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Au soleil levant de la house rennaise

La scène house rennaise se mobilisait une fois de plus en février dernier pour le projet de compilation caritative mené par Théotime Lambert en faveur de l’association humanitaire Utopia 56. En deux volumes, 26 producteurs démontrent le succès grandissant de la house music à Rennes, un style présent dans la ville depuis les années 90, mais qui a longtemps vécu dans l’ombre de la techno et de la culture rave bretonne. Nouveau projet fédérateur et bénévole, La House rennaise invite à un tour d’horizon de cet écosystème local.

Le 21 février dernier sortait le second volume de La House rennaise, une compilation de producteurs locaux dont les bénéfices sont versés intégralement à Utopia 56, association d’aide aux migrants et aux personnes victimes de grande précarité. C’est l’occasion d’une discussion avec l’initiateur du projet, Théotime Lambert, également DJ du collectif La Rennes des Voyous sous l’alias Timéo. Il est accompagné de Blutch, DJ et producteur house breton protégé du festival Astropolis (dont Sourdoreille vient de produire le dernier clip), et qui a réalisé le mastering des deux volumes de la compilation. Pour élargir la perspective, on a aussi posé quelques questions à Chris M., alias Azano, doyen de la scène rennaise actuelle qui créait son collectif Silteplay en 1998.

1 - Théotime Lambert Timéo LHR DR Château d_Apigné 2018

Théotime Lambert aka Timéo © DR

2 - BLUTCH LHR C Adrien Henninot LE HAMEAU 2017 BLUTCH

Blutch © Adrien Henninot

3 - AZANO LHR C Adrien Henninot LE HAMEAU 2017

Azano © Adrien Henninot

SUGGESTION COVER LA HOUSE RENNAISE AXEL F YANN POLEWKA _ EVENN RIVAGE 2019

Yann Polewka & Evenn © Axel F

SUGGESTION COVER LA HOUSE RENNAISE LE HAMEAU 2017 Adrien Henninot - BLUTCH _ RINGARD

Blutch & Ringard © Adrien Henninot

Rennes, ville de techno ?

À la sortie du premier volume de La House rennaise en mai 2020, Théotime Lambert, expliquait ce choix de direction artistique par l’envie de mettre en avant une scène présente depuis longtemps à Rennes, en plein développement et pourtant encore proportionnellement sous-représentée par rapport à la techno. « Nantes, une autre grande ville de musique électronique, est beaucoup plus marquée par la house », compare-t-il.

En 1995, lorsqu’il s’installe à Rennes, Azano fait un constat similaire. « Le son était quand même bien plus techno que house ici, même s’il y a toujours eu quelques soirées de house new-yorkaise classique en clubs. Et le son house que j’entendais dans les endroits que je fréquentais était loin des origines lentes et suaves du style. On était sur des rythmiques plus énervées, presque techno, un son qu’on retrouve sur les disques des années 2000, de la tech house, de la house progressive, et du son anglais à la John Digweed et Sasha ».

Azano se rappelle les soirées du collectif Praxis, né dans le sillon de la première Rave Ô Trans en 1992, les soirées Mobil Home à l’Ubu, plus axées breakbeat, ou de Chuck Gilmore Compagny, house progressive et trance. Il évoque le souvenir des performances très techniques de DJs comme Olivier B de Praxis, Ludo, venu du hip hop, expert du passe-passe, ou de celles du Nantais Plaisir de France, qui signait à l’époque sur le très riche label français Pro-Zak Trax. Azano raconte aussi l’arrivée du son minimal allemand au tournant des années 2000-2005, qui aurait considérablement changé la couleur de la scène rennaise.

Le DJ se remémore avec humour les réserves qui pouvaient alors s’entendre à l’encontre de la house : « Le groove était le bienvenu, mais fallait pas traîner trop sur les violons, les saxos, ou les voix… Tu pouvais pas passer de la house toute une soirée comme on fait maintenant, ça faisait râler. Par rapport à Nantes qui était très house, il y avait un côté plus rock’n’roll à Rennes, peut-être réfractaire à l’image classieuse et parisienne de la house à la française ». La scène électronique rennaise a, semble-t-il, toujours été partagée entre Brest et Paris, entre la rave bretonne et le clubbing des grandes villes.

Printemps de la house rennaise

Une vingtaine d’années plus tard, le visage de la scène rennaise est encore marqué par ce déséquilibre en faveur de la techno et de la culture teuf. Pourtant, l’arbre de la house a bien poussé depuis ses premiers bourgeons. Avec les années 2010, la house rennaise connaît un nouveau printemps. D’abord, aux alentours de 2011-2012, avec les soirées Raw, le collectif de Ringard et Mioshe, qui lancent en 2013 le label Dance Around 88, ou encore celles de Midi Deux (dont est issu Théo Muller) ou de Midweek. Avec ces événements, toute une génération de danseurs et de musiciens s’initie à la house qui les passionne aujourd’hui, parmi lesquels Blutch et Théotime alias Timéo.

Les six dernières années ont été fertiles pour la scène house rennaise qui s’est considérablement étoffée et diversifiée. Avant la pandémie, une dizaine de collectifs proposaient régulièrement des événements mettant en avant de la house. Sans compter les nombreux plus petits collectifs de DJs qui se produisent dans les bars et qui participent à leur mesure à la diffusion de cette musique.

Seule nuance dans cette croissance, la quasi absence de femmes à jouer de la house. Hormis Menthine et Katell, avec leur collectif Frangines & Co, et quelques projets de DJ comme le tout jeune duo Valise, la grande majorité des Rennaises pratiquant les musiques électroniques se tournent principalement vers la culture rave.

MENTHINE & KATELL LAS GATAS ELECTRONICAS

Menthine & Katell aka Las Gatas Electronicas © DR

4 - LA HOUSE RENNAISE Adrien Henninot - BLUTCH _ RINGARD 2 LE HAMEAU 2017

Blutch & Ringard © Adrien Henninot

5 - LA HOUSE RENNAISE Adrien Henninot - Cordeiro _ Sineli forment Physical Behavior LE HAMEAU 2017

Cordeiro & Sineli aka Physical Behavior © Adrien Henninot

6 - LA HOUSE RENNAISE DAVID ANTUNES BLUTCH _ HIDEM rivage 2018

Blutch & Hidem © David Antunes

7 - LA HOUSE RENNAISE DAVID ANTUNES HEAVEN _ BRENDER rivage 2018

Brender & Heaven © David Antunes

8 - LA HOUSE RENNAISE DAVID ANTUNES BLUTCH YANN POLEWKA Rivage 2018

Blutch & Yann Polewka © David Antunes

9 - LHR MÉLANIE JANIN COMME ÇA CAFÉ DES CHAMPS LIBRES 2018

© Mélanie Janin

10 - LHR MÉLANIE JANIN CLUB Z1Z1 CAFÉ DES CHAMPS LIBRES 2018

Club Z1Z1 © Mélanie Janin

11 - LA HOUSE RENNAISE AXEL F FRAMBOISIER FAJE rivage 2019

Framboisier & Faje © Axel F

12 - LA HOUSE RENNAISE AXEL F BRE TONE RIVAGE 2019

Bre Tone © Axel F

13 - LA HOUSE RENNAISE AXEL F JANKEV RIVAGE 2019

Jankev © Axel F

14 - LA HOUSE RENNAISE LAURA PARADIZE COLAS _ DJ PSYCHIATRE RIVAGE 2019

Colas & DJ Psychiatre © Laura Paradize

15 - LA HOUSE RENNAISE LA RENNES DES VOYOUS DUVERNET PHOTOGRAPHIE 2020

La Rennes des Voyous © Duvernet Photographie

Se chamaillant désormais la vedette avec la techno dans les programmations d’événements, la house rennaise s’assume en tant que telle : une musique lumineuse et festive, qui n’a rien à envier à ses consœurs électroniques quand il s’agit de mettre le feu au dancefloor. Dominant les open airs, elle s’invite aussi de plus en plus régulièrement aux débuts ou fins des rave parties et des festivals rennais et bretons. La cour du manoir de Kéroual au petit matin d’Astropolis, où s’est d’ailleurs produit Blutch en 2019, en est sans doute le témoignage le plus vibrant.

À Rennes, la house est représentée par certains des collectifs les plus actifs de leur génération : l’Organisme Texture, Flou, Pulse MSC, Turtle Corporation, plus ponctuellement aux événements de La Tangente et de Chevreuil. Une forte branche disco a aussi poussé avec les garden-parties de Bre Tone, les soirées Discotropic de Jankev, celles de La Rennes des Voyous, ou encore de Comme ça et Club Z1Z1 qui tendent vers l’italo et l’eurodance. Discrète à sa façon, mais bien présente, la micro house était mise en avant entre 2014 et 2018 par le collectif Luminare, aujourd’hui par Sacrés Cœur Musiques, qui a ses quartiers au bar La Rennes du Bal.

Pourtant, selon Timéo, la house, même si elle n’est plus tout à fait une musique de niche, « même si elle a de plus en plus de visibilité dans de gros événements, reste quand même en retrait à Rennes ». De fait, il y a quantitativement moins de soirées house dans les lieux de diffusion musicale, bars, salles de concert, clubs. Parce que les autres propositions abondent : techno, dub, drum, ou tous les sons plus directement issus de la culture rave bretonne, acid, hard techno, hardcore, et leur clique ravageuse. Aussi la house sera souvent reléguée à animer les open airs et les débuts de soirée. Retour au constat d’Azano, sur la situation rennaise il y a 25 ans.

Trop de poissons dans une trop petite mare

Cette impression sourde de Timéo que la house rennaise ne peut pas étendre sa ramure librement, malgré le dynamisme de ses jeunes pousses, peut-être s’expliquerait-elle par un problème plus général. Un problème qui touche l’ensemble de l’écosystème musical indépendant rennais, pointé du doigt par le collectif Rennes Concert en danger depuis fin 2019. Une soixantaine d’acteurs rennais dénonçait alors l’extinction des concerts dans les bars, le manque d’infrastructures accessibles aux associations musicales et le manque de soutien de la municipalité qui hypothèque pourtant sans vergogne l’image de Rennes, ville rock.

Azano a d’ailleurs été le témoin de cette extinction, après un âge d’or au tournant des années 2000. « Pendant les Trans Musicales à cette époque, presque tous les bars faisaient un plateau house et techno. Tu pouvais jouer toute la semaine ». Mais l’effet de mode passé, les tenanciers qui ne sont pas de la partie lâchent vite l’affaire. « Des lieux ouvraient quelques années, avant de fermer ou de changer d’identité », raconte Azano.

De cette période, seuls survivent Le Chantier, ouvert en 1995, QG actuel des amateurs de musique électronique à Rennes, le Combi Bar, ouvert dans les années 2000, et la salle de l’Ubu. Adieu les clubs de l’époque, La Centrale sur les quais, Le Stanley dans le quartier Saint-Grégoire, La Luna et La Villa Club sur la route de Saint-Malo. Adieu L’Almodobar, Le P’tit Bazar, Le Matuvu, remplacés par le Oan’s Pub, Le Melody Maker et le Gazoline. Adieu Les Tontons flingueurs, mythique bar à after près du canal Saint-Martin, Les Temps modernes, rue Saint-Georges, et le Café Carmès dans la même rue, où était passé Laurent Garnier en 1994.

« C’est aussi dans la cave du Carmès que les Daft Punk se sont produits pour la première fois à Rennes, en 1995, raconte Azano. Le bar a fermé à la fin des années 90. C’est un restaurant maintenant ». C’est le triste sort qu’ont connu tellement de petits bars qui ont fait la vie et l’effervescence de la scène musicale rennaise. Aujourd’hui, alors que les groupes immobiliers Giboire et Legendre annoncent l’ouverture de dizaines de coffee shops et d’établissements participant au “dynamisme culinaire” de la ville, il y a de quoi s’inquiéter que les prochains Daft Punk n’aient tout simplement pas d’endroits où jouer à Rennes…

16 - HISTOIRE HOUSE RENNAISE 2
17 - HISTOIRE HOUSE RENNAISE
18 - HISTOIRE HOUSE RENNAISE 3
19 - HISTOIRE HOUSE RENNAISE 4

Et en effet, les bars qui affirment encore leur goût et leur activisme pour les musiques électroniques commencent à se faire rares, voire à se compter avec les doigts. À peu près tous ont des problèmes avec le voisinage. Cinq salles de concert seulement accueillent des événements de musiques électroniques, selon un calendrier qui ne permet pas de répondre à toutes les demandes et à des prix bien souvent inaccessibles pour les plus petites structures. Le 1988 Live Club est la seule boîte de nuit dédiée aux musiques électroniques, mais ses trois salles sont largement insuffisantes pour héberger la centaine de collectifs de Rennes et ses environs et rendent difficilement justice à la variété musicale présente sur ce territoire hyperactif. Pour une ville de 215 000 habitants, dont un tiers de jeunes de 15 à 29 ans, le constat est alarmant.

C’est sans doute pourquoi la scène rennaise s’est d’abord construite en dehors des sentiers battus, dans l’underground. « À Rennes, on a toujours manqué de lieux pour nos soirées, on a appris à faire autrement, des soirées privées, dans des salles louées, des châteaux, des corps de ferme », témoigne Azano. Ces dernières années pourtant, la scène rennaise est parvenue à s’imposer plus régulièrement dans la vie publique, à travers des événements de plein air. Depuis les open air de Midi Deux au parc de Villejean, la pratique s’est répandue comme un rayon de soleil dans la ville. Big Love, Match festival ou encore le Made festival en proposent depuis 2015, de même que le Texture festival depuis 2017. À l’image du modèle breton Astropolis, la scène rennaise a réussi, par sa vivacité, à se faire une place dans sa ville qui fait de la capitale bretonne un des lieux de l’effervescence française actuelle des musiques électroniques.

La house rennaise, vivier de producteurs

Le projet de compilation La House rennaise confirme que le succès visible de la house dans les événements rennais s’accompagne d’une nouvelle génération de producteurs. 26 d’entre eux ont déjà participé à cette compilation caritative qui apparaît comme une vitrine de cette jeune scène. Y figurent évidemment les producteurs rennais les plus actifs et reconnus, Ringard et Blutch avec leur house à tendance electronica, DJ Psychiatre, Yann Polewka et Evenn, dans une veine plus classique, deep et acid, ou encore le nouveau projet de F.E.M, Nucleus. On y retrouve aussi certains jeunes producteurs moins chevronnés mais plus que prometteurs, tels Framboisier, Nemour, S.R, Hirah, Niuored, et Jilo. Le côté disco de Rennes est représenté par Glitter Music, Brender et Jankev.

Le second volume de la compilation a encore le mérite d’étendre le domaine de la house à ses voisins, le funk et le hip hop, et de mettre la main sur des trésors cachés de Rennes. Jaime In French, le side-project du beatmaker J-Zen, ouvre le bal. Il est rejoint par Deheb et son complice DJ Marrrtin, qui forme avec Marotti le duo Aktshun (et dont on vous raconte la rocambolesque histoire ici même). Si Marotti est bien un producteur house, Deheb et DJ Marrrtin sont eux respectivement membre et fondateur du label Stereophonk, plutôt orienté soul, funk et beats. Ce sont aussi deux vétérans du beatmaking, sous le nom Funky Bijou. Leurs compositions sont utilisées dans les plus grands rassemblements mondiaux de breakdance. Timéo caresse d’ailleurs l’idée de se rapprocher du milieu de la house dance pour imaginer de nouvelles formes d’événements, une fois la pandémie passée. Selon lui, « il y a une impulsion à donner à la house à Rennes ».

Une de ces impulsions pourrait être la création d’un label dans la continuité du projet La House rennaise, éventualité qu’envisage désormais Timéo. Il est vrai qu’à l’heure actuelle, Rennes, et plus largement la Bretagne manquent cruellement de labels pour représenter le vivier de producteurs house. Dance Around 88 et Pulse MSC, deux excellents labels ont pu prétendre un temps à cette mission, mais leur activité est en suspens depuis 2019. Jusque-là, en l’absence de structure solide en Bretagne, les producteurs rennais ont dû se tourner vers les labels parisiens ou étrangers pour sortir leur musique.

L’Organisme Texture a créé l’événement en décembre 2020 en lançant une première compilation house. Mais, de même que le collectif, le label sera partagé entre house et techno. Parallèlement, de petites initiatives personnelles ont émergé : Enjoy, créé en 2015 par Morgasm, dont les sorties incluent systématiquement des morceaux de jeunes producteurs, Meso Records, le label de Marotti depuis 2019, également ouvert aux démos. Barbecue, fondé par Blutch en 2017 pour sortir plus facilement ses propres productions, a commencé l’année passée à éditer d’autres artistes. Under Treatment, lancé il y a un an par DJ Psychiatre, suit aujourd’hui la même direction. De nouvelles fleurs apparaissent. Elles sont autant de promesses d’un avenir radieux de la house music en terre bretonne.

Photo en une : La House Rennaise @ Le Hameau 2017 Final © Adrien Henninot

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