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Agoria : « La rave est la célébration la plus collective qui soit »

Des dimanches matins à écouter de l’opéra aux week-ends passés en rave et au poste de police, du compositeur amateur de chansons pop à l’un des DJs français les plus demandés dans le monde, Agoria passe en revue pour nous quelques thématiques. La musique du Berghain est-elle novatrice ? Qu’est-ce qu’un faux puriste avec une réflexion minime ? Que représente une chapelle dans le milieu techno ? Qu’est-ce que vendre son âme au diable signifie ? Et autres contre-courants de pensée.

Ma famille musicale

J’ai découvert la musique très jeune. Mon père est un mélomane. On écoutait beaucoup de musique tous les dimanches matins. Tous les styles : Magma, Talking Heads, Bach, ou des disques de bruitages. Ma mère était chanteuse d’opéra et répétait très souvent avec ses collègues. C’était un environnement bizarre où il y avait tout le temps de la musique. J’ai fait du solfège, du piano, de la batterie mais j’ai tout oublié aujourd’hui.

Mon addiction

Ensuite, j’ai découvert mes propres goûts. Quand j’avais 16 ans, c’étaient les prémices des raves et je collais à ce courant qui émergeait. J’étais aux premières lignes. Je traînais dans les magasins de disques jour et nuit, dans les clubs, j’appelais les infolines, les émissions radio pour gagner des disques. J’avais même plus droit d’appeler parce que je gagnais trop de fois. Je connaissais la technique, il fallait appeler à certaines heures précises. Parmi mes amis, j’étais le seul à écouter ces musiques. La façon dont la musique était faite était très décriée, sans parler de la chasse aux sorcières avec les lois anti-drogues. Mais, j’ai fini par en intéresser certains.

Mon préfet zélé

Lyon était l’épicentre de la répression. Je crois qu’un membre de la famille du préfet avait eu un problème dans une rave, donc il s’était fait l’apôtre de l’anti-techno. Tout était annulé même dans un club ou dans un café, si jamais tu avais une commission de sécurité qui passait et qui trouvait une prise de courant trop proche d’un point d’eau. Même les gros producteurs de spectacle, comme Arachnée Productions avaient des problèmes. Donc ça devenait un peu politique. C’était pas juste que les petites soirées organisées par des gamins comme nous, c’était aussi le cas pour des grosses machines. Raymond Barre avait décidé de donner des autorisations jusqu’à 1h du matin, comme pour les concerts, ce qui revenait à annuler les soirées. Je faisais des télés locales où je débattais avec des politiques pour les réhabiliter.

Ma police des champs

De Lyon, on allait à Marseille ou Avignon. Rendez-vous sur des aires d’autoroutes, 250 voitures qui se suivent, avec un passeur devant. On est en 93-94 et pendant 4, 5 ans, je passe tous mes week-ends en rave. Je me suis retrouvé plein de fois au poste parce que je mixais dans les afters, que j’étais le dernier DJ et que les promoteurs s’étaient déjà barrés. Toujours les mêmes conversations : « Est-ce que vous dealez ? Pourquoi vous faites ça ? » Les flics étaient pas très vieux, entre 25 et 30 ans, et plutôt cools. Au bout de la quatrième fois, ils me disaient « Bon, je vais faire la photocopie de votre dernière déposition, Monsieur Devaud ». C’était assez relax. Pourtant, ce qui m’a marqué, ce sont ces organisateurs qui ont perdu beaucoup d’argent, alors qu’on avait de très faibles économies. Ça a cassé beaucoup de rêves, pour des gens qui n’étaient pas aussi motivés que moi.

Moi, didjé

J’avais pas encore l’envie d’être producteur, compositeur, artiste, je voulais être DJ. Je voulais même ouvrir un magasin de disques. Quel bien m’a fait de ne pas le faire, quelque part ! A l’époque, les disquaires étaient mes héros. Il y en a un qui est devenu mon témoin de mariage. C’est eux qui me payaient à manger parce que chaque euro, je le mettais dans l’achat de disques. Je ne suis pas nostalgique de cette époque mais content de l’avoir vécue et de voir l’évolution incroyable que ça a pris jusqu’à aujourd’hui. C’était très artisanal.

Mes institutions

A Lyon, on avait le pris le parti de bosser avec elles. C’est d’ailleurs grâce à elles que Nuits Sonores existe. Quand on vient des racines, qu’on se rappelle qu’on était des rebelles, c’est toujours un peu bizarre de se retrouver autour d’un verre au Costes et qu’on négocie avec les pouvoirs publics. Mais il ne faut pas cracher dans la soupe et c’est la meilleure chose à faire. Ça nous a été reprochés la première année aux Nuits Sonores. On était aux anti-dépresseurs le jour et à la vodka la nuit. Il y a toujours des faux puristes qui s’énervent pour rien, qui sont dans un discours pré-établi avec une réflexion minime qui vont te dire « Mais pourquoi vous faites ça ? C’est pas du tout nous. Vous allez vendre votre âme au diable. » Mais on s’en fout. Je ne suis ni dans l’avoir ni dans l’être, je pense qu’il faut faire les choses.

Moi, compositeur

Fin des années 90, je me suis acheté mon premier ordinateur, ma première table de mixage, je commençais à faire deux, trois démos. L’une d’elles, « La Onzième marche », a plu. Elle est sortie sur le label et agence de booking Tekmics, tenu par un mec qui s’appelait Miloch. Un mec qui pour moi avait autant d’importance que Daft Punk, je l’ai souvent dit dans les interviews. Daft Punk pour le grand public, pour crédibiliser notre milieu. Et Miloch, sur le terrain, c’était l’un des DJs les plus brillants et visionnaires. Il a tout arrêté à cause de pépins de santé autour de ses 30 ans. Mon disque avait fait un four : 300 exemplaires à une époque où tu pouvais en vendre facilement 6000. Même si aujourd’hui, ce serait un best seller. Ensuite, un des disquaires l’avait envoyé à PIAS. Quelqu’un de chez eux l’a écouté, l’a signé et j’ai dû en vendre 25000.

Moi, provocateur

Tu peux toujours remettre en question la qualité d’un disque : pourquoi il marche ? Pourquoi il ne marche pas ? Ça tient à rien. L’époque, le marketing. Tu ne peux pas te dire que si tu fais un bon morceau, il va marcher. Je pense que c’est encore plus vrai aujourd’hui. De nos jours, c’est l’image qui vend la musique, ce qui n’était pas le cas avant. C’est plutôt celui qui a la meilleure coupe de cheveux, le meilleur sweat. Les producteurs d’aujourd’hui sûrement plus de temps à s’occuper de la mode que de leur musique. J’exagère, c’est de la provoc, mais c’est un peu le cas. Il y a aussi des bons côtés à ça. Ça peut être aussi très intéressant de travailler avec la mode mais il ne faut pas que ça prenne le pas sur la musique.

Mon sentiment sur l’innovation

Prenons la techno allemande du Berghain. Alors on parle d’une musique qui a 20 ans, la même que celle des années 90. Ils l’ont remis au goût du jour, c’est une histoire de cycles. Mais il n’y a rien de novateur. Innervisions, le label de Dixon l’est globalement plus. Mais je comprends bien que quand tu découvre ça à 18 – 20 ans, tu puisses en être fan. J’étais pareil. Aujourd’hui en studio, je serai incapable d’écrire un morceau complètement techno. Il y a déjà des mecs qui font ça très bien. Déjà à l’époque avec Robert Hood ou autres, je me demandais « est-ce que je vais pouvoir faire mieux ? ». C’était pas vraiment moi. J’avais besoin de faire quelque chose de plus mélodique. J’adore le jouer, mais le faire moi-même m’emmerde. Je discutais récemment avec Surgeon qui me disait « moi c’est cool, tous les 3 – 4 ans, j’ai un retour de hype, quand la techno revient ». Le mec fait toujours la même musique et est toujours là. Ça suit le buzz. C’est le cas pour Robert Hood, Lil Louis, Function, et même Jeff Mills que les gens redécouvrent.

Ma pop

J’adore produire des morceaux écrits comme des chansons. C’est très casse-gueule pour la musique électronique surtout dans notre milieu qui est très radical avec ses chapelles. Où quand tu sors d’une chapelle on te dit « oulala, mon Dieu, tu as mis un pied en dehors de la chapelle. Sacrilège ! ». Moi, j’adore ça, je suis assez affranchi de ces chapelles. Je revendique cette ouverture. Ce n’est pas que je ne sache pas où aller, j’ai ce besoin d’essayer plein de choses. Faire des morceaux plus pop, c’est une expérimentation. Après, si tu me parles de Beyoncé ou de Rihanna – sans juger l’artistique, parce qu’elles ont des morceaux qui sont tellement efficaces que tu peux juste dire bravo – je suis moins fan du message qu’elles véhiculent. Ces artistes ont tellement de pouvoir et peuvent changer radicalement la vie de leur public.

Ma France

Ça fait longtemps qu’il n’y avait pas eu autant d’événements. Alors, c’est absolument vrai quand on parle d’âge d’or. Comment on en est arrivé là ? Il y a plusieurs raisons. Je suis même étonné qu’on ait mis autant de temps, personnellement. A Paris, je me réjouis qu’il y ait autant de soirées, qu’elles sont à chaque fois archi blindées, que le public en redemande. Je me demande combien de temps ça va durer. Il peut aussi se lasser très vite. Mais tant qu’il y aura cette qualité, je ne suis pas inquiet. C’est un peu étonnant que la techno soit à son âge d’or après 25 – 30 ans de vie. Pour nous, c’est génial. Merci mon Dieu. Mais il y a encore pas mal de choses à changer. Quand tu vois que la variétoche est encore la plus soutenue en France, que des sommes astronomiques sont données à l’opéra pour un public la plupart du temps très bourgeois : des millions pour un public de mille personnes. Il y a encore plein de choses qui peuvent être faites pour que la musique alternative soit plus représentée.

Mon idée du futur

Aura-t-on besoin encore de labels au moment où le système de distribution est quasiment fracassé ? A partir du moment où tu es prescripteur, tu n’en a plus besoin. Même si c’est encore un peu tôt. Seulement, moi j’adore l’idée d’avancer en équipe. On est tellement dans un monde hyper solitaire où tout le monde se regarde le nombril que c’est sain de se créer sa communauté. C’est aussi la force de la rave. On danse certes tous pour soi, mais ce 1+1+1+1 crée une énergie incroyable. Si tu danses dans ton salon, tu ne le ferai pas de la même façon, c’est l’énergie collective qui te porte. La rave, c’est la célébration la plus collective qui soit.

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