A part la carrière de Bigflo et Oli et le feat. improbable entre Alkpote et Bilal Hassani, le rap français est quand même plein de bonnes nouvelles. C’est le cas notamment du nouveau visage offert par le festival Hip Opsession Reboot. Porté depuis 2005 par Pick Up Production, le totem d’humidité du hip-hop à Nantes, a livré les 11 et 12 octobre dernier, une version uniquement consacrée à la musique, laissant la traditionnelle session de février/mars s’occuper de la danse. Cette année sur un seul site, celui de Transfert&Co à Rezé, contre une vingtaine de lieux les années précédentes, avec une fenêtre de tir resserrée (deux semaines auparavant) et une identité visuelle affirmée, cette édition avec Lala &ce, Moka Boka ou Isha nous a mis une pire boite sans bonjour à distance.
A travers tous les événements culturels et musicaux qui se déroulent chaque année dans ce foutu pays, on a souvent l’occasion de voir des festivals à la scénographie et/ou l’identité visuelle complètement claquées ou à l’inverse inexistantes. En cause : un manque de moyen, un lieu qui ne s’y prête pas, une organisation qui n’a absolument aucun goût, un éclatement géographique et un trop grand nombre de spots à investir, un éclectisme trop prononcé, trop de sponsors à mettre en avant… Les explications sont multiples et chacune ne porte pas à elle seule l’entière responsabilité du résultat. Réputé depuis des années au niveau national, voir international, Hip Opsession est sur une dynamique contraire depuis plusieurs années déjà, que ce soit à travers le travail du studio The Feebles, de l’artiste nantais WIDE, de Grems en février dernier ou grâce à la valorisation de feu son QG, situé dans le centre-ville, comme lieu d’exposition.
Toutefois, le festival vient de franchir un nouveau cap avec cette édition automnale. Il le doit non seulement au travail des organisateurs et des bénévoles, à celui du Studio AA mais aussi à la physionomie du lieu. Et apparemment, on aime bien les cagoules et les fumigènes dans le quartier. « On sortait d’une édition avec Grems avec une affiche/œuvre d’art hyper marquée. Pour repartir à zéro, il nous fallait une identité hyper forte, avec un nouveau nom. C’était vraiment l’occasion vu qu’on connaissait déjà l’équipe de AA. Elle a pu nous amener une approche différente tant au niveau de la direction artistique, de la scénographie que de la vidéo » souligne Johan Mabit, chargé de communication chez Pick Up. « Le fait de le faire à Transfert, c’était aussi l’occasion de réunir sur un seul événement les différents pôles de Pick Up qui, le reste de l’année, bossent en parallèle sur nos différents projets et de travailler dans le même sens. La réussite, c’est d’avoir pu réinventer son visage et de changer la manière de se l’approprier. C’était un défi car le lieu a une identité très marquée. Les gens auraient pu être déçus d’être en terrain connu mais finalement ils étaient en terre inconnue. »
Avec dans le week-end environ 8000 spectateurs aux profils plus que variés, entre ceux venus voir des anciens et ceux venus se faire trap-jacker par la nouvelle génération, et malgré quelques problèmes de queues le vendredi soir, on est clairement sur un succès. « Le mélange des publics est une des lignes directrices de Pick Up que ce soit aux Rendez-Vous Hip-Hop, à Transfert durant la saison estivale ou encore pour Reboot. On avait des styles de rap complètement différents et c’est une réussite d’avoir pu réunir sur Transfert les quarantenaires qui ont kiffé Hocus Pocus et les jeunes fans de 13 Block. Ce qui n’a pas empêché ceux venus pour Hocus Pocus de kiffer 13 Block et inversement », précise Johan.
Vendredi : soirée de la ramasse
Comme la soirée du vendredi est toujours celle de la ramasse – et donc la plus difficile à se remémorer – on va essayer de se la refaire en sens inverse pour voir un peu ce qu’il s’est passé. Il est cinq ou six heures du matin, on est dans un appartement à poncer une bouteille de pastis et du vin blanc en écoutant la playlist spéciale créateurs de chorés. Tout a l’air sous contrôle mais à la vue des photos et vidéos de l’un de mes potes en robe et fourrure le samedi matin, j’en suis moins sûr.
Avant d’en arriver là, on s’est fait encourager à quitter le site par la sécurité, reprenant la route du centre-ville afin de garer le camion. Mon pote, marchant quelques mètres derrière moi, m’appelle et m’empresse de le suivre. Il est deux heures et demie du matin et le gars vient de croiser Jean-Marc, négociant en vin de son état, dont la réserve se trouve juste là. Après avoir franchit une première porte en fer, puis une seconde tout aussi résistante, on se retrouve à « déguster » du blanc et du rouge en fumant de l’olivette, le tout entouré de centaines de bouteilles. C’est d’ailleurs sûrement à ce moment-là, à cause d’une erreur de dosage, que j’ai perdu ma concentration.
C’est donc à la limite du pétage d’anévrisme que je me refais en fakie le fil de la soirée. Heureusement, rusé comme un renard de l’est, j’ai aussi passé un coup de téléphone au Bruxellois Moka Boka et au Bordelais Cheeko pour recouper les informations. On est d’ailleurs d’accord avec ce dernier, spectateur le vendredi et host de la finale nationale de End Of The Weak le samedi avec Artik, sur le passage de 13 Block qui a clôturé le premier soir sous le chapiteau XL. « Ils s’en battent les couilles de la prestation scénique mais on s’en fout. Ils sont là pour casser ta nuque et boire ton sang ! ». On ne va pas se refaire le concert, mais clairement, OldPee, Stavo, Zefor et Zed ont mis beaucoup de pression sur un public nantais bouillant et toujours ouvert pour niquer le 17.
Lala &ce, aperçu dans le public et qui venait de vaporiser quelques heures plus tôt ses tracks sous le chapiteau M dans une ambiance low-rythme cardiaque et pupilles dilatées, n’avait pas l’air contre non plus. C’est justement entre 13 Block et cette dernière que Moka Boka, accompagné de Thomas et Hugo respectivement guitariste (qui joue aussi avec Haute) et ingénieur du son, a payé de la mélancolie, du love et des questionnements sur le sens de la/sa vie. « C’était vraiment cool. Il y a avait une grosse énergie. Je pense que c’était un de mes meilleurs concerts de la rentrée. Je commence à apprécier le live. Je n’en ai pas énormément fait. C’est quelque chose que je travaille en ce moment, que j’ai envie d’améliorer et de développer. » Effectivement, avec seulement une dizaine de concerts au compteur dont un passage à Dour, il est encore en rodage mais on sent déjà que son prochain projet annoncé pour début décembre et la tournée qui va aller avec vont être très chauds.
Toujours en remontant le fil de ce vendredi soir, le premier embrasement de la soirée (le second étant clairement 13 Block) on le doit aux tauliers d’Hocus Pocus, venus clôturer leur tournée d’anniversaire à la maison et qui pour l’occasion ont convié Alltta, C2C, Parrad ou encore l’artiste nantaise Pumpkin sous le chapiteau XL. « Hocus Pocus, c’était incroyable ! Je suis un gros fan. Sur leur tournée de l’album Place 54, j’ai dû faire huit ou neuf concerts ! Quand je jouais avec Phases Cachées, c’était un exemple ! C’est une leçon. Il y a un live band, ça joue carré comme jamais. Ça m’impressionne ! Il y a des trucs qui n’ont pas bougé depuis dix ans. C’est comme manger un bon plat de sa mamie. Pareil pour C2C, c’est incroyable. C’est les meilleurs techniciens. » confie Cheeko. Autre artiste à suivre et dont on entend déjà parler depuis quelques temps, Zed Yun Pavarotti. Programmé en ouverture le vendredi, sous le chapiteau M, le Stéphanois au cynisme nuageux et à la tristesse sous trap, risque de frapper fort fort dans les mois qui viennent.
Samedi : la gueule de bois AOC
La journée du samedi commence avec une gueule de bois AOC. Heureusement, il y a du vin blanc au réveil et Isha comme premier set de la soirée. Il est à peine dix-neuf heures, mais le chapiteau L est déjà bien rempli. Le warm-up et les quelques minutes de retard ne font que chauffer plus fort des esprits déjà bousillés à la cause de celui « qui représente un tas d’animaux ». « On est hyper fier de la programmation et que le public ait répondu présent même à 18h45 devant Isha » confie Johan. Avec Stan, son manager/backeur et les premières notes de « Oh Putain » il démarre ce qui va être le meilleur concert de la soirée. Pendant une heure, entre le « Frigo Américain », deux inédits, un passage sur scène de Makala sur « 243 Mafia » et « Tosma », Isha largue un concert rugueux et puissant qui résonne encore une fois terminé.
On se retrouve ensuite sur le chapiteau M, pour la finale nationale d’End Of The Weak hostée par Cheeko (champion de France EOW 2014) et Artik (champion du monde EOW 2006). Victoire largement méritée d’El Lobo (Nancy) dans une très grosse ambiance. Pour Cheeko, « Nantes c’est le meilleur endroit pour EOW ! Les gens sont intéressés, ils restent. Après, c’est aussi le résultat de plein d’années de travail de Pick Up à ce niveau-là avec les EOW au Ferrailleur… Nantes, c’est la ville en France qui ce caractère hip-hop à l’ancienne, boom-bap. C’est l’héritage Hocus Pocus, Moar, One Up. Il y a beaucoup de soirées dans cet esprit et avec les années, ça créé un public. En plus, c’était une finale nationale ! » Au même moment, les Neg Marrons foutent calmement le bordel dans le chapiteau XL. C’est parfois un problème d’inviter des anciens car pour le public ça peut vite sentir le malaise et le pèlerinage plus que la réelle envie de voir un concert digne de ce nom. Il n’en est rien ! Gros turn up en mode one love, peace, unity. Jacky et Ben-J ont mouillé le hoodie capuche sans manche entre « Lève-toi Bats-toi », « La Monnaie », « Fiers d’être Neg Marrons » et tracks plus récents, réussissant comme certains d’artistes dans le week-end à créer un pont entre les générations.
Faire le pont, c’est moins le créneau de la rappeuse UK Nadia Rose. Sous le chapiteau L, celle qui, en 2016 avec Skowd, nous avait donné envie de danser full Adidas sur une route à double sens va chercher son public direct. Bien aidée par celui-ci, qui à certains endroits pendant le warm-up et une bonne partie du set était en train de cercler, la Londonienne n’a à aucun moment baissé d’intensité sur les pas de danse et les interactions, sollicitant la foule sur quasiment tous les morceaux. Du très lourd au niveau prestation scénique.
Après un passage devant Demi-Portion, Dope Saint-Jude et Davodka, ça se laisse glisser jusqu’à ce qui sera mon dernier concert du week-end, le plus méchant : Makala. Comme pour Isha, le public est déjà à température bien avant le début du set grâce à un track de soul qu’on attend pas dans ce genre de festival à 23h45. Ça s’ambiance, ça groove, ça répond aux « c’est qui le plus méchant ?! » qui sortent d’on ne sait où quand le représentant de la SuperWak Clique fait son apparition sur scène sans rien dire, esquissant simplement quelques pas de danse. L’excitation monte d’un cran, on veut que ça commence, ça le fait marrer et là gros bordel avec Big Boy Mac, quasiment tout le reste son album Radio Suicide et des gens du public qui montent sur scène pour danser. Malgré son côté détaché, nonchalant, qui finalement devient un atout, le Suisse a nettement les capacités pour faire du feu à Koh Lanta.
Prochaine étape, Hip Opsession spécial danse du 21/02 au 01/03/20.
Photos dans l’article : Clack
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