Fidèle à l’idée qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud, moins de deux ans après le remarqué « Shadow and Everything » et un live coup de poing réalisé avec Audiotree, Bambara a sorti un nouvel album en début d’année. Un album parfaitement abouti dans sa démarche littéraire sans dénaturer la base musicale, sauvage et galopante, charismatique et fière, entre post-punk et noise.
Stray, égaré en français. Égaré comme le sont les personnages qui s’entrecroisent dans les dix titres de l’album entre le deep south poisseux et violent et la grand ville froide et dure : « Ben et Lily », couple de marginaux castrés chimiquement ; « Miracle », fille de ces derniers et strip-teaseuse au Cheetah ; « Serafina » et Sadie, couple de pyromanes ; Cole et Claire, dont le souhait de constituer une famille normale se terminera tragiquement ; « Death », psychopathe au visage porcin et, finalement, dénominateur commun de ces histoires. Des personnages qui rappellent les outsiders et les déments qui errent les films de David Lynch et d’Abel Ferrara ou bien encore True Detective, saison 1. Ces histoires sont d’autant plus sombres qu’elles proviennent souvent d’éléments entendus ou vécus par les membres du groupe, lors de leur jeunesse dans l’Etat de Georgie.
Pour ce faire, ils ont quitté Brooklyn pour mettre cap au sud, travaillant d’arrache-pied pour ne pas perdre la tension d’une tournée qui leur aura permis de faire la première partie d’Idles. Le trio a repris les bases que l’on retrouvait déjà sur Shadow on Everything et notamment une écriture claquante, proche du spoken word pour raconter ces petites histoires qui se chevauchent, sur une musique compacte et rageuse, la voix de baryton de Reid Bateh et les feulements de sa guitare émergeant des lourdes rythmiques servis par son frère, Blaze, et leur ami d’enfance William Brookshire.
L’exemple le plus typique de ce songwriting est « Miracle », première chanson de l’album. D’abord, sur fond de basse lourde, les présentations avec la protagoniste : perruque blonde et lèvre inférieure tatouée avec le mot « meaness » (méchanceté en français), avant de monter sur scène en tant que strip-teaseuse au Cheetah, elle prend le temps de fumer dehors, entourés d’arbres centenaires. Puis, Miracle monte sur le podium et tandis qu’elle s’enroule autour de la barre en fouettant l’air de ses pieds, la musique s’emballe, devient frénétique, les pieds fouettant l’air comme pour chasser les idées noires qui l’entourent.
Néanmoins, sur cet album, l’écriture se rapproche souvent d’un schéma plus classique « couplet, refrain », qui apporte de la profondeur à une palette chromatique basée sur le noir (de la nuit, de l’âme humaine, des cendres, du Jack Daniel’s et des bars sordides) et le rouge (du rouge à lèvres, du feu, du sang, des néons, des yeux remplis de larmes). Les tempos plus lents, les arrangements plus complexes (comme la présence de chœurs féminins) permettent de passer de la colère à la lassitude, de la rage au désespoir. Certaines influences sautent alors directement aux oreilles : du Chris Isaak des premières heures à Nick Cave, en passant par Leonard Cohen, qui ne renierait pas son héritage sur « Sing Me To The Street ». Sur ce morceau, comme sur d’autres avec refrains « Serafina », « Stay Cruel », les chœurs reprennent la fonction traditionnelle de la tragédie grecque, celle de commenter l’histoire et d’appuyer les sentiments exprimés par les personnages.
Pour ce groupe originaire d’Athènes, le parallèle avec la tragédie est doublement approprié car il y a peu de lumière dans leur musique. Seulement celle, artificielle, des lieux lugubres dans lesquelles on se réfugie pour oublier ses peines, et celle humaine, de l’amour pour échapper à ses démons. Dans un cas comme dans l’autre, cette quête est vaine mais peu importe, l’important est de se raccrocher à cette lumière vacillante pour ne pas basculer totalement. Témoignage de l’obsession pour la mort du chanteur et auteur, Reid Bateh, la musique de Bambara est également un prolongement du Southern Gothic, un témoignage d’une Amérique de déclassés englués dans des lieux imprégnés de fatalisme.
Des décennies après Faulkner et Tennessee Williams, à son tour Bambara décrit sans jugement un coin des États-Unis où la grandeur d’antan est tachée de honte et de malheur et le basculement dans la modernité ne s’est jamais fait, où la violence semble être héréditaire et suinter des arbres et des bâtiments. Pas très joyeux en somme, mais une catharsis nécessaire en période trouble.
Crédits photo en une : Kevin Condon
0 commentaire