Qui a eu cette idée folle d’un jour d’ériger la pochette en oeuvre d’art ? Si, en 2017, il semble évident qu’un album se doit de posséder une illustration, il était une fois, un peu moins lointaine que celle des Pierrafeu, où le disque était morne. Jusqu’à Alex Steinweiss.
Pour certains albums, les illustrations de pochettes sont devenues presque aussi célèbres que la musique dudit album. On peut par exemple penser à The Dark Side of The Moon des Pink Floyd, la banane d’Andy Wharol pour The Velvet Underground & Nico ou bien la pochette d’Abbey Road mettant en scène les Beatles. Si la visibilité de ces pochettes s’est réduite en taille au cours des décennies – passant de grands formats avec les vinyles à des plus petits formats avec les CD puis à quelques pixels sur vos écrans – son importance n’en demeure pas pour le moins primordiale. À travers les bacs de la FNAC et des disquaires ou bien les pérégrinations sur Amazon ou les services de streaming, pour de nombreux auditeurs, la pochette d’album est le premier contact avec un nouvel artiste. Ainsi au premier coup d’œil, la pochette d’album se doit d’être suffisamment forte pour capter l’œil de l’individu, mais aussi assez pertinente pour savoir illustrer l’univers d’un artiste. Un travail ardu qui est la résultante du travail d’un homme, Alex Steinweiss.
Prenons la DeLorean et revenons plus d’un siècle en arrière, au commencement. Ce n’est qu’en 1877 que la musique enregistrée devient possible avec le phonographe d’Edison. À cette époque, on ne parle même pas encore de vinyles ou de CD. Ici, la musique s’écoute via « cylindre phonographique », des tubes qui à l’époque pouvaient contenir deux à trois minutes de sons. Ceci est une révolution, comme dirait la marque à la pomme. S’en suivent, quelques décennies plus tard, les premiers disques 78 tours. Cette nouvelle possibilité d’écoute aura donc mis près de quarante ans à se généraliser dans les chaleureuses chaumières, comme l’explique l’universitaire Sophie Maisonneuve dans son article très instructif : De la « machine parlante » à l’auditeur.
Quand les années 30 pointent leur nez, les disques 78 tours se vendent dans des cartons marrons. Bien souvent, le label est indiqué en grand accompagné du nom de l’artiste et de l’album. Pas de photographie, pas de couleurs, pas d’illustrations, un disque est alors graphiquement aussi morne qu’une chanson de James Blunt. En 1939, à 22 ans seulement, Alex Steinweiss, jeune graphiste fraîchement diplômé, s’apprête à devenir le premier directeur artistique du label Columbia Records. Engagé pour réaliser le design des typographies des albums cartonnés, il va rapidement soumettre l’idée à ses supérieurs d’habiller quelque peu les pochettes mornes de l’époque en leur proposant des « couvertures d’art ». À sa grande surprise, ses supérieurs acceptent, une année plus tard, la première pochette d’album illustrée d’une collection de titres de Rodgers & Hart.
Fier de ce premier succès, le jeune graphiste réédite la prouesse pour plusieurs albums à la suite. Ses pochettes piochent beaucoup aux courants artistiques issus de l’Europe de l’ouest, avec des illustrations allant dans le surréalisme, le cubisme mais aussi et plus étonnant le symbolisme en s’inspirant notamment des affiches de propagandes allemandes et françaises, très prolifiques en période de Seconde Guerre Mondiale, comme en atteste la pochette de Songs Of Free Men de Paul Robeson sorti en 1942.
Durant cette décennie, la technique est très complexe à maîtriser avec les standards d’impression d’époque. Le directeur artistique passe plusieurs jours à séparer les niveaux de couleurs sur sa pochette, la moindre nuance l’obligeant à créer une nouvelle couche. Cependant, ce travail est loin d’être vain pour la Columbia Records dont les ventes décollent de 800% par rapport aux formats traditionnels de l’époque. Bingo.
« Je voulais que les gens entendent la musique en voyant l’œuvre d’art. »
Après la Seconde Guerre Mondiale, de nombreux autres labels copient l’idée de Steinweiss, chacun y apportant sa touche personnelle. Les techniques évoluent et, dès les années 1950, la reproduction de photographie sur des pochettes deviennent un nouveau standard. L’artiste, quant à lui, travaille en tant qu’indépendant à partir des années 50 où il contribue à des milliers d’illustrations pour des styles toujours différents. Longtemps sous-estimé comme un des pionniers de l’industrie phonographie, l’homme s’éteint en 2009, offrant cependant un héritage qui perdure encore aujourd’hui, que vous voyez à chaque écoute.
Si le travail d’Alex Steinweiss vous intéresse, on vous conseille le tableau Pinterest de Andy Thurston qui regroupe une majorité des couvertures que l’artiste a réalisé au fil des années ou bien le podcast (en anglais) de la School of Visuals Arts de New York qui retrace plus longuement la vie du graphiste.
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