Ça faisait déjà quelques années que ce duo rennais piquait notre curiosité. En l’espace de deux EP, on avait découvert Simon Carpentier et Victor Solf alias Her, leur liberté crâne de faire cohabiter soul, électro et interludes en allemand, leur folle sensualité, leur évidente complémentarité, et on n’attendait qu’une chose, en entendre plus. Et voilà, leur premier album est enfin sorti, ce printemps. On ne va pas faire durer le suspense : on l’aime. On les aime.
Drôle de sensation au moment d’écouter l’album de Her. De l’envie, oui, de l’impatience, mais aussi comme une pression, presque de la peur. Pas que ce disque nous déçoive, on a un bon pressentiment et on leur fait confiance. Plutôt une peur bizarre, un peu rare heureusement, la peur de l’émotion. Normalement, quand la musique est ce qui nous fait lever le matin, c’est l’inverse. C’est elle qu’on recherche, qu’on espère dès qu’on appuie sur « play ». Mais comment faire quand avant même d’entendre le moindre titre, l’émotion est déjà là ? Quand, elle nous submerge presque et menace d’engloutir tout le reste ?
Simon Carpentier est mort. Le 13 aout 2017, le cancer contre lequel il se battait depuis plusieurs années l’a emporté. Il avait 27 ans.
Alors on a respiré un grand coup, on a écouté, et ça a donné plein de choses. Evidemment, et sans lutter d’ailleurs, on a pensé à Simon, sans qui pas une seconde ce disque n’existerait. Mais pas question de laisser le chagrin parasiter le plaisir. Car dans ce disque, on sent du plaisir. Et on en prend. Une force, une dynamique. De la joie, ça ne fait aucun doute. Comme un shoot d’énergie, pour tout faire, pour ne pas se laisser faire, pour cogner les saloperies comme dans un punching ball et tenter, sans exception, tous les coups.
« We choose » retient notre attention. On apprend que c’est la toute première chanson écrite par Simon et Victor, il y a quatre ans. On la croirait écrite il y a quatre jours. C’est troublant parfois, comme on fait les choses, avec sincérité, sans arrière-pensée, sans se demander exactement ce qu’elles vont devenir, et comme un jour elle font sens. Un autre sens, un nouveau sens, peut-être celui auquel elles étaient finalement destinées depuis toujours.
« We refuse to be the one dying ». Ce refrain reste, pénètre.
Le clip, en noir et blanc mais avec toutes les nuances de gris (sans mauvais jeu de mots) que ce format comporte, avec un Victor qui plie mais ne rompt pas, qui penche mais garde l’équilibre, est à l’image de l’histoire de Her, de notre histoire avec eux. Il fait le choix de la beauté, mais n’oublie pas le prix pour y parvenir.
Si vous voulez une bande son pour vous engueuler, oubliez cet album. Les chansons de Her sont faites pour s’aimer, pour se toucher, pour se réconforter.
« Neighborhood » prône la solidarité, la bienveillance, l’unité.
La voix de Victor ne cesse d’être sensuelle que quand elle est carrément sexy. La coquine. C’est un peu la cousine de George Michael. Elle est de ces voix qui ont toujours su, bien avant les cours d’anglais, que « soul », ça voulait dire « âme ».
Quand il a fallu finir ce disque à tout prix, Victor ne s’est peut-être jamais senti aussi seul. C’était peut-être aussi un peu thérapeutique, qui sait. Aujourd’hui, parce qu’il n’a pas lâché, pour des raisons évidentes et aussi sans doute plein d’autres qui ne regardent que lui, l’album de Her existe et ne sera pas oublié. Il est un hymne à l’amitié, car il est le résultat de ça, d’une amitié, d’un attachement, d’un amour. Il transpire de cette force vitale avec laquelle il a été écrit, joué, enregistré. A deux ou seul. Il est entre énergie et retenue, il est fait de cette pudeur juste, qui n’enferme jamais l’émotion mais qui n’appuie pas là où ça fait mal et juste pour faire mal.
Est-ce que ce premier disque sera aussi le dernier ? Peut-être, probablement même. Sous cette forme en tout cas. Si ça nous peine, on est aussi quelque part heureux, et privilégiés d’avoir vécu ça, de les avoir suivis et vus éclore. On espère que Victor continuera, après s’être reposé, après avoir, ça aussi on le souhaite, pu profiter du succès, simplement, sans être écrasé par rien, sans devoir défendre aucun héritage, parce qu’il mérite qu’on parle de lui pour lui, parce que c’est un grand chanteur, comme il le démontre sur scène, grand, élégant, habité, intense, tel qu’il a toujours été.
Les derniers mots de Simon sur l’album sont « don’t lose hope ». Ne perds pas espoir. Un conseil, presque un ordre.
La double Mort de Simon Carpentier
Qui a pu manquer de voir la moitié restante du duo Her se répandre en ah“mon frére d’armes”
et en “je continue pour Simon”et autres déchirantes déclarations d’émotion fraternelle, la pommette vibrante et le regard voilé ?
Pourtant il est à présent urgent d’ éliminer son défunt frére d’armes, celui qui lui offrit “Union » pour ses noces et écrivit « 5 minutes”
A la chanson“ Are you still here ?” répondent aussitôt les photos de promo de la tournée de leur unique album.
Entre amputation et tour de passe-passe , elles revélent un Victor flanqué d’une masse grise indifferenciée, un blob sans visage..
Car c’est toujours ainsi que le Vice rend hommage à la Vertu