Il y a quelques années, on s’est intéressés à la vie et l’oeuvre de Brian Shimkovitz, à l’origine du projet Awesome Tapes From Africa. Ce digger fou n’a cessé de mentionner un certain Ata Kak qui rapperait comme personne et qui aurait un groove assez louche. Après des années de recherche, le « wanted man » a sa tête mise à prix dans les festivals d’Europe au nez le plus fin. Rencontre avec le Sixto Rodriguez de la house ghanéenne, le showman aux zygomatiques bloqués sur le mode « je profite et je l’ai bien mérité », le MC qui rappe plus vite qu’il chante juste, l’ovni parmi les ovnis de Villette Sonique 2016.
Atta-Owusu est né en septembre 1960 à Kumasi au Ghana. Il a aujourd’hui 55 ans et était la tête d’affiche du samedi 28 mai 2016 à la Grande Halle de la Villette, dans le cadre du festival Villette Sonique. A cet âge-là, beaucoup de musiciens ont une longue carrière et de nombreux disques derrière eux, mais ça n’est pas le cas d’Ata Kak. Etudiant, puis tenant de bar à Kumasi, il s’installe en Allemagne pour rejoindre sa femme. Il apprend l’allemand et se remet à travailler. La musique commencera pour lui dans le groupe de reggae Majirata au sein duquel il écrira ses premières chansons, s’essaiera au chant et sortira trois albums. Pourtant, c’est à Toronto, où il s’installe en 1989, qu’il commencera à « personnaliser » sa musique.
En 1994 sort sa cassette Obaa Sima, un mélange de funk, de hip-hop lo-fi, de highlife, la musique populaire ghanéenne, et de house. Le succès ? Pas du tout, personne ne l’achète. Découragé, il reviendra à ses pénates pénard, bossera comme cuistot, creusera des trous pour installer l’eau, donnera des cours de musique à l’église. Jusqu’à ce qu’un jour en 2009, par un des hasards les plus happy endiques que notre monde sait trop rarement enfanter, un certain Brian Shimkovitz, digger de Brooklyn passionné de musiques africaines, tombe sur la fameuse cassette lors d’un voyage au Ghana. Sous sa structure Awesome Tapes From Africa, il met la lumière sur ces artistes indépendants dont le talent n’a besoin que d’oreilles pour les écouter.
lire notre portrait : Awesome Tapes From Africa
Comment la musique est entrée dans ta vie ?
Mes débuts dans la musique étant enfant étaient très innocents, pas intéressés. Jusqu’à mon adolescence où j’ai commencé à être vraiment fasciné par la musique, à aller en concerts, à écouter de la highlife music, comme on l’appelle, et de la funk. Nos influences venaient principalement des USA mais aussi de la pop anglaise. À un moment, j’en suis venu à me persuader que je pouvais devenir Michael Jackson. Ce mec était populaire partout dans le monde. Si tu écoutes bien mes morceaux, de temps en temps tu peux tomber sur un petit Yiihi ou un Whao très aigu, eh bien tu sais d’où ça vient.
La musique était partout autour de toi ?
Il y a une chose qu’il faut savoir à propos des Africains : on n’a pas l’habitude d’aller à l’école pour apprendre la musique. Par exemple, je suis aussi percussionniste. Mais personne ne m’a jamais appris à apprendre le rythme, je m’y mettais simplement de moi-même. Parce que quand t’es gosse, tout est un objet de percussion : une cloche, un mur, du plastique, etc. C’est plus simple pour les percus parce que si tu veux apprendre le piano ou la guitare, tu dois apprendre les notes, pas la batterie.
Tu joues d’autres instruments ?
Je joue un peu de la basse, mais je suis assez mauvais.
Comment en es-tu venu à écrire ta propre musique ?
Quand je me suis installé en Allemagne, j’étais batteur dans un groupe de reggae. Le problème, c’est qu’on n’avait pas de chanteur. Quand je suis devenu assez bon à la batterie, j’avais l’habitude d’installer un micro à côté de moi et de chanter. Un jour, je leur ai dit que je voulais écrire mes propres textes, ce que j’ai fait. C’est ma première expérience. Ensuite, j’ai quitté l’Allemagne pour le Canada, et y ai découvert la culture nord-américaine de la pop et du funk. A un moment, on m’a parlé d’un gars nommé Grandmaster Flash. J’ai écouté et je me suis dit : « eh, peut-être que je pourrais faire ça, mais dans mon langage, avec mon flow. » Alors, j’ai enregistré dans mon appartement avec des micros chopés à droite à gauche.
« Personne ne me connaît au Ghana sauf ma famille. » Ata Kak
La cassette Obaa Sima enregistrée en 1994 est l’une des raisons pour lesquelles tu es ici au festival Villette Sonique. Qu’est-ce que signifient ces deux mots ?
« Obaa Sima » signifie « Femme Idéale ». Laisse moi expliquer ce qu’est une femme idéale : la femme idéale n’est pas uniquement celle qui a l’air belle, mais celle qui a quelque chose de caché. C’est une autre beauté, dans l’invisible.
Peux-tu me raconter l’histoire derrière Obaa Sima ?
En Allemagne, j’écrivais des chansons de reggae en anglais. J’ai petit à petit trouvé ça très facile d’écrire des chansons. C’est pourquoi l’écriture d’Obaa Sima ne m’a pas pris beaucoup de temps. Par contre, l’enregistrement n’a pas été simple, parce que j’ai tout fait quasi tout seul, le synthé, les boîtes à rythmes, et je n’y connaissais pas grand chose, j’ai joué à l’ingénieur du son et ça m’a bien servi depuis. La seule personne qui a participé en plus était une fille qui faisait les chœurs.
« Le mec m’appelle et me dit ‘Bonjour,
je suis Brian, j’appelle des USA. Je suis
intéressé par ta musique et je
te cherche depuis 8 ans.’
J’ai crié « tu te fous de moi ? »
Ata Kak
Au Ghana, si tu n’es pas ingé-son, c’est compliqué de faire enregistrer ta musique ?
Tout dépend de la vitesse à laquelle tu apprends. J’ai dû vite apprendre.
Obaa Sima est ton seul matériel sonore qu’on peut trouver facilement sur internet. Mais j’imagine que depuis 20 ans, tu as dû composer une montagne d’autres morceaux jamais sortis ?
Pas du tout. Quand j’ai sorti Obaa Sima, je n’ai pu en tirer aucun bénéfice. Rien. J’étais découragé. Je me suis dit, « laisse tomber, tu n’es pas bon là-dedans. » Si quelqu’un m’avait aidé à vendre, j’aurais composé énormément de disques. Maintenant que les bonnes nouvelles sont arrivées, je pense bientôt me remettre au travail. C’est tellement nouveau ce que je vis.
Entre le moment où tu composes Obaa Sima et ta rencontre avec Brian Shimkovitz d’Awesome Tapes From Africa se passent 8 ans. Tu fais quelques concerts au Ghana ?
Non, je n’ai jamais rien fait au Ghana. Personne ne me connaît au Ghana sauf ma famille.
Comment a évolué le système de distribution musicale au Ghana ?
Ça va dans le bon sens. Dans ma jeunesse, c’était le vide total. Aujourd’hui, on a des distributeurs et des gens prêts à acheter de la musique. Si l’évolution est constante, je ne peux être qu’optimiste.
Peux-tu me raconter ta rencontre avec Brian Shimkovitz ?
En fait, c’est lui qui m’a appelé des Etats-Unis : « Bonjour, je suis Brian, j’appelle des USA », je pensais que c’était une mauvaise blague, et il a continué : « je suis intéressé par ta musique » j’étais surpris parce que je pensais qu’elle n’intéressait personne. Puis il a ajouté : « je te cherche depuis 8 ans. » J’ai crié « tu te fous de moi ? » Il m’a répondu : « je suis allé au Canada deux fois, je ne t’ai pas trouvé, je suis allé au Ghana, je ne t’ai pas trouvé, je suis allé en Allemagne, je ne t’ai pas trouvé. » Je ne le croyais toujours pas. Il m’a retrouvé parce que mon fils habitait au Canada. Il a contacté mon fils sur internet et mon fils lui a filé mon numéro. Et me voilà. Je profite de chaque instant aujourd’hui. C’est nouveau pour moi d’être écouté.
Quels ont été les premiers effets positifs de la remasterisation, la signature et la réédition de Obaa Sima sur Awesome Tapes From Africa en 2015 ?
Les propositions ont commencé à arriver. Je suis actuellement en tournée dans plusieurs pays en Europe, je joue au Sónar à Barcelone, au Field Day à Londres, à la Villette Sonique évidemment, mais aussi en Belgique, en Finlande, aux Pays Bas, en Italie, etc.
Que penses-tu plus globalement du travail de Brian Shimkovitz au sein d’Awesome Tapes From Africa ?
C’est gigantesque ce qu’il fait. Pour plein de raisons, énormément de musiciens underground ne feront jamais connaître leur musique parce qu’ils n’ont pas les bonnes relations.
Peut-on dire que dans un monde meilleur, où les musiciens indés auraient tous leur chance de percer sans connaître personne, il n’y aurait pas besoin d’un Awesome Tapes From Africa ?
Certaines personnes croient en la chance. Quelqu’un m’a dit ça cet après-midi : « tu es chanceux, toi. » Peut-être que c’est vrai que je suis chanceux parce qu’il y a beaucoup de gens, partout dans le monde, qui vivent la même galère que j’ai vécue. A vrai dire, même si le monde allait mieux et que les artistes avaient moins de mal à percer, je souhaiterais qu’il y ait plus d’Awesome Tapes From Africa. En tout cas, je connais le sentiment d’être vraiment underground. Maintenant que j’ai percé, je remercie Dieu. Désormais, the sky is the limit.
Retrouvez Obaa Sima
en entier juste ici
Crédits photo en une : Mattis Heurlin
0 commentaire