Le 23 août dernier sortait « 120 battements par minute », nouveau film de Robin Campillo, Grand Prix au dernier Festival de Cannes. Au-delà du film, qu’on vous conseille vivement d’aller voir sans tarder, on a voulu s’intéresser aujourd’hui à sa bande originale, entièrement composée par Arnaud Rebotini. On a donc rencontré celui qui se cache derrière sa moustache imposante et bien taillée, ses cheveux gominés, et son costume italien impeccable pour discuter avec lui du film, des années 90 et du processus de création d’une BO.
Ce n’est pas la première fois que tu composes une BO, qu’est-ce qui t’intéresse là-dedans ?
Celle d’avant c’était déjà avec Robin (Campillo, réalisateur du film ndlr), c’est le deuxième film que je fais avec lui. Notre collaboration artistique s’était super bien passée, le résultat d’Eastern Boys (teaser) m’avait beaucoup plu. J’aime beaucoup son style, j’ai beaucoup d’admiration pour son travail. Donc quand il m’a proposé de refaire un film, il n’y avait aucune raison que je dise non.
Tu as l’habitude de travailler les sons électroniques dans tes différents projets, mais les scores acoustiques qu’on retrouve dans cette BO sont un peu plus inhabituels pour toi, non ?
On l’a un peu oublié mais en 2000 j’ai sorti un album avec mon projet Zend Avesta, c’était un album entre la musique électronique et la musique contemporaine, avec des influences type Debussy. Et c’est très proche de ce qu’on entend dans la composition acoustique que je fais pour Robin. En fait il est venu me voir car il aimait beaucoup ce disque. Donc c’est vrai que récemment j’ai eu une période très électronique mais j’ai aussi beaucoup travaillé sur de l’acoustique par le passé.
Quand on voit le film, on ressent quelque chose d’hyper moderne, on se dit que ça pourrait se passer aujourd’hui, et la BO y est pour beaucoup.
L’idée de la production de la partie électronique c’était vraiment de coller aux années d’activité d’Act Up, pour faire des scènes de club comme si on avait repris des morceaux de l’époque. Et puis, finalement, la musique n’a pas tant évolué depuis ces années. Dans cette BO il y a vraiment tous les éléments de la musique électronique de l’époque, que ce soit au niveau du matériel utilisé ou de quelques trucs de production qui montrent bien ce qu’on a gardé de cette house-là. Mais ce qui donne cette impression de modernité, c’est tout l’aspect acoustique que j’ai rajouté et qui ne se faisait pas dans la house à ce moment-là. En mélangeant cette musique à de l’acoustique avec ce coté onirique qu’elle prend dans le film, ça donne quelque chose d’assez moderne. Si on écoute la BO comme ça on ne va pas se dire que c’est de la house des années 90.
Les jeunes reviennent aux années 90, que ce soit musicalement ou vestimentairement. Ça joue dans la proximité qu’on ressent avec cette époque ?
Oui c’est sûr, par exemple les filles en 501 de mec ça se faisait à l’époque et on retrouve ça aujourd’hui. On a un gros revival de house, deep house, même si il y a quelques trucs de production qui ont évolué – pas forcément en bien d’ailleurs – mais on reste proche des années 90 aujourd’hui.
Justement, tu as dit : « Je crois que ce que j’aime, c’est d’être nulle part, ou en tout cas de ne pas être dans l’air du temps. Je préfère aller vers ce que les gens détestent ». Comment gères-tu le fait que la house et la techno sont de nouveau à la mode ?
Je ne suis pas que un producteur de house/techno, j’ai Black Strobe à coté, j’ai aussi ces projets de films. Mais c’est vrai que je n’aime pas suivre les modes, et si quelque chose est pris par le flot commun, ça m’intéresse beaucoup moins. J’ai jamais eu envie d’être catalogué, la house et la techno ont toujours été un élément qui me passionnait, parmi beaucoup d’autres. Je ne me suis jamais dit « la house, c’est moi » ou « la techno, c’est moi », je suis plus dans la musique en général et j’utilise les styles comme des codes, comme des objets sonores que je mélange et que je gère à ma guise.
Le fait de composer une BO de film, ça te permet aussi de te mettre en retrait : la plupart des gens ne viennent pas d’abord pour écouter ta musique. Ça influe sur ta façon de travailler ?
Je compose la musique pour qu’elle plaise à Robin. Il y a un rapport de séduction, j’ai envie que ça lui plaise. Je me rends compte de la difficulté que ça représente de faire un film donc j’ai pas trop envie de le faire chier, je veux qu’il soit vraiment content. Finalement ça change pas grand chose puisque je sais que j’ai un public qui va écouter ma musique. Et même si mon seul public, c’était Robin, ça m’aurait suffi pour donner le meilleur. Après, la différence par rapport à l’album c’est que le cadre est donné par le réalisateur. Je suis un peu un comédien pour lui, il me demande de jouer un rôle, de lui fournir tel type de son pour tel type d’ambiance. C’est assez reposant parce que je suis guidé, par rapport à l’album où c’est moi qui décide de tout, où tout est ouvert.
https://www.youtube.com/watch?v=LKVvBUeA2FA
Comment as-tu travaillé sur cette BO ?
Il m’avait déjà parlé de son idée quand on a fini Eastern Boys, et quand il a financé le film il m’a fait lire le scénario et on en a parlé ensemble. Il a voulu savoir ce que j’en avais retenu et la sensation que j’en avais, et il m’a expliqué ce qu’il voulait comme musique, il avait des idées très précises, notamment les battements du début du film.
Donc tu n’as pas travaillé avec les images du film ?
Si, mais après. J’étais un peu à toutes les étapes du film, je suis allé sur le tournage pour diffuser la musique pendant les scènes du club par exemple. Et puis Robin me redemandait un petit peu de musique lorsqu’il modifiait quelque chose par rapport au scénario.
Et quand j’ai écouté la BO la première fois, j’ai été surpris d’entendre une musique très house et lumineuse qui tranche avec la techno plus sombre pour laquelle on te connaît. C’est l’orientation que t’a donnée Robin ?
Robin voulait cette musique lumineuse car le film était très sombre. Et puis en parlant avec Didier Lestrade (co-fondateur d’Act Up, ndlr) il m’a dit qu’ils allaient « se consoler » auprès des DJ de l’époque. Robin, sans employer les mêmes mots que Didier, m’a demandé la même chose, il voulait quelque chose d’agréable, de lumineux, pas dark. Parce que quand il a commencé à me décrire le projet, qu’il m’a parlé des années, du sida, moi, je m’étais dit que j’allais faire de la techno, parce que ces années me rappelaient plus Jeff Mills et Underground Resistance que la house. En plus on avait fait de la techno sur Eastern Boys, mais c’était bien de changer un peu pour ce film.
Le film a eu le Grand Prix au festival de Cannes, mais il n’y a pas de prix pour la musique, pas trop déçu ?
J’aurais bien aimé qu’il y ait un prix, je ne vais pas te dire le contraire… (rires) Mais c’est l’affaire du festival de Cannes, je n’ai pas grand chose à dire là-dessus. Eux considèrent que si on donne un prix à la musique, il faudra donner au monteur, au chef op, etc… Mais il y a un prix aux Oscars, et aux Césars. Si on me donne un prix pour la musique, j’en serai ravi mais le plus important c’est que le film fonctionne, que cette histoire soit connue, et que Robin ait créé un bel objet artistique auquel j’ai eu la chance de participer.
Que t’évoque le rapport de la house et de la communauté gay ?
Justement avec le film, j’ai un peu réfléchi à tout ça, et je me suis dit que cette musique était un peu le blues des gays. C’est une musique qui a été un étendard pour des gens qu’on a pas voulu voir, pas voulu entendre. Et cette musique, comme le blues, n’est pas politique du tout, les paroles ne parlent jamais de politique, jamais de maladie, comme les bluesmen parlent assez peu des champs de cotons, de l’esclavagisme, des racistes. Par contre, la musique devient quelque chose d’extrêmement politique parce qu’elle est reprise par ces gens-là. La house était créée et reprise par les noirs, les Portoricains, les gays. Du coup quand j’ai refait cette musique en pensant au film, en pensant aux gens qui sont morts, et à ce que ça représentait pour eux, il y a une forme de noblesse qui m’est apparue, qui avait été un peu effacée par le fait que ce soit devenu mainstream, qu’il y ait des tubes un peu putassiers, que les Anglais aient fait n’importe quoi avec cette musique comme d’habitude, comme ils ont fait avec le blues… Il y a une essence très forte, et c’est ce qui fait que ça devient mainstream d’ailleurs puisque sa force et son authenticité peut toucher tout le monde.
ok merci :)
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C’est bon là normalement.