon psychanalyste (sourire).
Ça tombe bien, ta femme est psychanalyste.
Ma femme a assez affaire avec ses patients. Ça a été clair dès le début, même si elle doit parfois faire appel à la toute-puissance de sa psychanalyse pour me gérer. C’est ma muse. Elle m’a montré que je devais considérer le métier que je faisais, de l’importance des mots que je porte avec ma musique. J’étais plus engagé dans les textes avant, mais mon implication était plus légère qu’elle ne l’est aujourd’hui. Le discours était plus direct mais j’utilisais la musique et les textes pour prononcer un discours. Aujourd’hui, j’ai une position plus humble car ma femme m’a fait prendre conscience du rapport sérieux que je dois à la musique. Ce changement de position me donne l’impression d’être plus engagé que je ne l’étais au début dans mon art.
On le ressent dans « Dans le maintenant » où tu chantes « Je ne vendrai pas ma maison à celui qui y coupera les fleurs ».
Exactement ! Les mots ont changé. Dans les six premiers disques, j’aurai probablement écrit (voix de brigand, NDLR) : « Ah, y’a des mecs ils s’en foutent des fleurs, ils sont vraiment trop cons », ce nouveau positionnement fait que je me suis dit qu’on peut le dire sans le dire… et que ça s’imprègne mieux chez l’auditeur. Tu crois que tu vas utiliser des mots pour changer le monde, mais en vrai ce sont les mots qui vont t’utiliser.
Tu ne renies pas ton passé pour autant ?
Pas du tout. Je continue à vendre des disques. Quand on vient me voir en concert, si on me demande quel disque acheter, je conseillerai plutôt les derniers et j’expliquerai pourquoi. Si j’assume tout et que c’est une photographie de ce que j’étais à ce moment, je pense que les disques écrits après la rencontre avec mon épouse (long silence) ont eu une vie.
Tu ne les chanteras plus ?
Non car je me vois dire ce que je voudrais être. Il y a comme un malentendu avec ces chansons.
« A l’époque, on pensait bien faire. » Explique-nous la façon dont tu parles de la barbarie dans ton titre « A l’époque » ?
Le mot « barberie » a été très utilisé ces derniers mois. Je me suis interrogé sur son usage répété et mon rapport à la barbarie. Je ne voulais pas utiliser le discours que j’aurais pu avoir avant, ou celui du lexique existant de mon voisin. Ce qui m’est venu est de savoir ce que je considérais comme barbarie, et surtout de voir que ce que l’on appelle barberie est lié à l’étranger…ou pas. Ça a été l’une des chansons les plus dures à écrire.
Au début, tu étais clairement étiqueté à gauche. Peut-être à tort, mais c’était l’image qui te collait aux basques. Apaisé, et à quelques mois de la Présidentielle, que t’inspire le climat politique ?
Je suis bien forcé de suivre car il suffit d’allumer la radio pour. Je l’entends plus que je le suis. Depuis quelque temps, j’ai comme une espèce d’aversion et de dégoût de l’actualité, de la surpuissance de ce qui est actuel. Je ne sais pas d’où ça vient, mais c’est là. La politique, quand on lit ce qu’il s’est passé il y a 300 ans, c’est pareil (rires). La politique, c’est comme si ça ne pouvait être qu’actuel et ça m’interroge. Je vais peut-être consulter à ce propos…
Batlik en tournée partout en France, le 24 et 25 novembre à Paris au Studio de l’Ermitage, et vu qu’il n’oublie pas son passé de marin pêcheur, le 2 décembre à l’Espace Keraudy à Plougonvelin.
Crédit photos : Toine
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