Dans la course du rock indépendant, depuis déjà plus d’une dizaine d’années, les albums de Balthazar sonnent comme d’éternelles déclarations d’amour. Leur dernier en date, « Fever » (sorti en janvier 2019), les a envoyés sur la route pour de longues semaines, du Caire jusqu’à la Cigale, où nous les avons interviewés. Un projet qui marque définitivement un tournant musical – et idéologique – pour le groupe belge, résonnant sur des notes plus pop. Ses musiciens restent des prodiges du spectacle, imprévisibles et énigmatiques dans les rôles qu’ils incarnent, séducteurs sur scène et désinvoltes sur canapé. Deux salles deux ambiances, récit de deux rencontres que tout oppose, de l’entretien au concert, des silences qui disent tout à l’énergie brulante qui se révélait un peu plus tôt jusqu’à nous.
Balthazar, couche-tard
Arrivée devant la Cigale, à quelques minutes du début du concert, l’ascension des escaliers du théâtre parisien est précipitée pour arriver juste à temps, vaincre les tumultes de la foule et se hisser enfin jusqu’aux arcades des balcons. Le groupe est déjà sur scène et entame son concert sur un enchaînement de titres de l’album Fever. La jauge a une allure de dîner entre potes. Balthazar est suffisamment connu pour ne plus être rangé dans la catégorie des groupes de niche pourtant, augmentant ainsi les probabilités de se confronter à une hétérogénéité réjouissante, suivant des critères d’âges, de classes sociales, de fringues et même de coupe de cheveux. Mais rien n’y fait, c’est costards et coupes carrées, raie sur le côté. C’est ainsi, dès l’entrée, que tous les invités sautent à cloche pied, d’une planète à l’autre, dégustant des univers aux ambiances contrastées. Le public se meut en observateur lunatique, verres de rouge ou demis d’ambrée, l’âme survoltée ou l’air apaisé. On y parle potins boulot, dernières expos et business plan : « Alors, tu as demandé pour tester le projet en Australie ? – Non mais moi je préfèrerais les US !! ».
Les deux frontmen Maarten Devoldere et Jinte Deprez sont en pleine euphorie, décidés à s’appliquer mais naturellement débordés par l’enjeu d’une telle teuf. Pas facile d’être écoutés – quand tu es en concurrence avec la story Instagram de Kevin Morby – et de te dire que tu le serais peut-être plus dans un bar Breton de Plougastel. Maarten Devoldere s’esclaffe alors que leur manager préfèrerait qu’ils communiquent davantage avec le public. Chose promise, chose due, la foule est alors sollicitée pour s’accroupir au sol. Inutile de supplier, elle s’exécute et s’élance tous azimuts avant de danser sur les rythmes moyen-orientaux emmenés par un batteur qui a pris son instrument pour une darbouka. Cela semble ravir la capitale, qui n’en revient pas de se trémousser sur des notes aussi chaloupées. Jinte Deprez aussi tente un petit déhanché, qui ressemblerait presque à une danse du ventre. Mais nous ne sommes pas au Super Bowl, Balthazar tient à son image de groupe originaire de Courtrai, la petite ville qui se prend pour la grande. Les trois autres membres du groupe dont on devine à peine les visages sont définitivement bluffants, brillants dans la pratique de leurs instruments et solides d’une formation académique. La clôture s’annonce puissante, « Fever » est sélectionnée pour les adieux. Chantons en cœur « I’ve got the fever, every time you cross my mind ». Difficile de ne pas succomber.
Rappel – évidemment – mais ce n’est pas celui auquel on s’attend. Le saxophoniste s’avance à pas feutrés, l’instrument sanglé autour du buste, dans un faisceau de lumière qu’on lui aurait réservé comme une place handicapé. Il déguste une mélodie de jazz à l’onirisme débridé, aux frontières du cliché, Coltrane dans nos pensées. L’instrument réverbère, il attrape toutes les lumières, se félicitant, à quelques minutes de la fin, de son effet salutaire. Maarten Devoldere décide d’en rajouter à la guitare et au chant, spectaculaire des ombres qu’il dégage, tentacules en trompe-l’oeil qui cavalent sur l’humanité. Côté cour, côté jardin, les souffles sont coupés. Un bel adieu, on ne pouvait pas rêver mieux.
Comité invisible
Même itinéraire, même lieu et presque même heure. L’ambiance a changé, évidemment, il y fait plus calme et moins chaud. Mais le petit opéra est toujours plongé dans le noir, son majestueux plafond circulaire, à la couverture dorée, réfléchit les lumières du plateau technique, comme un soleil crépusculaire. Mes pas résonnent jusqu’au petit escalier insolite en bois brut que j’emprunte pour grimper jusqu’à la loge, la salle des instants hors-champ. Le groupe se tient au milieu de trois ou quatre personnes. Maarten Devoldere et Jinte Deprez se présentent, et nous sommes alors vite emmenés à l’étage supérieur pour commencer l’entretien. Rec.
« On vient de sortir un single la semaine dernière. On a des choses en préparation mais on ne tient pas un calendrier de sorties. On bosse là dessus, derrière la scène. » me confie sobrement Jinte Deprez. Quelque chose m’intriguait, les deux gars originaires de Belgique avaient-ils grandi dans des zones déshéritées au passé industriel et ouvrier, filmées dans de nombreux films : « De la classe moyenne, on était heureux, beaucoup d’amis, c’était cool, prêt de Courtrai. C’est un endroit un peu ennuyeux, je m’en suis enfui quand j’avais 18 ans mais on était pas à plaindre. » s’enthousiasme Marten Devoldere, la tête posée au creux de la main.
En théorie, il y a un truc sur lequel on ne peut pas se planter, Balthazar est un groupe de poètes. Et c’est une musique de professionnels, parfaitement arrangée et difficilement classable. Ça fait penser à un truc mais on ne sait pas quoi. Un groupe de talent, aux influences soulignées mais à l’univers singulier. Incomparable. Une musique complexe en construction mais simple en émotions. Elle fait pleurer. Il y a un an, le groupe a pris la tangente sur son album Fever, s’autorisant désormais à danser : « C’est vrai que cet album, comparé au deuxième est beaucoup plus fait pour danser. C’est cool de travailler sur ce type d’énergie parce qu’on avait l’habitude d’être tout le temps mélancolique et de toucher les gens de cette façon. Fever est vraiment plus adéquat pour les concerts, c’est très réjouissant de voir les gens danser. On a assez pleuré. » me confie Maarten Devoldere, une grosse mèche blonde tombant entre ses yeux écarquillés. Une affirmation qui s’accorde plutôt bien avec l’une des phrases d’un morceau de leur dernier album « entertainment, what’s the world need to keep turning around ». Il l’avait cité dans une interview pour Télérama, avant d’ajouter qu’aussi longtemps que l’entertainment existera, ils continueraient à tourner. Hollywood dirige le monde ? « Oui c’est sûr Hollywood dirige le monde. La chanson n’est pas une blague bien sûr mais on l’a utilisé dans les paroles en assumant faire partie du show business, et cela ne nous dérange pas. » Et à Jinte d’ajouter : « Le plus drôle c’est que l’industrie l’a choisi comme single. On écrit une chanson qui parle de divertissement et elle est désignée comme un atout par la maison de disques. »
Convergence d’opinions mais divergence de réactions, l’un cherchant du soutien et l’autre des réponses. Ils sont comme deux étrangers mais il y a tout de même une complicité, chaleureusement retrouvée sur la question de la place de la culture dans la fraction idéologique et géographique Flamands / Wallons : « Je crois qu’il y a un petit fossé mais il est en train de se réduire… c’est particulièrement le cas pour le rap parce qu’il y a beaucoup d’artistes flamands dans cette industrie et ils se soutiennent entre eux. C’est très bien en somme, il ne devrait pas y avoir de fossé ». Si les artistes côté wallon connaissent un rayonnement important en France, qu’en est-il de ceux – si tant est qu’ils existent – qui vivent côté Flamand ? « L’artiste qui fait actuellement notre première partie, Eefje de Visser, est néerlandaise et chante en néerlandais, et lorsque nous l’annonçons dans un autre pays, le public semble surpris, ils se demandent pourquoi on a pris une chanteuse néerlandaise. Je crois que cela dépend du style de musique et si le genre nécessite une compréhension obligatoire des paroles. Si tu ne comprends pas un morceau de rap c’est compliqué… Alors que si c’est une musique plus atmosphérique, c’est différent. Je n’ai pas l’impression que les gens comprennent nos paroles par exemple, et je pense qu’ils apprécient plutôt la mélodie. Mais c’est évident, les groupes qui chantent en néerlandais n’ont pas un grand rayonnement en dehors de leur pays. » argumente péniblement Jinte Deprez. Question de compréhension donc.
Détruire le mystère
On croirait des timides, n’ayant que la musique pour se dévoiler. Maarten Devoldere se pose en écueil, mes mots agonisant dans le fracas du ressac. Fatigués sûrement, partisans de l’adiaphorie peut-être. En agissant avec l’indifférence, ils étaient mous pendant l’interview, acceptant les choses comme elles sont, comme elles vont, justifiant leur cours, sans jamais questionner ni leurs états ni leurs raisons. « Le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté », disait Antonio Gramsci pour s’y opposer. Leurs albums, en particulier Thin Walls, s’imposaient comme un véritable bréviaire, riches de ses enseignements. L’œuvre séparée de l’artiste.
Ils étaient en décalage avec le moment présent et un petit peu avec le temps, livrant pour terminer leur opinion sur les réseaux sociaux : « Ils peuvent rendre la tâche plus difficile. C’est le cas pour nous parce qu’on n’a pas grandi avec. C’est le mystère entourant le groupe qui me manque. Si l’on prend l’exemple des Beatles, les informations les concernant sortaient dans des journaux papiers mais il y avait tout de même une zone de mystère qui les entourait. Maintenant on a accès à l’intimité des groupes, jusque dans les coulisses, je ne suis pas particulièrement fan de ça. On l’utilise parce que l’on a pas le choix, c’est le show-business… Après cela dépend, pour une artiste comme Angèle qui a son propre style et qui utilise Instagram de façon humoristique, l’outil prend alors un sens et devient intéressant à exploiter. On doit s’y habituer et réfléchir à la façon dont on va l’utiliser, je ne dirais pas que c’est plus difficile mais c’est différent, et ça détruit le mystère… ». Soupirs. Trêve de bavardages, la jauge sera bientôt remplie. Je les quittais à peine servis et regardais le public agglutiné sous la pluie, qui n’attendait qu’à être conquis.
Photo en une : Balthazar – Crédits Athos Burez
tres bon article ! ….découverts avec l’album » rats » peut on etre française , avoir 67 ans , découvrir des « musiques » qu’il ne me faut pas me demander de classer …d’une parce que j’en suis bien incapable , second parce qu’il serait temps d’arreter de « mettre dans des cases » définies une fois pour ttes . j’ai fait » gouter » ou « découvrir » Balthazar à mes fils 44 et 37 ans et musiciens amateurs …qui me font découvrir leurs « pépites » …. Voilà ! « pépite » c’est le mot . la scène belge/flamande a bien de grands artistes , en musique , cinéma , théatre … l’interview post raclée m’a attirée . mais je suis encore à me demander comment peut on passer à coté ? ici il y a » taratata » malheureusement interrompu , puis force de soutien la revoilà . bien sur bcp » d’anciens manquent à l’appel » mais cette génération est une belle relève ou plutot une continuité . on s’y arrete ou pas …. Merci de votre article et vivement d’autres concerts en france !