Habillées de telle façon qu’elles feraient frémir les plus grand couturiers, les sœurs Haim figurent désormais parmi les égéries préférées du public français. Sous le pseudo A-WA, Tair, Tagel et Liron se sont tournées vers le passé de leurs grands-parents, des juifs du Yémen qui ont fui le pays pour Israël au milieu du siècle dernier. Avec Habib Galbi, leur premier disque, elles explorent la tradition féminine du folk yéménite et y ajoutent leur culture : hip-hop, reggae, électro, pop psychée. On a rencontré des fans de Stromae qui ont accroché des artistes comme Acid Arab et Tomer Yosef .
Vous avez joué plusieurs fois à Paris ?
Liron Haim (à droite de la photo en une) : On a arrêté de compter.
Tair Haim (au centre) : On a une super team ici, comme une « famille A-WA ».
(son de machine à café super fort, alors que l’interview vient de commencer)
Tair : C’est notre batteur, au cas où tu te demandais. Il est turbulent mais on l’aime bien.
Liron : C’est dingue à quel point les batteurs aiment faire du bruit.
Parlez-moi de votre enfance en Israël.
Tagel Haim (à droite) : On a grandi dans un village dans le désert entourées de centaines d’espèces d’animaux. C’était une enfance très simple, connectée à la nature, sur une montagne avec une vue infinie. On a développé notre créativité, parce qu’il n’y avait vraiment rien de rien.
Liron : On se créait nos propres concerts. D’abord chez nous, ensuite à l’école et dans le village. Finalement, on a étudié la musique, pris des cours de piano, de danse, d’arts plastiques, de chorale.
« Dans la culture juive yéménite, les femmes ne pouvaient apprendre ni à lire ni à écrire. La chanson était le seul moyen d’exprimer leurs sentiments les plus profonds. La transmission était orale, de mère en fille » Tair Haim
Quel instrument avez-vous découvert en premier ?
En chœur : Un son de tambour.
Tair : Un tambour yéménite. Les Yéménites l’utilisaient du temps de nos grands-parents, des juifs qui ont émigré en Israël.
En quelle année ?
Tagel : En 1949, la majorité de la population yéménite a quitté le Yémen. L’antisémitisme avait atteint des proportions énormes [on a appelé cet exode L’opération Tapis Volant, ndlr]. D’ailleurs, je ne pense pas qu’il reste beaucoup de juifs au Yémen aujourd’hui.
Tair : Pour reprendre sur les tambours, dans leurs croyances religieuses, il était répandu qu’ils ne pouvaient jouer que de cet instrument. Dans leur musique, il existe uniquement le chant et les percussions. Je me rappelle que les femmes tapaient sur les tambours et chantaient ensemble, c’était très tribal. On était curieuses, on avait l’impression de faire partie d’une tribu ancienne, c’était génial.
Quel âge aviez-vous la première fois que vous êtes montées sur scène ?
Tagel : A 11 ans avec un piano, lors d’un concert dans le village. Il y avait des milliers de personnes de la communauté, tout le kibboutz [villages collectivistes d’Israël développés au début du XXème siècle sous l’influence des idées du socialisme associatif ; à la base une réelle utopie collectiviste rurale, elle a aujourd’hui – pour un grand nombre – suivi le libéralisme et l’embourgeoisement du pays et s’est largement éloignée de ses influences socialistes, mais il en reste, ndlr]. Tous les enfants de mon école étaient là et j’ai ouvert la soirée, avec une robe hyper longue.
Tair : Mon premier concert doit traîner sur une vieille cassette VHS, c’était l’anniversaire de mes 7 ans. J’ai construit une scène avec des cagettes, demandé à l’une des amies de m’introduire au public, chanté et laissé la place à Liron.
Liron : On a des vidéos assez fun où on chipe les fringues de notre mère et où on danse dans le salon comme des indiennes en s’y croyant à fond. Les voisins nous appelaient les Jackson’s, vu que toute la famille s’y mettait. Je crois que lors d’une récente émission TV sur nous, ils ont montré des passages de vieilles cassettes.
Tagel : Notre père était notre premier supporter, à jouer de la guitare, du darbouka et du clavier.
« L’idée de mixer les genres était assez naturelle pour nous. On lançait un beat hip-hop et on chantait une chanson de folk yéménite par-dessus. Quand t’y penses, allier la musique yéménite de nos ancêtres – basée sur le rythme – et l’électro, c’est pas si incohérent. En plus, le phrasé ressemble à du rap. » Tair Haim
Qu’avez-vous le plus appris de la musique juive yéménite ?
Liron : Les expressions vocales et le groove sont des éléments extrêmement puissants. C’est juste percussions-voix, tu visualises ? Alors, il faut que ta voix ait une âme et qu’elle raconte une histoire.
Tair : Comme musicalement c’est réduit au minimalisme, ils ajoutaient un côté théâtral, les performeurs dansaient, tapaient dans leurs mains.
Liron : C’est assez proche de la musique africaine, dans l’approche de la la transe et la façon dont les corps se mettent en mouvement.
Tagel : Même les chansons les plus tristes arrivent à être rendues joyeuses, grâce au tempo. Tout ça veut dire : on dépasse notre craintes et notre tristesse en dansant.
C’est ce que vous faites avec A-Wa : écrire des paroles tristes et les rendre chantantes… ?
Tagel : C’est une des caractéristiques mêmes de la folk. L’exemple de notre morceau « Habib Galbi » est parlant à ce sujet. C’est bizarre à croire, mais c’est pas une chanson heureuse. Elle dit : « The one I love with all my heart and eyes / Who turned you against me / I wish him to eat with no taste » ou après « Love of my heart / A year and a half has passed and he has not returned to me / O’ people, he has left and driven me mad »
Tair : On a découvert qu’au Yémen, dans la culture juive, il y avait une différence entre la musique jouée par les hommes et les femmes. Culturellement, ils ont des rôles bien distincts. Notre grand-père priait très régulièrement et chantait surtout des chants religieux déjà existants. Et notre grand-mère travaillait avec les autres femmes. Parmi ces autres femmes, il y en avait aussi de culture musulmane. Ensemble elles inventaient des chansons qui les faisaient s’évader de leur quotidien qui était assez limité. Elles ne pouvaient apprendre ni à lire ni à écrire et ces chansons étaient leur seul moyen d’exprimer leurs sentiments les plus profonds et leurs émotions. C’est pourquoi tout se faisait par transmission orale, de mère en fille.
Liron : Elles s’asseyaient en petit groupe et chantaient chacune ses peines et ses pensées aux autres qui écoutaient, comme un groupe de soutien. C’est ce qui a donné le folklore. C’est fou à quel point ces femmes étaient courageuses. Les textes sont si forts, honnêtes et sexy.
Tair : On est complètement tombées sous le charme de ces histoires et de cette tradition. C’est comme ça qu’on a commencé à s’en inspirer pour composer nos propres chansons, tout en la mélangeant avec d’autres styles modernes qui nous correspondent comme le reggae, le hip-hop, l’electro, la soul, la funk. Un mix de nous.
Tagel : Cette idée de mixer les genres vient de très loin, alors qu’on était encore des enfants.
Tair : C’était assez naturel. J’allais au clavier, je lançais un beat hip-hop et me mettais à chanter une chanson de folk yéménite. Et quand t’y penses, allier la musique yéménite de nos ancêtres basée essentiellement sur le rythme et les musiques électroniques, tout ça n’est pas si incohérent. Le phrasé aussi qui ressemble parfois à du rap.
« Stromae… Quel personnage, quelle émotion, quel artiste théâtral. » Tagel Haim
Vous suivez la scène yéménite actuelle – s’il y en a une ?
Tair : Ça nous arrive de mater des vidéos sur YouTube de gens qui chantent dans les rues et ça sonne super bien. Tu vois des gosses qui chantent de vieilles chansons, qui tapent sur d’énormes percussions.
Liron : Une partie de ce qu’on entend est de la folk, ou des reprises de chanteuses populaires comme Balqees, qui vit aux Emirats et dont le père est yémenite. C’est très moderne ce qu’elle fait [tu m’étonnes, ndlr].
Tair : Mais je ne pense pas qu’il y ait véritablement de scène au Yémen. C’est la guerre quand même. Je ne pense pas que quiconque puisse aller y jouer. C’est quand même la raison pour laquelle nos grands-parents ont le pays. Mais si on jour on le peut, ce serait fabuleux. T’as déjà entendu parler de Socotra ? C’est une île qui était déserte pendant longtemps où les arbres sont improbables. En tout cas, ce serait le rêve d’y jouer.
En quelle langue chantez-vous ?
Tair : Dans cet album, on chante uniquement en arabe yéménite. Mais on a déjà chanté en hébreu et en anglais.
« On ne fait pas des covers. Dans nos morceaux, il n’y a pas un seul compositeur. Ces chansons sont de tradition orale, tu ne peux pas dire qui les a écrites. » Tair Haim
Comment construisez-vous vos chansons ?
Tagel : On crée de nouvelles structures. Dans la plupart des chansons folk, il y a seulement 8 parties, c’est assez monotone. Alors, on a ajouté d’autres parties, une introduction.
Liron : Des fois, on change le rythme et l’émotion de la chanson.
Tair : Là, on a commence à avoir trouvé « notre » son et on voudrait se mettre à des compositions plus personnelles. Avec ce premier album, on est revenues aux sources pour leur donner notre touche.
On peut dire que vous faites des reprises ou non ?
Tair : Je n’aime pas ce mot dans notre cas. Parce que dans nos morceaux, il n’y a pas un seul compositeur. Ces chansons sont de tradition orale, tu ne peux pas dire qui les a écrites.
Vous jouez funk, soul, hip-hop et pop 60’s en plus du folk yéménite. Quand avez-vous pour la première fois été sensibilisées à ces musiques afro et anglo-saxonnes ?
Tagel : Dans les vieux disques de nos parents. Et puis dans les années 90, on a découvert MTV.
Tair : Dans notre disque, tu peux largement entendre l’influence de la pop psychédélisme des années 60 et 70. Surtout au niveau des claviers. C’est pourquoi on est super fans d’un groupe comme Tame Impala.
J’ai cru comprendre que vous étiez de grandes fans de Stromae…
En choeur : Yeahhh !
Que représente-t-il pour vous en tant qu’artiste et que personnalité publique ?
Tair : Il n’a pas peur de parler de sujets très sensibles, à propos de son enfance, de son père, du cancer, de la dépression amoureuse, du genre.
Tagel : Stromae… Quel personnage, quelle émotion, quel artiste théâtral.
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