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An Pierlé : « Je voulais explorer »

Quand Sourdoreille a fêté ses dix ans au printemps dernier lors d’une série de concerts, nous avions invité An Pierlé. Elle était, à nos yeux, la reine du week-end, un formidable cadeau que l’on s’offrait à nous-mêmes, avant même de penser au public. Car pour nous, cette fille-là compte beaucoup. Ses chansons, qui mêlent l’élégance du classique et l’évidence pop, sont des trésors trop bien gardés et on s’en désole. Elle aussi, parfois. Même si, pour une artiste de cette trempe, l’essentiel est ailleurs. Il se situe dans l’exigence d’un parcours où elle n’a eu de cesse de se mettre en danger. Comme dans « Arches », un dernier album composé autour d’un orgue. Rencontre avec notre Belge préférée.

An, l’idée de faire un disque autour de l’orgue remonte à loin, non ? 

Oui. J’ai commencé en 2012. J’étais compositrice de la ville de Gand pendant deux ans. Le principe est d’inviter un artiste à intervenir tout au long de l’année et lors d’événement spécial. C’est l’occasion de mieux faire découvrir la ville. Moi, j’avais envie de faire quelque chose avec un orgue d’église. Sinon, tu ne peux pas le faire, car les églises sont très protégées. Les instruments sont fragiles. Mais avec une jeune organiste, j’ai pu le faire. J’ai donc saisi ce rôle de compositrice comme une possibilité de me nourrir. Parfois, il faut savoir faire des projets qui ne servent à rien, mais les faire bien. J’ai pris beaucoup de temps. C’était comme planter des graines et voir les choses prendre vie. J’ai J’ai fait tout un parcours avec de jeunes musiciens du conservatoire et des graphistes.  Une partie de ce travail consistait à se concentrer sur l’orgue. J’avais également l’envie de chanter beaucoup plus haut, pas forcément pop.

[Elle s’interrompt et écoute la radio. « Hey, c’est pas Jean-Michel Jarre, ça ? »]

Et ça a fonctionné tout de suite ?

Le projet était réussi mais ne durait que 30 minutes. On a ensuite souhaité le développer dans d’autres églises, puis le jouer dans des salles « normales ». Sinon, financièrement, tu ne t’en sors pas. Et puis surtout, je voulais faire de la scène. On a donc composé une heure de musique, puis un album. Au tout début, c’était dans une église. Puis, avec le temps, j’avais intégré la reverb, etc. J’avais en tête toutes les possibilités de l’orgue. J’ai donc pu travailler à la maison. Car je ne voulais pas non plus faire tout un album comme ça. Je souhaitais que ça reste accessible, pour jouer en festival par exemple, avec des beats, etc.

Oui, avec un parti-pris aussi fort, tu avais peut-être peur de trop t’éloigner, notamment de ton public ?

Oh non, ça, il faut s’en foutre. Je voulais explorer. Voilà un orgue. Tiens, que peut-on en faire ? Je trouvais marrant d’avoir cet énorme truc combiné à une petite boîte à rythme des années 80. C’est le premier synthé, après tout. Je l’ai abordé comme ça.

J’aimais aussi l’idée de garder les chansons extrêmes, car il y a des compositions purement pop et d’autres où l’on m’a dit que c’était presque du bouddhisme.

L’album a ensuite été pensé sous forme de diptyque. Pourquoi ?

Oui, alors c’est un grand mot. En fait, il y avait trop de chansons. Je voulais un disque cohérent mais j’avais peur que ça soit trop long. J’ai beaucoup réfléchi à la combinaison des titres, à leur ordre. Et puis il y une autre raison : l’orgue prend beaucoup de place dans l’enregistrement, donc on ne pouvait pas avoir un vinyle qui soit en même temps plus long et de bonne qualité. J’aimais aussi l’idée de garder les chansons extrêmes, car il y a des compositions purement pop et d’autres où l’on m’a dit que c’était presque du bouddhisme.

Et quand sortira la deuxième partie, du coup ?

Je ne sais pas. Je veux prendre le temps. J’ai encore envie d’essayer de la musique qui ne sert à rien. Il faut replanter les graines. Parfois, ça dure cinq ans. Il faut entretenir son jardin pour que tu puisses manger toute l’année. [rires]

Comment cette évolution se traduira sur scène ?

On sera cinq. L’organiste, les trois choristes et Koen à la guitare et aux percussions.

Koen [son compagnon et co-compositeur de ses albums depuis 2006, ndlr] a-t-il facilement trouvé sa place dans ce projet, justement ?

Au début, il n’était pas là. Je lui ai fait écouter une démo et il m’a dit : « Je n’ai pas de remarques. C’est vraiment bien. Je vais faire avec« . [rires]. Il ne dit pas ça souvent, il est très sévère. Je lui ai dit : « Quoi, tu n’as pas de remarques ?« . On a ensuite fait une chanson ensemble, qu’il a commencée à la guitare. Pour le reste, je pars souvent d’un rythme et j’utilise juste un son garage punk pourri, simplement pour trouver l’inspiration. Mais ce ne sont pas des rythmes intéressants. Kun sait faire ça. C’est un vrai producteur, il peut trouver les rythmes, programmer et bricoler avec de vieilles machines. On a par exemple enregistré l’orgue la nuit, pour ne pas être perturbés par les voitures. J’aime cette façon de travailler.

En salles, pour la tournée, ce sera la même configuration ?

Oui. Avec, cette fois, un orgue qui est un double clavier. Ce sera différent. Mais j’aime offrir différentes facettes avec les mêmes chansons.

Tout est désormais tellement jeune et fashion, et j’aime ça aussi. Mais peu de femmes agissent bien, en ne cherchant pas à rester toujours dans la course.

L’orgue te ramène-t-il à des souvenirs d’enfance particuliers ou cela n’a pas du tout influé dans ton choix ?

En tant qu’enfant, je suis allé à la messe mais je ne me suis pas pris d’amour pour l’orgue. Non, j’avais juste envie de me retrouver dans un grand espace, avec un instrument qui avait une force physique. C’est comme les orchestres. Tu chantes et tu sens la puissance derrière. Et il y a une dynamique qui colle bien avec ma voix, car je peux chanter très fort et très fin à la fois.

En t’appuyant principalement sur un tel instrument, tu as évité le piège de la grandiloquence. Il y a une ambition nouvelle mais on retrouve aussi les atmosphères qui te sont familières.

Je reste très ambitieuse, mais il faut quand même suivre ce qui sert la musique. Cet orgue, c’est comme quand tu as une truffe. Tu ne vas pas faire un plat de pâtes et mettre toutes ta truffe dedans. Tu mets un peu de truffe, mais tu as encore le goût des pâtes. Mais de bonnes pâtes, attention. [sourires]

Parle-nous un peu de tes visuels, toujours très soignés.

J’ai de la chance d’avoir de bons amis. J’aimerais beaucoup travailler avec Tim Walker et d’autres photographes hyper classes, mais il n’y a plus d’argent pour ça. J’ai fait la pochette de ce nouvel album avec ma meilleure amie. On s’amuse. Athos Burez, qui vient des arts plastiques et qui est peintre, avait fait la pochette de Strange Ways. Il vient aussi de faire notre clip à Venise. Il a un tel talent. Il faudrait vraiment qu’il sorte de la Belgique, il aurait besoin d’un agent pour l’aider. Helium Sunset, c’est une photo de Kun, par contre. On était déjà en couple avant de faire la musique ensemble. C’est également un bon photographe.

 

Durant cette période d’exploration, as-tu eu le temps de t’intéresser à d’autres projets que les tiens ?

J’ai vu sur le web le concert de PJ Harvey. Cela demande de l’attention. C’est une artiste qui a un monde visuel propre, avec des paroles intelligentes. Elle garde un son mais elle arrive à se renouveler. J’ai beaucoup d’admiration pour elle. Je suis d’ailleurs un peu jalouse, car elle a vraiment eu des tubes et donc un plus grand public. Forcément, quand tu commences à faire de la musique plus difficile et exigeante, ton noyau te suit. Et le sien est grand, car c’est une icône. Et elle vient d’Angleterre, aussi.

C’est vrai que, de ton côté, tu as une carrière longue et constante. Mais sans tube.

Mais ça peut encore venir ! Et puis sinon, c’est pas grave. Je veux pas chasser le tube. Sinon, tu perds ta vie à le faire.

Et un tube parfois peut aussi t’enfermer, lors d’un concert, où le public n’attend qu’un titre.

Oui, on a connu ça avec la reprise de « Paris s’éveille / Il est cinq heures« . Tout à coup, ça a boosté les ventes et nous a fait connaitre en France. Mais beaucoup écoutaient ensuite le disque et se disaient : « Ah, je pensais que ça allait plus être plus festif.« . Mais grâce à ce titre, je suis ici. Je m’en rends compte.

Nous, on t’a découvert en 2004 par « Sorry ».

Je trouve que c’est une de mes meilleures chansons. Certaines sont, à mes yeux, intemporelles. « Sorry » en fait partie.

Mais ton album le plus intemporel n’est-il pas l’album suivant, White Velvet, paru en 2006 ?

Oui, c’est un album assez classique. Et quand je réécoute Hinterlands [paru en 2011, ndlr], je le trouve vraiment bien. Mais il est tombé entre deux plis. L’accueil critique était bon mais c’était un disque de transition. Peut-être que dans dix ans, avec du recul, le public dira que c’était un bon album. White Velvet était issu d’une écriture plus classique, comme « Tenderness » qui aurait pu être écrit dans les années 50. Je n’ai jamais pris le succès comme une évidence. Mais Hinterlands m’a appris à faire les disques que je voulais. White Velvet avait très bien marché. Mais si j’avais fait un White Velvet « 2 » et qu’il n’avait pas marché… J’ai au moins cette satisfaction. On a pris un autre chemin.

C’est ce que tu disais tout à l’heure, quand tu parlais de s’en foutre du public ?

Il ne faut pas essayer de plaire aux gens…et aux radios. Mais je suis contente, hein. En tant que femme, c’est pas évident de faire une longue carrière. Tu parlais de l’importance de l’image, tout à l’heure. Tout est désormais tellement jeune et fashion, et j’aime ça aussi. Mais peu de femmes agissent bien, en ne cherchant pas à rester toujours dans la course. Il y a une immense pression de ce côté superficiel. De mon côté, si je veux être connue partout dans le monde, c’est pour avoir la chance de travailler avec certaines personnes. Par exemple, David Lynch ne me connaît pas. Mais si on se rencontrait, je lui dirais : « Enfin, David… toi et moi, ce serait chouette« . [rires]. Pour en revenir au photographe Athos Burez par exemple, il prend de belles photos de femmes. Avec lui, je n’ai jamais honte de poser, il a l’œil. Quand on était à Venise pour le clip, on a loué un appart en Airbnb et on s’est beaucoup amusés. Et là, tu te montres comme tu es. Avec quelques fruits, il te transforme le tout en tableau. Il a le don naturel de faire le beau. J’aime la sensibilité de ce qui est esthétisé à condition que ça soit vrai. C’est l’approche de Fellini.

C’est vrai qu’il y a un parallèle à établir entre Venise et ta musique, en fait.

C’est la décadence.[rires]

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