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Citizen Records : « S’autogérer et travailler en famille sont les meilleurs moyens de casser le système »

Vingt ans de bamboule, de tourbus à fond les ballons, de moments familiaux et de musiques taillées pour faire danser les foules, ça se fête. Quand la techno progressive, l’electroclash et les musiques électroniques aventureuses de Vitalic et sa bande débarquent en mode bug de l’an 2001 dans le paysage français, les tapeuses de pieds et les agitateurs de bras la reçoivent comme un grand bol d’air frais bienvenu. Vingt ans après les débuts du label, on a contacté les artistes qui ont fait Citizen Records afin de recueillir leur meilleur souvenir : Vitalic himself, mais aussi Rebeka Warrior (pour Kompromat), Teenage Bad Girl, John Lord Fonda, The Micronauts, Donovans, Jun-X, Lady B et Fukkk Offf.

Vitalic : C’était l’époque du modem 56K

J’ai commencé Citizen Records en 2001 après avoir fini mes études. Le label consistait essentiellement en un bureau bon marché aux fausses allures 70’s dans mon appartement, un fax et un ordinateur connecté à son modem 56K. J’avais 25 ans, je ne savais pas vraiment où ça allait me mener, mais j’étais en hyper excitation. En 2011, 10 ans plus tard, nous avons fêté l’anniversaire à La Machine à Paris, avec toute l’équipe du label, nos partenaires et un plateau maison. Cette soirée reste gravée dans ma mémoire. Le club était plein à craquer, il y régnait une excitation folle, et surtout j’étais fier de toute l’équipe et de nos musiciens. Fier d’avoir réussi à traverser les vents contraires et de faire une bonne équipe. Il est impossible de faire un tel évènement pour nos 20 ans mais on le fêtera deux fois plus en 2031.

Kompromat (par Rebeka Warrior) : Margaret Thatcher dans un bain moussant

J’ai une image très nette du jour où, dans ma tour / studio du château de Monthelon (où nous avons enregistré une bonne partie de l’album Traum und Existenz de Kompromat), Vitalic m’a demandé si je voulais sortir le disque sur son label Citizen. Ça nous paraissait à tous les deux logique. A aucun moment nous n’avons pensé aller voir ailleurs, car à aucun moment nous n’avons pensé qu’un autre label pourrait faire mieux. Cette collaboration nous a paru naturelle et évidente. Par la suite, j’ai réalisé à quel point cette alliance était profitable et même vitale. S’autogérer et travailler en famille est le meilleur moyen de casser le système. C’est donc grâce à Pascal et à sa sœur Élise (qui gère le label d’une main de fer dans un gant de velours – type Margaret Thatcher dans un bain moussant) que nous avons lancé Warriorecords. Longue vie à Citizen et vivement la prochaine cousinade.

John Lord Fonda : Autour d’une bouteille de mirabelle et d’un café

Le meilleur souvenir que je garde de Citizen est la genèse de mon premier album, né autour d’une bouteille de mirabelle et d’un café, au bureau du label. A cette époque, le DA de Citizen cherchait un moyen de me faire tourner. Il a pris un papier, un crayon et a proposé sur un coin de table une tracklist provisoire de ce qui allait devenir DeBaSer, mon « debut album » comme on dit. J’ai eu un mois pour tout terminer, j’étais dans le jus. C’est allé très vite et surtout c’était bien roots mais… tout ceci n’est plus possible aujourd’hui, il faut plus calibrer les choses. Ce moment précis reflète l’état d’esprit de l’époque, j’avançais dans le brouillard, c’était très excitant, j’en garde un très bon souvenir.

Teenage Bad Girl : Quand tu joues au Rex Club

Notre souvenir le plus marquant fût la soirée « Vitalic et ses amis » au Rex Club en janvier 2007 : c’est ce soir-là que nous avons rencontré « en vrai » toute l’équipe Citizen, et le courant est immédiatement passé. C’était notre premier dj set en club, et la première fois que nous testions le titre « Cocotte » en cours de finalisation à l’époque. Jouer au Rex, dans ce club mythique, était à la fois stressant et très excitant. Mais dès les premiers disques joués le public a immédiatement répondu, et le souvenir reste très fort.

The Micronauts : La French Touch s’émousse, quand soudain…

Mon premier contact avec l’équipe de Citizen Records date en réalité d’avant la création du label par Pascal Arbez-Nicolas, alias Vitalic. C’était en juin 99, à l’occasion d’une soirée à l’An-fer, le mythique club de Dijon considéré à l’égal du Rex. Le programmateur de l’époque n’était autre qu’un futur DA de Citizen, Fred Gien. Il avait organisé une soirée autour du label anglais Wall Of Sound, un des labels phares de la scène big beat, avec un live des Rythmes Digitales, le groupe de Jacques Lu Cont alias Stuart Price, ainsi que des DJ sets des Strike Boys et des Micronauts. The Micronauts était encore un jeune projet, que Georges quittera un an plus tard, et nous venions de remixer un morceau des Strike Boys, sorti sur Wall Of Sound. Des liens sont alors définitivement tissés puisque Citizen sortira en 2007 mon album Damaging Consent, accompagné de la compilation A Remixes Retrospective qui inclut justement ce remix, et signera en 2009 un album de Zoot Woman, un autre groupe de Stuart Price.

Deux ans après, toujours à l’affut des dernières nouveautés en bon fan de musique qui se respecte, je découvre Vitalic en achetant son 1er maxi, le fameux Poney EP qui pose les bases de la techno progressive, sorti sur International Deejay Gigolo. Fondé par DJ Hell à Munich, ce label est alors un havre pour les jeunes artistes français affiliés à la scène electroclash émergente, et rejetés par une French touch qui s’était émoussée au contact des beaux quartiers et des banlieues chics (outre Vitalic, citons Miss Kittin, The Hacker, David Carretta, Terence Fixmer, Tampopo, Play Paul, Kiko & Gino…). Je ne savais pas encore que Pascal venait en parallèle de créer son propre label.

Mon téléphone sonne quelques années plus tard. Je suis en vacances à Cassis, en train d’admirer le cap Canaille, depuis un rocher au pied de la propriété d’un ami, ancien organisateur de rave et DJ au sein du collectif eDEN, reconverti dans les start-ups informatiques. C’est Fred Gien qui m’appelle, pour me proposer de faire un album pour le label dont il s’occupe, Citizen Records. Je viens de créer moi aussi mon label, Micronautics, où j’ai sorti une série de maxi dont le hit techno « High Rise ». Mais c’est l’époque où les effets conjugués du mp3 et des prédateurs de la Silicon Valley (Apple, Google…) dévastent la scène musicale indé, fragile par nature. Mon distributeur fait partie des nombreuses petites structures qui font faillite. Je suis donc libre et je dis banco.

Lorsque je pars à Dijon pour signer, je découvre un label en pleine effervescence, installé dans le garage du pavillon de Fred, où règne une ambiance familiale, joyeuse et passionnée. On est en pleine French touch 2.0 à laquelle le label se trouve momentanément associé, même si j’ai toujours pensé qu’il était là avant et serait là après, grâce à son authentique ADN techno. Suivront quelques années de sorties discographiques, de tournées intenses et de fêtes mémorables. J’y gagne surtout une bande d’amis fidèles et quelques belles rencontres artistiques qui continuent à porter leurs fruits aujourd’hui. D’ailleurs, je compose actuellement la musique d’un documentaire sur les jardins-forêts comestibles, une alternative à l’agriculture, réalisé par Thomas Regnault, que j’ai rencontré alors qu’il travaillait chez Citizen Records.

Donovans (par Nicolas) : Quand les trophées sont des têtes de rhinocéros

Je dirais vraiment que mon meilleur souvenir ce sont les soirées Citizen. A chaque fois on jouait avec les Teenage Bad Girl, Vitalic, John Lord Fonda et des artistes internationaux. C’était toujours super sympa. En particulier, en tant que Donovans, on a eu l’occasion de faire la première partie de Vitalic sur plusieurs dates en France et en Espagne. L’expérience tourbus avec Vitalic, les techniciens et toute l’équipe, c’était vraiment super. C’était très très festif. On partait le jeudi de Paris en tourbus, on arrivait dans la ville où on jouait, le jeudi soir Vitalic performait et en tant que Donovans on mixait avant ou après. Le soir-même les techniciens remballaient tout et tout repartait dans le bus. Vers 3h du matin, une fois que c’était terminé le bus repartait. Et de 3h ou 4h du matin jusqu’à environ 6h c’était la grosse teuf dans le tourbus. Ils avaient acheté une grosse enceinte portative et l’hymne de tous ces after dans le bus c’était le morceau « Stranger to stability » de Dustin Zahn, remixé par Len Faki. Ça restera comme un souvenir hyper intense, où pendant plusieurs semaines c’était le morceaux de toutes nos nuits. Très souvent, même si je pense que j’étais le plus jeune, j’étais le premier couché, à chaque fois. Les autres avaient une énergie démente. C’était comme ça trois soirs de suite. A chaque fois, on arrive dans une ville, on performe, les gars rangent tout, on fait la fête dans le bus, on arrive dans une autre ville, ils remettent tout et on mix…

L’Espagne aussi c’était super. Il n’y avait pas de tour bus mais on avait joué avec Carl Cox notamment, dans des lieux incroyables. En Espagne d’ailleurs, on a mixé à la Fabrik à Madrid. Avec Vitalic on se retrouve à être invités à dîner par le directeur du club. On commence à faire le trajet en 4×4. Il y avait plusieurs 4×4, le trajet était long, on quitte la ville, on comprend pas trop ce qu’il se passe. Le mec nous reçoit dans une sorte d’immense maison de chasse et on arrive dans le salon, qui est rempli de trophées de têtes d’animaux. Il y avait des girafes, des rhinocéros… Le mec, c’est un chasseur. C’était assez incroyable de se retrouver là, à manger avec ce directeur de club complètement fou qui nous racontait comment il avait tué ces animaux.

Jun-X : La traversée du désert tunisien sans clim

Il y a tellement de moments auxquels je pense. Citizen, c’était bien plus qu’un label. C’était surtout des gens, des relations… On parlait du Citizen Crew, du slogan We are Citizen. C’est pour dire l’importance du « nous ». Que ce soit au Sónar à Barcelone, la Vapeur à Dijon, ou la Villa Rouge à Montpellier, on était tous réunis. Et d’ailleurs plus que jamais aujourd’hui, où l’envie de se retrouver et de partager prédomine, je pense à juin 2006 en Tunisie : avec Pascal (Vitalic) nous étions invités pour la Fête de la Musique sur l’Esplanade de Miami, à Tunis un vendredi soir.

Si vous saviez à quel point c’était exceptionnel sur ce lieu et à cette période de pouvoir jouer. Et pourtant ce soir-là des centaines de personnes de tous âges, hommes, femmes, enfants sont venus et ont osé crier, sauter, danser sur des sons qu’ils n’avaient pas forcément l’habitude d’entendre. C’était un sacré moment, quel sentiment de liberté se dégageait sur les visages, dans un pays où faire la fête restait tabou et complexe malgré les apparences. Le lendemain soir après des kilomètres de traversée du désert tunisien en van Mercedes sans clim, et un chauffeur qui s’endormait presque au volant, on jouait à Sfax dans le Théâtre de Plein Air. La police dépassée par l’ambiance a même voulu que Pascal stop son live qu’il venait de démarrer, mais nous étions là pour donner du fun et on est allé jusqu’au bout. C’est ça Citizen ! Des choix, des partis pris qui fédèrent et rassemblent.

Lady B : La cabine DJ a pris feu

C’était en 2000 ou 2001, juste avant la sortie du nouvel EP de mon projet Lady B qui allait être le Citizen 001 (sur lequel il y a « Swany » et « Swany – Vitalic remix »). Je me souviens d’une soirée où Vitalic et moi étions programmés au Bar Live à Montpellier, c’était tellement la folie dans le club qu’à force de monter le son, le retour dans la cabine DJ a pris feu.

Fukkk Offf : Le seul non-français de l’équipe

Ma première sortie sur Citizen était l’EP I give you bass en 2009, et ça a tout changé pour moi. Je me rappelle encore de mon tout premier jour à Paris. J’arrive devant la vitrine d’une boutique de vinyles et je vois un vinyle que j’ai joué à ma release party au légendaire Social Club. A partir de ce jour, j’ai joué quasiment tous les week-end en France avec des lives dantesques, comme celui d’Arnaud Rebotini, South Central, Monosurround,Teenage Bad Girl, Donovans (maintenant connu en tant que Dabeull), Dinamics, John Lord Fonda et bien sûr le seul et l’unique Vitalic. Toutes les soirées sauvages et les festivals dans lesquels on a joué avaient ce parfum de famille, alors même que j’étais le seul non-français de l’équipe. Ce vinyle a toujours une place spéciale sur le mur de chez moi, avec son lot de souvenirs flous… mais fantastiques. Donc, joyeux anniversaire pour les 20 ans de Citizen Records, et j’espère vous voir tous très rapidement pour une teuf des retrouvailles.

Crédits photo en une : Vitalic © Jeremie Blancfene

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