Il fut encore un temps, pas si lointain, où l’on s’entichait d’un artiste par la grâce d’un album et pour sa cohérence globale. Soundcloud ou Bandcamp étaient encore des erreurs 404. Peu importe le nom d’une chanson, on parlait de la 4, la 2 ou 6, en fonction de la position des titres sur le disque. Aujourd’hui, il faut être fan d’un artiste pour évaluer la manière dont il a construit son disque. Dans ce cas précis, la chanson d’intro est bien sûr décisive. Et à ce petit jeu, An Pierlé est une reine.
Cela deviendrait presque un gimmick : chaque disque de la jolie Belge démarre en effet par sa plus belle chanson. Dans le cas du premier album « Helium Sunset » paru dès 2002, c’est Sorry qui a retourné d’entrée notre cervelle. Une ballade au piano qui dévoile l’ADN de l’artiste : prendre son temps et ne jamais craindre les silences, libérer sa voix, briser le rythme pour provoquer la rupture. Tout An Pierlé est là. C’est ainsi que l’artiste dévoile les premières cartes d’un disque sur lequel on n’usera pas de superlatifs inutiles. Vous avez compris.
En 2006, rebelote. Cette fois, An s’entoure de son White Velvet, avec son compagnon de vie et de scène : Koen Gisen. Plus étoffée et lyrique, sa musique reste un magistral trompe l’oeil. Faussement douce. Robuste et fragile. Là encore, la chanson d’introduction réserve les plus beaux frissons.
Après « Hinterland » paru en 2012, toujours avec les White Velvet, il est temps de revenir en solo. An assume alors le besoin urgent de se retrouver seule face à son piano. Sa nouvelle maternité, qu’elle qualifie d’« étincelle », dicte désormais son rythme de travail et ouvre forcément les perspectives. Inévitablement, elle consacrera un titre, Heart Of Winter, à ce nouveau statut de mère.
Le processus de création est parfois éprouvant, mais accouche d’un disque d’une délicatesse rare. Et c’est encore une fois le titre d’ouverture, sa force et son amplitude, qui nous laissent le cul par terre, pour rester poli. Ce The House Of Sleep avait été proposé au Laboratoire des curiosités lors de son passage aux Bars en Trans, cet hiver. Sans filet, avec l’engagement et la fougue qu’on lui connait en live. Comme on l’aime, en somme.
Hors des modes, hors du courants, on a toujours considéré An Pierlé comme une chanteuse intemporelle. C’est d’ailleurs en voyageant dans les époques qu’elle s’est fait connaitre ici, en France. Grâce à Il est 5h, Paris s’éveille, une reprise de Dutronc, qui lui offre un abonnement illimité sur les ondes de France Inter. On retrouve encore son art de la reprise dans ce nouvel album, avec Such A Shame, titre phare des années 80, qui focalisera probablement une nouvelle fois l’attention médiatique. C’est sans doute dommage.
Tout au long de ce « Strange Days », An Pierle ne surprend peut-être pas. Mais elle confirme. Quand on situe le niveau de ces précédents disques, c’est déjà beaucoup. Les figures tutélaires Tori Amos ou Kate Bush peuvent la laisser tranquille : elle se débrouille si bien toute seule.
Crédit photo : Athos Burez.
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