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Austra, le grand chamboulement

Théâtrale, enfantine, merveilleuse, clubbeuse… la pop d’Austra est un peu tout ça à la fois. Quand elle ne nous oblige pas à descendre la totalité du paquet de mouchoirs avec ses chansons à fleur de peau, elle a peu d’équivalents pour nous redonner l’envie de danser, en oubliant tout le reste. A l’occasion de la sortie de son nouvel album « HiRUDiN », on a discuté avec la Canadienne.

Onze articles depuis 10 ans dans nos lignes, entre chroniques et écoutes studieuses de sa musique, une captation live réalisée par notre équipe à Rock en Seine en 2011 (!) à une époque où elle clamait déjà « Young & Gay », une session de son titre « Home » en 2013 au Nouveau Casino, une interview en 2013, des actualités relayées régulièrement… Sans parler de toutes les discussions enflammées qui nous animent à la seule pensée de cette artiste foutrement unique. En 2020, on a même diffusé son Concert à la Maison, en collaboration avec Arte Concert, en plein confinement. Voilà ce que notre média a prouvé de son amour pour Austra en une décennie. L’artiste nous émeut et, à notre façon, on essaie de lui rendre. Sans semi-mesure.

Mais peut-être ne nous suiviez-vous pas à l’époque où Over-Blog et Dailymotion étaient nos canaux principaux de communication. Où MySpace révélait les stars de demain (OK Boomer). Où Facebook était encore un épiphénomène (ça devient gênant). Alors, permettez-nous de revenir un peu en arrière. Originaire de Toronto, en Ontario (Canada), Austra est l’œuvre de sa tête chercheuse Katie Stelmanis qui a choisi son deuxième prénom cosmique comme nom de scène. Issue de la musique classique, elle suit des cours de piano dès l’âge de 10 ans. Imbibée à la maison des disques de Frank Zappa, Bob Dylan ou Kate Bush que ses parents écoutent sans trêve, elle découvre des voix, des textes. Elle dirige ensuite ses oreilles vers le rock, orchestral ou plus lourd, de Radiohead à Björk en passant par Nine Inch Nails. En 2007, le groupe est fondé, au détour des envies de sa grande dame, et suit les routes de la pop et de la musique électronique, son clavier MIDI jamais très loin. Les fans de Caribou, MGMT, TR/ST ou tous les casse-cou qui aiment effacer les frontières entre chansons pop au coin du feu et tubes dancefloor de 4 du mat peuvent être rassurés.

Il est des formations qui vous touchent au cœur et dont les fans restent étonnamment fidèles. De celles-ci, on retient souvent la passion brute, taillée dans une roche rugueuse, pas encore polie. Surtout, Austra est une de ces artistes qui nous rappellent que la voix est l’instrument qui peut nous bouleverser avec le plus de puissance. On l’affuble du surnom de prêtresse, tant son charisme est mis au service de ses rituels. On note aussi sa capacité à émerveiller. C’est peut-être parce que sa musique a le pouvoir de réveiller l’enfant qui est en nous. L’explorateur·rice aussi.

Austra c’est aussi la continuité de la culture queer, qui ne se départit à aucun instant de son homosexualité et qui, c’est même l’inverse, la revendique dans son art à l’instar de ses aîné·e·s Big Mama Thorton, Frankie Knuckles, Mykki Blanco, The Black Madonna et on en passe. Au moment où le groupe est lancé, l’annonce de son coming out est moins chose commune qu’aujourd’hui. « Lesbienne dans une bande gay », elle chante sa « queer music », forte et théâtrale et qui, sans s’éloigner de son histoire personnelle, sonne universelle.

Son dernier album Future Politics s’intéressait aux « structures de pouvoir externes qui façonnent la société » au moment de l’élection clownesque de Donald Trump, dans les Etats-Unis limitrophes et atrophiés (limitrophiés ?) de 2016. Le retour dont elle nous gratifie en 2020 n’a pas la même direction. On retrouve sa capacité à se confier au plus intime (peut-être plus que jamais) et à nous foutre un petit coup de fouet bien senti avec sa pop club (qui embellit les fin de sets suants, et dont une Jeanne Added, aidée d’un producteur comme Don Turi, ne serait pas étrangère). Son nouvel album s’appelle HiRUDiN et se passerait de blablas si ça n’était pas justement notre corps de métier. Saletés de journalopes. Mais qu’il est beau ce nouveau disque. Onze titre gracieux et risqués, parce qu’elle s’est séparée d’une bonne partie de ses collaborateurs, et qu’elle a confié le boulot d’instrumentations à des groupes de musiques contemporaines, modales kurdes, classiques, comme c_RL ou Kamancello, sans parler d’une chorale d’enfants, des co-producteurs externes Rodaidh McDonald et Joseph Shabason, ou encore David Wrench et Heba Kadry pour le mixage et le mastering du disque, ce qui, de son propre aveu l’ont complètement revitalisée.

Dans l’entretien qui suit, on évoque ses dernières années de composition et l’annulation de sa tournée actuelle. On ne vous fera pas l’affront supplémentaire de chronique ce nouveau disque. Reste que certains singles ne peuvent pas vous passer derrière l’oreille : dans « Risk It » un chœur de cuivres élève le désespoir de la rupture (et où elle y chante “I feel ashamed / It feels insane to seek you endlessly / Late night Remedy / But girl, I just can’t let you go”) ; « Anywayz » traite de la prise de conscience d’après rupture où « le reste du monde est indemne comme si rien n’avait changé » ; sur « Mountain Baby » l’artiste montréalaise Cecile Believe lui prête main forte dans un flashback amoureux, entre joies pures et incertitudes – avec la participation de la chorale des élèves de l’école publique Wilkinson de Toronto où la mère de Katie est enseignante.

Katie a bien voulu répondre à nos questions, et nous la remercions chaudement. A vous.

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Crédits photo : Virginie Khateeb

Interview : Austra

La composition de ce nouvel album a été pour toi l’occasion de faire le point. Peux-tu me parler un peu des réflexions que tu as menées ?

Après avoir fini mon précédent disque Future Politics, j’avais l’impression d’avoir été au bout d’un processus. Surtout, je savais déjà ce que je voulais pour la suite et ce dont j’étais capable. Dès le départ, je voulais que sur mon nouvel album HiRUDiN il y ait plus de collaborations, et il s’est trouvé au final qu’elles ont été la source d’inspiration principale pour en faire un disque cohérent. Au début, je ne savais pas vraiment avec qui j’allais bosser, donc j’ai juste organisé des tonnes de jams avec différents artistes, comme des speed dating. Ainsi j’ai pu voir ce qui matchait. L’idée était aussi de me faire une meilleure idée de ce que c’était qu’une collaboration – parce que je n’en avais jamais vraiment fait avant.

Tu as aussi voulu sortir de certaines relations relativement toxiques, comme tu l’as dit à quelques reprises dans les médias. De quelle manière l’étaient-elles ?

J’étais dans quelques relations, créatives et personnelles, qui me semblaient très déséquilibrées. Je ne prenais plus de temps pour moi, dans le seul but que ces personnes se sentent plus valorisées et bien dans leur peau, et pendant une période qui a duré quelques années, ça a commencé à me peser. Ça m’a pris du temps d’être assez courageuse pour stopper ces relations, mais je suis fière de l’avoir fait parce que ça m’a ouvert des portes à de nouvelles sources d’inspiration. Je ne pensais plus que c’était possible.

Le processus de création est toujours quelque chose de très personnel. En tant qu’artiste, comment concilies-tu cette démarche intime avec les conseils d’un large nombre d’individus, dont ceux qui ont participé à la composition de ton disque ?

Même si ce disque est très collaboratif, j’ai souvent bossé toute seule. Le process complet, c’est moi qui travaille de mon côté, puis avec d’autres gens, ensuite seule à nouveau, etcetera. De toute manière, quand j’en viens à écrire des chansons et des mélodies à partir de rien, j’ai vraiment besoin d’être seule. Sans parler de l’étape, très solitaire, de faire tout le montage son et les ajustements, que j’adore.

La composition d’un album personnel et introspectif est-elle plus fatigante, émotionnellement et physiquement ?

Les textes les plus personnels de l’album étaient en réalité ceux que j’ai eu le plus de facilité à écrire, parce qu’ils se sont simplement, d’une certaines façon, déversés. Par exemple, la chanson « All i wanted » a été écrite en moins de 10 minutes et c’est probablement le titre le plus brutalement honnête que j’ai jamais écrit. Si je dois me forcer à écrire des paroles – ou plutôt réfléchir à ce que je veux dire – c’est bien plus difficile, et les résultats sont souvent, en terme de paroles, bien plus obscurs.

Sur ce nouvel album HiRUDiN, tu joues avec un groupe d’improvisation classique et contemporaine, nommé c_RL. Ta façon de répéter et bosser avec eux a dû être assez différente que d’ordinaire. Peux-tu me raconter ?

En fait, je n’ai fait aucune répétition avec c_RL, ce qui était d’ailleurs très cool. Je les ai juste invitées au studio et elles ont immédiatement commencé à jouer sur les morceaux après les avoir écoutés à peine une ou deux fois. Alison et Germaine sont toutes les deux de phénoménales musiciennes, elles sont capables d’ajouter des textures et des idées à des chansons super facilement, et elles m’ont laissé une montagne de matériel sonore pour bosser sur le disque, et même au-delà.

Le duo Kamancello joue habituellement, avec son violoncelle et son kamânche, de la musique modale kurde. Tu connaissais leur musique avant de les rencontrer et d’ajouter leur musique à ton disque ?

J’écoutais la musique de Shahriyar [Jamshidi, le joueur de kamânche, ndlr] avant de rencontrer Kamancello, et j’écoutais bien sûr les enregistrements de Kamancello. Après, je n’étais pas préparée à ce qu’ils apporteraient en studio. Encore une fois, ça a été le résultat de deux incroyables instrumentistes et d’improvisateurs tellement créatifs.

Il y a toujours eu cette magie presque « enfantine » dans ta musique. Les chœurs d’enfants sont à ce propos une preuve de cette impression. On te l’a déjà dit ?

D’une certaine façon oui, j’aime penser qu’il y a quelque chose de magique dans la musique que je crée. J’ai carrément un penchant pour créer des choses qui sonnent théâtrales, peut-être même hors du commun. En tout cas, faire de la musique qui sonne toujours enfantine, étant une artiste trentenaire, est extrêmement excitant.

Dans tes disques, on retrouve souvent des chansons composées pour le dancefloor. Est-ce que la danse t’a aidée dans les moments difficiles que tu as traversés ?

Quelques fois, quand j’écris de la musique au studio, j’oublie que même dans un concert un peu calme, beaucoup de gens viennent voir Austra parce qu’ils veulent danser. Mais je prends énormément de plaisir à faire passer dans le show une grosse dose d’énergie. C’est facile de tomber dans l’introspection et le sentimentalisme, mais j’aime toujours avoir au moins une ou deux chansons avec le potentiel nécessaire à une grosse transe dans la salle.

Dans cet album, tu parles d’insécurité dans ta vie, en tant que lesbienne. As-tu vu des changements de comportements depuis le début de ta carrière de musicienne ?

Absolument. Quand j’ai commencé à faire de la musique sous le nom d’Austra, il y avait très peu d’artistes qui révélaient publiquement leur homosexualité. Aujourd’hui, en 2020, il est rare de trouver un artiste qui ne s’identifie pas au spectre queer d’une quelconque façon, ce qui est vraiment génial je trouve.

Dans cette étrange période, prends-tu le temps de réfléchir à des façons alternatives de vivre, en tant que musicienne, ou tout simplement être humain ?

Être confinée n’est pas si différent de ma vie d’autrice. Je passe le plus clair de mon temps à cuisiner et passer des heures au studio, ce que je fais actuellement d’ailleurs. La chose frustrante est certes de ne pas avoir de contacts humains, ce que j’adore faire au moins 10% de mon temps et puis c’est une source d’inspiration importante. Ah et bien évidemment, je serais supposée être en tournée actuellement, pas en studio. Mais je suis largement privilégiée, j’ai accès à tout ce qu’il me faut et ce qui est nécessaire, même si c’est une période stressante.

Qu’est-ce qui te manque le plus en ce moment ?

Mes amis me manquent ! J’aime voir les gens, me connecter à eux et les toucher alors clairement je crève d’envie de les voir plus que je ne l’aurais jamais cru.

Crédits photo en une : Virginie Khateeb

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