L’amour et le temps ont obnubilé Albin de la Simone lors de l’écriture de son cinquième disque. « Les chansons sortent comme elles peuvent. Ce que j’écrirai dans le sixième album découlera de ce que je vais vivre », nous confie l’intéressé, trop sincère pour se projeter dans un nouveau registre avant d’avoir défendu le dernier sur la route. Une tournée qui sera acoustique, comme la précédente, dans des salles jusqu’à 500 places. Un cocon idéal pour déployer son univers si sensible. Rencontre avec le plus Parisien des Picards.
Pour présenter L’un de nous, comme tu es très attaché aux arrangements, tu as écrit un long texte sur les personnes et instruments qui t’ont accompagné pour construire ton disque. Grâce à ce descriptif technique, on apprend notamment que la harpe de Miramilana est un élément important de l’album. A la base, tu es pourtant parti d’un piano-voix, c’est bien ça ?
Miramilana est une harpiste géniale. Je vais expliquer le processus habituel d’un disque. Normalement, on enregistre piano-voix, un truc très basique qui se rapproche de la maquette. Puis, on fait les arrangements. On refait enfin les voix au propre en fonction des arrangements. Ce qui veut dire que pendant tout l’enregistrement du disque, tu stresses un peu avec la voix car les arrangements foutent la pression. Là, je me suis dit : « je vais faire mes voix comme si j’étais en concert, tranquille » et on verra après. J’ai pris beaucoup de plaisir à le faire dans ce sens. Si ça ne va pas, c’est pas la voix que je refais mais l’arrangement. Au final, elle est très claire et les arrangements sont bavards quand la voix s’arrête. On a mis les choses dans le bon ordre.
Puisque tu parles de voix, il est surprenant de constater que c’est après tes collaborations avec Miossec et Vanessa Paradis que tu as réalisé l’importance de placer la tienne. Ce ne sont pourtant pas deux chanteurs à voix.
Justement, je trouve qu’ils ont des voix magnifiques quand ils ne forcent pas. J’avais sorti un album à l’issue d’une tournée acoustique avec Vanessa Paradis, que j’avais réarrangé seulement pour des instruments acoustiques. C’est-à-dire sans batterie, avec des boîtes d’allumettes, des bricolages, etc. Elle chantait tout doucement. Et quand elle chante tout doucement, Vanessa a une voix vraiment magnifique. C’est exactement pareil avec Miossec. S’il force, ce n’est pas la plus belle voix du monde. Il y a des gens qui sont plus beaux en chantant doucement – c’est mon cas – et d’autres en chantant fort.
Ça va sinon ? Parce qu’à l’écoute du premier titre, « Le Grand amour » semble sur le déclin…
C’est pour dire que ce genre de grand amour, de folie furieuse, de truc romantique, quand on baise tout le temps, soit ça s’arrête après, et c’est le cas de cette chanson où l’un des deux lâche l’affaire et l’autre reste en plan avec son paréo ; soit ça se transforme car le couple rentre dans une phase différente. Mais ça peut être aussi une jolie phase, même si on en fait moins des chansons car le sujet est moins romantique. C’est la première chanson, le reste de l’album explore la suite. La suite avec tout l’optimisme et la difficulté, moins évident. Mais c’est vachement beau ensuite !
Session réalisée par nos excellents confrères de Bruxelles ma Belle.
Dans le précédent album, « Tu vas rire » parlait déjà du salaud qui a une double vie. J’ai l’impression que t’aimes bien être dans la peau du salaud.
Oui, c’est vrai (long moment). C’est marrant de jouer sur la mauvaise foi masculine, la petitesse parfois. Par exemple, je préfère réussir « Midi on m’a dit » dans mon nouvel album. Elle parle de ce mec-là. Enfin, je suis ce mec-là, mais je refuse de céder aux sirènes et licornes qui me tournent autour ; revenez plutôt à midi car j’ai prévu de vivre autrement. Là, c’est la façon « non-salaud » de dire la même chose.
Tu écris que la solitude des voyages favorise l’écriture. Parmi ces excursions, par exemple sur une plage devant un beau paysage, te projettes-tu dans la peau de ce salaud ?
(rires) Honnêtement, je ne suis pas ce personnage mais je suis fasciné par ce salaud qui ment à tout le monde. D’ailleurs, ce n’est pas moi qui dit que c’est un salaud, c’est toi. Moi, je ne le juge pas. Chacun ses histoires, chacun vit sa sexualité. C’est juste que je suis fasciné par les mecs qui ont une double vie. Je trouve ça assez beau d’une certaine manière s’ils arrivent à sauver toutes les parties, mais souvent c’est casse-gueule. Je ne suis vraiment pas ce gars ! Seul sur une plage, je ne me dis pas que je le suis, mais ce sont des thématiques qui me viennent à l’esprit quand je réfléchis au couple. Je ne suis pas débile et imagine ma vie telle qu’elle pourrait être avec d’autres personnes. J’ai fait mes choix, qui sont venus naturellement, qui me comblent. Je suis très heureux. Mais bon, dans les aspects de la vie en couple, ce personnage-là est magnifique tout de même.
« Je fais des chansons chiantes pour certains et très réfléchies pour d’autres, ça m’ennuie pas du tout. »
Plus les albums passent, plus tu es doux. Imagines-tu revenir à un album davantage pêchu, à la Bungalow, que certains comparaient à Richard Gotainer ?
Ça m’est passé. Avec un peu de recul et sans m’en vouloir, je voulais que ça pète et que ça soit dynamique. Il a fallu que je me fasse virer de ma maison de disques de l’époque pour comprendre. C’est là que je me suis posé des questions sur ma voix. Quel est mon organe ? Quelle est ma conception physique ? On ne peut pas faire grand-chose pour la voix. Si je l’éclaire comme ça, elle est belle ; comme ça, elle est moins belle. Sur Bungalow, je la trouve moins belle.
De par ton parcours de musicien et d’arrangeur, as-tu pensé à ce moment précis que tu redeviendrais à jamais cet homme de l’ombre, cet « accompagnateur » ?
J’ai pas la vision de l’ombre et de la lumière, mais celle d’un mec au service des autres. A ce moment-là, je sortais d’une tournée acoustique avec Vanessa Paradis à Los Angeles. Ce fut une tournée magnifique, musicalement et humainement. Tout le monde pensait que j’étais soit très cher, soit indisponible. Je me suis vraiment retrouvé dans un trou. Je n’avais plus d’espoir pour rien. C’est bien car ça permet de se poser des questions. A ce moment, j’ai dû penser que c’était la fin de ma carrière professionnelle jusqu’à ce que Tôt ou tard vienne me récupérer. Le directeur du label, Vincent Frèrebeau, m’a dit « Tu fais partie de la famille ». J’avais collaboré avec eux sur quinze albums, comme réalisateur, musicien, choriste, etc.
Tu le prends mal si je t’annonce qu’une personne t’ayant écouté rapidement pour la première fois t’étiquette comme « chanteur dépressif » ?
Chanteur dépressif, c’est une expression toute faite, une étiquette. Si ça la déprime, je suis désolé car ce n’est pas mon but. Je ne suis pas du tout dépressif. Je comprends, par contre, qu’on me qualifie de chanteur chiant. Un mec qui chante tout le temps sur le même ton pour les gens qui écoutent Marylin Manson, t’imagines ? A mon avis, plein de gens doivent me trouver chanteur ennuyeux et je ne peux pas leur en vouloir. C’est comme un film japonais, un cinéma monté de façon lente. On trouve le relief où on le veut. Je fais des chansons chiantes pour certains et très réfléchies pour d’autres, ça m’ennuie pas du tout.
As-tu identifié ton public lors des concerts ? Est-il plutôt féminin ?
Peut-être des femmes avec leur mari. Peut-être. En même temps, je reçois des témoignages de mecs assez chouettes qui se retrouvent dans mes chansons. L’aspect nuancé de la masculinité, dont je parlais dans le précédent album et que certains ont qualifié de féminin, montre que ce n’est pas de la féminité. Masculin, ça ne veut pas dire forcément un baraqué qui fout des coups de poing partout. Je préfère un masculin sensible. La vie est tellement complexe, rien n’est beau ou moche tout le temps. Plus je nuance mon propos pour être en accord avec ce que je ressens, plus ça a l’air de parler et de surprendre. Tant mieux car j’osais pas aller aussi loin dans l’exploration de la nuance. Parce qu’on en parle peut-être pas assez.
« Une femme » sonne très Vincent Delerm.
T’es pas le premier à le relever (sourire). Une journaliste de Magic m’a fait remarquer que c’est la même intro que « Voici la ville » sur son 3e album (il chantonne et mime le piano). Vincent est un très bon ami, il m’influence forcément. Tant que lui ne s’en plaint pas. J’ai pas réalisé à quel point son album Les Amants parallèles a un son proche du mien.
En entrant en studio, combien de titres avais-tu sélectionné et combien en as-tu gardé ?
Pour les deux jours en studio, il y en avait seize que je voulais enregistrer. Je déteste les albums de plus de douze titres, donc je savais que ça serait une douleur. Dès les premières notes, j’ai su sur deux titres que ça ne marcherait pas. Puis sur un autre. A la fin, il restait une chanson de trop. Tout le monde me poussait à en enlever une. Celle qui a sauté, elle fut tellement conflictuelle que je l’ai virée en me disant « elle ira mieux pour une autre fois ». C’était une telle bagarre interne que j’en parle dans le documentaire Albin de la Simone – Images Fantômes de Pauline Jardel, qui m’a suivi pendant 2 ans. Ça en devient un running gag.
C’est le comble du luxe de prendre un avion pour l’Islande afin d’enregistrer un chœur d’Emiliana Torinni dans sa cuisine. Loin de nous l’idée de te faire culpabiliser, mais t’en as profité pour visiter, trouver l’inspiration ?
C’est surtout le comble de l’anti-écologie, le comble de l’empreinte carbone ridicule. Pour te répondre, je ne serai pas allé en Islande si je n’avais pas « dam dam dam » à lui faire enregistrer. Sérieusement, c’est une amie et ça m’a fait plaisir de la voir. Je suis en désaccord avec moi-même sur l’empreinte carbone que ça représente. Mais mon métier est ainsi, il m’est arrivé d’aller au Japon pour un concert . Il ne faut pas que cela m’empêche de faire tous les efforts pour compenser ce que mon métier m’oblige à dégueulasser la planète. J’ai une trottinette électrique, j’ai changé de banque, de fournisseur électrique. Parce que ça me préoccupe à fond. Et c’est important que ça nous préoccupe tous, même si on fait des erreurs.
Sans te demander pour qui tu vas voter, crois-tu qu’un ou une candidate à la Présidentielle se soucie vraiment de l’écologie ?
Vraiment ? J’en sais rien. L’écologie est un argument de campagne, comme d’habitude. Je me sens totalement à gauche parce que les préoccupations d’humanité, de social et d’écologie sont clairement affirmées. Dans les actes, la présidence qui vient de passer ne me prouve pas beaucoup que ce soit vrai. Mais dans le discours, je suis complètement d’accord.
On ne te verra donc pas à un concert de soutien ?
J’ai refusé il y a pas longtemps. Par contre, je t’encourage à parler de la tournée Le Chant des colibris qu’on met en place avec Cyril Dion et Pierre Rabhi. Avant la Présidentielle, on veut attirer l’attention dans différentes villes. La journée, on fait des ateliers, des conférences, de la soupe pour tout le monde. Et le soir, on est plein de musiciens à jouer pour parler de tout ça. Sur la base de la Fondation Nicolas Hulot, un gros machin écolo porté par Frah, le chanteur de Shaka Ponk, va aussi voir le jour. Autant j’ai du mal à parler politique mais je suis prêt à parler d’écologie, car c’est notre peau qui est en jeu.
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