Allah-Las fait partie de ces groupes que tout le monde adore critiquer, mais que l’on continue d’écouter encore et encore. Certains leur reprochent d’un peu trop copier le garage rock des sixties, certains trouvent juste qu’ils tournent en rond, et tous les autres s’agacent face à leurs looks de beatniks beaucoup plus cool que la plus cool de tes copines. Comme on aime les groupes à problèmes, on est allé discuter avec Matt (le batteur) et Miles (le guitariste / chanteur) juste avant leur concert à l’Elysee Montmartre, où ils présentaient leur nouvel album LAHS sorti vendredi.
En 2012, un petit groupe californien débarquait avec un album tellement anachronique qu’il en devenait moderne, empruntant volontiers aux années 60 (mais pas que), et regroupant un bon paquet de tubes. Allah-Las s’imposait alors, tout en simplicité, avec des structures rythmiques bien carrées, des guitares mélodiques bien senties, et des refrains bien accrocheurs. Et même s’ils avaient fait de l’évidence de leurs mélodies une marque de fabrique, quatre ans et deux albums plus tard, la formule s’essoufflait un peu sur Calico Review, leur dernier disque en date. On les attendait donc au tournant, un flingue à la main. Flingue que nous avons très vite rangé à l’écoute des treize titres qui composent LAHS.
Présenté comme un album inspiré de leurs voyages à travers le monde, ce nouveau disque rompt avec la routine dans laquelle le groupe semblait s’être installé. « La plus grosse différence pour nous a été d’enregistrer la majorité de l’album nous-mêmes. Nous avons pu prendre notre temps, et nous étions plus libres. » De ce temps passé en studio résulte un album plus élaboré, plus réfléchi. L’album s’ouvre d’ailleurs sur un des meilleurs morceaux jamais composé par le groupe. Sur « Holding Pattern », Allah-Las ne précipite rien et laisse le morceau se construire , couche par couche, tout en douceur. Basé sur une structure rythmique répétitive, propre au groupe, ce morceau est révélateur de leur nouveau processus créatif. « En général, avant d’aller en studio, on compose des démos que l’on on rejoue ensuite pour les enregistrer. Cette fois-ci nous avons presque supprimé l’étape démos pour nous appliquer à capturer des instants intéressants, plutôt que de réchauffer des choses composées plus tôt. «
Cette liberté nouvelle leur a aussi permis d’expérimenter davantage, menant à une plus grande diversité de sons et d’ambiances. Notons par exemple l’accent nouveau porté sur le groove dans des morceaux comme « Star » ou « Roco Ono ». L’influence de leurs voyages est quant à elle rendue encore plus explicite sur « Prazer Em Te Conhocer » et « Pleasure » chantés respectivement en portugais et en espagnol. « C’est assez intéressant parce que ce concept est arrivé à posteriori. En écoutant les morceaux que nous avions composés, on s’est dit qu’il y avait quelque chose lié aux voyages, mais on n’y avait pas vraiment pensé avant. On travaille toujours comme ça en fait : on agit et ensuite on réfléchit. »
Malgré tout, et quoi qu’ils en disent, ces nouvelles sonorités semblent bien être nées d’une volonté consciente du groupe de se mettre un peu plus en danger que par le passé. « Quand on grandit en tant que musicien on veut se lancer des défis, chaque album est une occasion de se challenger. Nous avions aussi envie de nous entendre différemment, de tenter quelque chose. » Et même si des influences du monde entier font surface dans ce disque, elles ont visiblement toujours été là, enfouies quelque part, prêtes à être exhumées. « Évidemment nous n’écoutons pas que du rock garage, mais peut-être que nous avions besoin de voyager pour réveiller d’autres influences. »
Allah-Las n’a jamais essayé de cacher ou refouler ses influences, allant même jusqu’à créer il y a 387 semaines une radio entièrement dédiée à la musique qu’ils écoutent. Au delà d’être une source inépuisable de pépites inconnues, Reverberation (puisque c’est son nom), illustre parfaitement la démarche créative d’Allah-Las, puisant en profondeur dans des influences diverses sans les dissimuler. « L’évolution de notre son est très liée à l’évolution de Reverberation. C’est un beau résumé de ce que nous écoutons à un moment donné et la progression musicale de réverbération reflète vraiment notre propre évolution. » Le contexte et les sons environnants sont aussi pour eux une source d’inspiration : « Toute expérience influence ce que tu crées. C’est parfois imperceptible mais l’environnement influe sur la façon dont on joue une partie de guitare ou chante une chanson. Même ce que tu as mangé à midi, peut influencer sur ta musique. »
Bien sûr, même si ce disque parait plus conceptuel que les précédents, la recherche de l’évidence et de la simplicité reste centrale dans les compositions du groupe. Ils ne le cachent d’ailleurs pas du tout : « On aime ce qui sonne bien, et ce qui sonne bien ce sont les trucs simples. » L’élaboration plus poussée de ce disque n’a heureusement pas effacé la candeur de la musique d’Allah-Las. Au-delà des concepts, ces treize morceaux restent éminemment instinctifs. « Beaucoup de nos idées émergent pendant les balances de nos concerts. C’est un moment où tu débarques dans un nouveau lieu, tu entres dans un nouvel espace temps où tu peux te laisser aller. Tout le monde joue des trucs différents, et tu es libre d’exprimer ton mood du moment, c’est presque méditatif parfois. Notre morceau « Houston » tire même son nom de la session de balances à Houston dont il est issu. »
Ce coté instinctif et naïf est emblématique du groupe depuis ses débuts, et il fait leur force. « À l’origine nous nous sommes orientés vers des sons garage parce que c’était plus simple à jouer, c’est ce qui nous est venu naturellement. » Et malgré les très nombreuses citations qui sautent aux oreilles au contact de leur musique, ils réussissent à créer des objets artistiques singuliers en s’appropriant et transformant toutes ces influences à leur image. Il est toujours agréable d’écouter des groupes qui ne prétendent pas révolutionner tout ce qu’ils touchent, mais qui prennent plaisir à créer ensemble avec les outils qu’ils maîtrisent le mieux. « Le fait d’avoir appris à jouer tous ensemble a été très important pour nous, ça nous a permis de développer notre propre son. Nous avons grandi ensemble musicalement. »
Cette particularité produit quelque chose de très satisfaisant et presque fascinant dans la musique d’Allah-Las. En usant de recettes vieilles de plusieurs décennies ils parviennent encore à nous intriguer en utilisant à leur avantage tout ce que l’histoire de la musique leur a appris. Lorsque certains leur reprochent de sonner comme les Byrds, les Beach Boys, les Rolling Stones, les Doors ou à peu près tous les artistes qui jouaient de la guitare entre les années 60 et 70, ils semblent oublier qu’il n’est pas nécessaire de tout réinventer pour être digne d’intérêt. Avec LAHS, Allah-Las prouve avec brio que l’on peut innover dans un cadre pourtant bien connu et familier. Ça nous rappelle la fameuse ratatouille de Ratatouille, référence risquée s’il en est. Et qu’elle soit cuisinée par l’inventeur de la recette, par votre grand-mère ou par Allah-Las, si la ratatouille est bonne, elle est bonne.
Crédit photo en une : Tony Accosta
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