On a l’impression que c’était au siècle dernier mais ça ne fait que deux ans que l’album « An Awesome Wave » a balayé la planète. On s’était alors jetés à corps perdu dans ses remous, sans réfléchir. Cette fois-ci l’effet de surprise est passé mais « This Is All Yours » ne déçoit pas, inspiré par Nara, une ville japonaise où les cerfs sont tellement nombreux qu’ils provoquent des embouteillages. Rencontre avec ces architectes de génie.
Crédit photo : Gabriel-Green
Pour ce nouvel album, vous avez choisi le même producteur et le même studio d’enregistrement : vous vouliez avoir exactement le même son ? Ou un son différent dans le même contexte ?
Gus : On avait fait du bon boulot avec Charlie [Andrew] sur le premier album, et puis le studio qu’il loue n’est pas cher. On n’avait pas envie de dépenser énormément d’argent pour enregistrer. Il y avait peut-être aussi un peu de superstition… Mais globalement on a pensé : « ça a marché donc on n’a qu’à refaire pareil ! »
C’est plutôt original comme démarche car la plupart des groupes ne veulent pas prendre le risque d’être critiqués pour avoir utilisé la même formule plusieurs fois.
Joe : De toute façon, on allait produire quelque chose de différent, on travaillait sur des morceaux nouveaux. On n’avait pas besoin d’aller dans un studio différent pour y arriver, ç’aurait été la solution de facilité.
Il y a des rythmes qui se répètent sur vos deux albums, et le chant est aussi similaire. Est-ce que c’est conscient, voulu ?
Joe : Non, on n’essaye pas vraiment d’avoir le même son, mais inévitablement tous les groupes finissent par avoir une signature, des éléments-clés qu’on retrouve sur tous leurs albums. Je crois qu’on a réussi à créer quelque chose de différent avec ce nouvel album mais on n’a pas changé la composition du groupe. Donc on a forcément le même « style ». C’est important d’avoir cette cohérence.
Mais Gwil a quitté le groupe en début d’année ?
Gus : Quand il est parti, on avait déjà commencé à écrire, mais lui n’avait pas vraiment écrit d’éléments en particulier. Il a choisi le bon moment pour partir car il ne voulait pas compliquer les choses ni pour lui ni pour nous.
Donc vous avez écrit et enregistré l’album en 6 mois ? C’est plutôt rapide !
Joe : On avait commencé à écrire avant janvier mais on n’a pas vraiment utilisé ce que Gwil avait écrit avant de partir sur cet album. Avec son départ, on a réalisé combien notre groupe était éphémère, ça nous a donné de l’élan et a resserré les liens entre nous car on avait tous envie de continuer. Ca a clairement été un catalyseur dans notre processus d’écriture. Alors oui, ça paraît rapide. Mais à nos yeux, ça ne nous a pas semblé si rapide, étant donné que ça faisait 6 mois qu’on était la tête dans le guidon. Après deux ans sur la route, on était plus efficaces, on se comprenait mieux, l’alchimie fonctionnait et ça nous a aidé à réussir ce qu’on voulait dans un temps plutôt court.
Vous avez fait des études artistiques et vous disiez à cette époque que vous vous sentiez libres, en particulier dans l’écriture, parce que « vous ne vouliez pas être un groupe ». Et maintenant ?
Thom : Je dirais qu’on a gardé la même vision. On n’essaye pas d’écrire d’une certaine façon. Pour nous, la musique est avant tout une forme d’expression et d’expérimentation. Alors oui, nos compositions prennent la forme de morceaux et d’albums mais on voulait vraiment garder cette mentalité libre. On ne se limite pas, y compris côté instruments. On prend tout ce qui a l’air de fonctionner !
D’ailleurs, vous vous permettez d’utiliser des dissonances et même des silences.
Joe : Oui, et cette dynamique est vraiment importante parce qu’elle permet de créer de l’espace à l’intérieur de l’album, une sorte d’architecture avec du vide et du plein, minutieusement construite, où on se sentirait en sécurité comme dans un abri. Les silences sont une astuce que les groupes n’utilisent pas assez en général !
Et comme sur le premier album, on va de la première à la dernière piste sans s’arrêter…
Joe : Disons qu’on n’écrit pas un album pour vendre un single. Quand tu regardes un film, tu ne t’arrêtes pas à une seule scène, tu regardes tout et tu plonges dans l’histoire et dans les relations entre les personnages. Là c’est pareil.
Gus : Bien sûr, les gens vont quand même faire des playlists avec leurs morceaux préférés. Mais si on regarde un graphique qui illustrerait la popularité des morceaux sur nos albums, comparé à un groupe plus « grand public » par exemple, c’est sûr que le nôtre sera plus équilibré que le sien, où il y aura sans doute un énorme pic sur une chanson.
Joe : On s’assure vraiment que tout soit considéré de la façon dont on veut, et ordonné comme on veut. C’est un album, pas un single avec d’autres morceaux autour.
Mais vous aimez écouter les morceaux d’autres groupes séparément non ? Thom, par exemple, tu tiens une playlist Spotify où tu postes tes découvertes ?
Thom : Les blogs que je suis postent généralement des morceaux seuls, et puis la plupart des albums n’ont pas le « flow » qu’on essaye d’avoir sur nos albums, notamment en hip-hop ou en musique expérimentale. J’aime aussi beaucoup les mixes. Mais j’aime vraiment écouter notre album dans l’ordre, parce que c’est vraiment un tout.
Joe : Quelqu’un qui nous apprécie en tant que groupe est, je pense, intéressé par savoir comment on suggère d’écouter les morceaux : notre album est une suggestion, il présente comment on aimerait que ceux qui nous écoutent apprécient notre musique. Ca ne veut pas dire que c’est une obligation !
Vous me faites pensez à These New Puritans. Eux aussi ont une démarche très libre…
Joe : Ils sont sur notre label ! Leur dernier album est un des meilleurs de ces dernières années, il est vraiment bon.
Parlez-moi de la peinture que vous avez choisie pour la pochette.
Thom : C’est un bout d’une peinture que j’ai faite. On galérait à trouver ce qu’on voulait et on regardait mon sketchbook et tout d’un coup on a tous accroché. Ça représente bien l’état d’esprit de l’album, et nous aussi en tant que groupe : c’est coloré, les traits de pinceaux, évoquent l’activité humaine. Cet album est assez primitif dans la façon qu’on a eu d’écrire et de jouer. Et puis cette fois, c’était une image qui nous appartenait, ça avait été compliqué avec la photo du premier album. Là, pour faire des T-shirts c’était l’idéal !
Joe : C’est génial, on en a fait faire quelques-uns pour tester et j’en ai donné un à une amie : elle l’a porté toute la semaine ! Oui, elle puait à la fin.
Donc vous avez abandonné la réalité (l’image sur « An awesome wave » était une photo du Delta du Gange faite par la European Space Agency) pour une peinture abstraite. C’était voulu dès le début ?
Gus : Pas vraiment. Une image impactante peut être une photo ou un dessin. Mais je pense qu’une image qui n’est pas abstraite, par exemple un garçon assis sur une chaise, peut détruire la perception qu’ont les gens de l’album. Quand c’est abstrait, les gens peuvent se faire leur propre idée, il y a quelque chose de mystérieux dans une image abstraite et en même temps elle véhicule une forte identité.
Thom : Une image trop réelle en dit trop.
Il y a un morceau qui s’appelle Bloodflood part 2, où on retrouve les paroles de Bloodflood qui était sur votre premier album. Pourquoi avoir choisi de réécrire une chanson existante ?
Gus : Je crois que c’était un nouveau morceau avant qu’on l’appelle Bloodflood part 2…
Joe : Oui, c’était un nouveau morceau. Mais en l’écrivant, je me suis rendu compte qu’on pouvait chanter les paroles de Bloodflood par-dessus. Je me suis dit « Tiens, on a bien assez de nouveaux morceaux, je vais faire Bloodflood part 2 ! ». Les livres et les films ont souvent des suites, et si ce n’est pas aussi répandu en musique qu’en littérature ou dans le cinéma. Parfois, c’est bien de faire des choses qui sortent un peu de l’ordinaire, non ?
Je vous avoue que je n’avais pas fait le lien jusqu’à ce que je reconnaisse les paroles…
Thom : Oui c’est normal, c’est vraiment un nouveau morceau !
On parlait tout à l’heure des statistiques d’écoute de vos morceaux. Vous pensez que le téléchargement risque de disparaître face au streaming ?
Gus : Peut-être que le streaming deviendra le premier mode de consommation si le haut-débit arrive partout. Mais aujourd’hui, le problème c’est que ceux qui ne jurent que par ça sont tous dans des villes comme Paris ou New York, là où le haut-débit est omniprésent. A l’opposé, au Royaume-Uni, il y a d’immenses zones où il n’est pas disponible, ni Internet via mobile. Mon oncle, par exemple, ne peut même pas se servir de Spotify tellement sa connexion est mauvaise. Il faut vraiment garder ça en tête.
Joe : Si ça devenait un service public, et que c’était accessible partout pour tout le monde, peut-être que les gens n’auraient plus besoin de télécharger.
Gus : Les ventes de vinyles et les téléchargements augmentent, par contre les ventes de CDs physiques chutent. Bientôt, je pense que les gens qui voudront acheter de la musique choisiront un support physique comme le vinyle et les autres se contenteront de le streamer. Dans ce cas peut-être que les CDs et les téléchargements disparaîtront, oui.
Thom : Moi, j’aime bien avoir mes albums dans mon iTunes, parce que je n’ai pas le souci de le streamer…
Joe : Et puis quand tu le télécharges, tu as un certain confort grâce à une structure à laquelle tu es habitué avec la pochette etc. Tu n’as pas ça avec le streaming !
Thom : En tout cas, le streaming c’est vraiment cool pour tout ce qui est nouveau. Par exemple pour les groupes qui ne sont pas signés, c’est une vraie opportunité.
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