Célébrer la vie, continuer à faire la fête, à défendre tout ce qu’ils détestent. Autant d’expressions creuses et de mots valises pour tenter de verbaliser, pour reconnaître enfin que le sol se dérobe sous nos pieds ou tenter d’oublier que ceux censés nous représenter font fausse route. Faire la fête quatre jours durant, dans un tel contexte, était-il possible ou même seulement souhaitable ? Derrière les beaux discours et nos principes angéliques, comment avons-nous fait pour nous amuser à Carhaix ?
« Allez-y, lâchez-vous. Chantez. Parce que ça fait du bien de chanter ». Jeudi, en début de soirée, Jeanne Added nous offre, sans en mesurer l’ampleur, ce qui allait devenir le fil conducteur du week-end. Mais un fil tendu, sur lequel on s’agrippe, pour ne pas le perdre, car on sait que tout ne tient qu’à lui. Chanter. D’abord pour soutenir la belle évolution de Ladylike Lily. Puis pour accompagner la rage de Jamie Hince et Alison Mosshart pour ce qui est certainement la meilleure tournée de The Kills depuis leur explosion en 2003. On a même fait mieux que chanter par la suite, en criant et hurlant notre plaisir coupable de connaître encore toutes les paroles de Téléphone, rebaptisé pour nous offrir un concert généreux.
A cet instant précis, l’actualité bascule et allait nous faire revivre les mêmes scènes d’un film qu’on ne veut pourtant plus revoir. Mais nous, jusqu’ici, on ne sait rien. On chante le fait que la bombe humaine est enfantée du monde et qu’elle en sera la fin. C’est plus tard, quand on renoue avec nos satanés téléphones, que ces mots résonnent.
Chanter nous réunit, nous ramène à notre socle commun. Et les mots valises trouvent enfin un sens, un espace-temps au sein duquel le collectif s’exprime, simplement. Le vivre-ensemble, si souvent fantasmé, prend la forme futile et éphémère d’une foule qui scande des chansons entières à l’unisson. Pour vivre au vent, à feu, à sang. S’ouvrir aux sentiments. Commencer par voir si l’amour bat son plein. Même si on sait que Lucien ne perdra plus jamais son chagrin. On redécouvre aussi les nouvelles facettes de ceux qu’on croit pourtant connaître par cœur, en s’apercevant qu’ils évoluent et qu’ils épousent un climat dont on ne sait plus très bien s’il est lourd ou subitement redevenu léger.
A l’antenne aujourd’hui
J’entends que l’on meurt, que l’on vit
Et l’insouciance qui nous fuit
L’insouciance qui n’a pas de prix.
« L’insouciance », sur le nouvel album de Louise Attaque.
Les Charrues 2016, ce sont d’autres moments, qui font l’âme du festival, où l’on dit au-revoir à Marylou, où l’on chante qu’on ira tous au paradis. Même si personne n’est plus dupe de rien. Plus tard dans la nuit, on se déclare même happy. Ce week-end si spécial, c’est aussi le moment suspendu où l’on entend un autre chanteur, la gorgé serrée et le poing levé, nous dévoiler son hommage :
Ces enfants orphelins
Si ces vies qui chavirent
Ces yeux mouillés
Ce n’était que le vieux plaisir
De zigouiller
Et l’angélus
Qui résonne
Et si en plus
Y’a personne…
« Et si y a personne », Alain Souchon.
Nous étions près de 70.000 personnes (un record) à chanter, chaque jour. Des chansons mais aussi la Marseillaise, parfois à notre grand dam. Pendant une minute, on s’est également tu. C’était la seule. Le lendemain, Ibrahim Maalouf faisait vivre à Kerampuil un instant de grâce, en invitant les élèves et professeurs de l’École de musique de la côte d’Emeraude en guise de soutien à une fermeture annoncée, puis en faisant monter sur scène le Bagad du Bout du Monde. Cette fois, personne ne chantait. Mais certains yeux restaient embués.
Nous sommes de retour chez nous. La belle parenthèse est fermée. La bulle carhaisienne est percée et nos cerveaux doivent hélas connecter à nouveau avec le réel. Mais les cordes vocales sont fatiguées, nos voix sont méconnaissables. Jeudi dernier, Jeanne Added avait donc raison. Oui, parfois, ça fait juste du bien de chanter.
Crédit Photo : les niçois de Hyphen Hyphen par Pierre Hennequin. (notre propre report photo arrive très vite)
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