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The XX passe à la couleur

Avec l’album « I See You », The XX revient au complet un an et demi après la sortie de « In Colour », le disque solo de Jamie xx, le préposé aux machines et à la production au sein du trio. En réalité, après plusieurs écoutes du troisième album des Anglais, il faut voir « In Colour » comme une sorte de spin-off musical, l’album d’album 2.5 dans leur discographie, tant son influence est grande dans la trajectoire prise par le groupe.

En 2009, The XX sortait de nulle part avec xx, un album de pop éthérée, faisant l’économie de notes et d’effets, un album triste sans être sombre, à la sensualité discrète mais touchante car pleine de modestie et de timidité. Même si certains vous diront qu’ils sont surtout les pros de la musique chiante à mourir, ils réussissent alors à retranscrire l’ennui et la mélancolie de jeunes occidentaux de 20 ans dans les années 2000, mais aussi les fêtes, les excès, le monde morose.

Coexist sort en 2012, un deuxième album dans la lignée du premier quoique moins marquant, la dissipation de l’effet de surprise jouant peut-être. Durant la tournée suivant la sortie de cet album, Jamie Smith, d’habitude en retrait avec ses machines commence de plus en plus à se produire en solo sous le nom de Jamie XX, d’abord principalement lors de festivals où The XX est la tête d’affiche. La tournée s’achève mais Jamie XX poursuit sur sa lancée et devient à son tour une tête d’affiche à la suite de la sortie de In Colour, album unanimement acclamé et qui se démarque clairement de The XX par son atmosphère très colorée et enjouée. Bien que les deux chanteurs du groupe posent leur voix sur quelques morceaux, l’ensemble est très éloigné de ce à quoi nous avait habitué les Londoniens.

Dès lors, la sortie du troisième album du trio était d’autant plus attendu qu’il s’agissait de voir laquelle des deux atmosphères en apparence antagonistes allait prendre le dessus. Les sorties coup sur coup des deux premiers singles ont rapidement donné la réponse : des basses très présentes, un son catchy flirtant avec la house, le recours à un sample pour le refrain (en l’occurrence le kitchissime « I Can’t Go For That (No Can Do) » de Daryl Hill & Joan Oates), « Hold On » fait tout de suite penser au « Loud Places » de Jamie sur In Colour, où justement Romy Madley Croft pose sa voix. Sur « Say Something Loving », les voix sont affirmées, la production charpentée se dirigeant à certains moments vers le post-dubstep, loin de la pop discrète aux voix timides du passé.

Car sur les deux premiers albums la production est sobre, les voix d’Oliver Sim et Romy Madley Corft, bien qu’omniprésentes restent alors en retrait, l’utilisation de sons électroniques servant uniquement à souligner la guitare et la basse. Désormais, sur I See You, la production est plus costaude, les chants laissent transparaître plus de confiance même si, paradoxalement, ils sont moins présents (à plusieurs reprises, c’est un sample qui fait office de nouvelle voix), l’électronique prend le pas sur la guitare et la basse, et les influences house, post-dubstep ou électro sont mises au premier plan. Le morceau qui caractérise le plus le nouveau son du groupe est peut-être « Lips ». Une rythmique tropical house, le recours à un sample de voix a capella, tendance musique religieuse (sample tiré de la BO de Youth sorti l’année dernière) une guitare peu présente mais mettant superbement en valeur les voix : tout ceci donne un morceau très contrasté, une atmosphère clair-obscur pour parler d’un amour passionnel mais fugace, condamné à se terminer.

Ce qui est remarquable, c’est que, globalement, l’album arrive à avoir un rendu en apparence plus léger et coloré et ne tombe que très rarement dans le tape-à-l’œil. Par exemple, « A Violent Noise » présente des envolées assez agressives, un son club à la limite de l’EDM mais en ne décollant jamais vraiment, en laissant au premier plan la voix posée et douce d’Oliver Sim, la musique est parfaitement en cohérence avec les paroles traitant du danger de s’échapper perpétuellement dans la fête au risque de s’y perdre définitivement.

Le réel faux pas de l’album est le mal-nommé « Performance », sans doute le plus mauvais morceau qu’ils aient jamais sorti. La voix poussée et mise au premier plan de Romy ainsi que l’utilisation de violons donne un résultat pataud, inutilement grandiloquent, une sorte de mauvaise copie d’Adele. Dans une moindre mesure, « Brave For You » souffre également de cette lourdeur. Car finalement ce qui fait la marque de fabrique de The XX, c’est une ambivalence des sentiments et de sensations, les morceaux tristes n’étant jamais d’une noirceur absolue, ils ont la mélancolie des moments heureux passés (et perdus) à jamais ou bien actuels (mais ne pouvant perdurer).

C’est donc bien un changement de style, pas d’identité. D’ailleurs, le mash-up « Gosh/Shelter » paru au début de la tournée actuelle montre que les deux styles ne sont pas incompatibles, aussi éloignés qu’ils puissent paraître au premier abord. Il est également intéressant de constater que l’artwork témoigne de la conservation de leur identité malgré un style plus coloré et affirmé : d’un simple X noir sur un fond blanc puis à un X comportant des nuances de gris et de couleurs (comme une tâche d’essence sur du bitume), sur I See You les trois silhouettes se dessinent à contre-jour sur un ciel bleu.

Cette évolution dans leur musique est d’autant plus réussie qu’elle correspond à une évolution personnelle depuis leurs débuts. Ils n’ont plus 20 ans mais 27, un âge où, justement, on peut plus assumer ses faiblesses en jouant sur ses qualités, en essayant de profiter à fond de ce(ux) qu’on aime. Mais s’il y a quelque chose qui ne change pas, c’est bien l’angoisse du temps qui file toujours plus vite et d’un monde changeant, anxiogène. C’est pour ça que même une chanson très légère comme « I Dare You » passe parfaitement par sa sincérité.

Ainsi, sans faire le coup de l’album de la maturité, c’est un album de jeunes plus matures, liés par une véritable amitié, et c’est tant mieux s’ils ont réussi à dépasser cette étiquette de gothiques de la génération Y. Pas franchement reconnus pour leurs prestations scéniques, il reste à espérer que leurs prochains lives permettent de retrouver ce qui caractérise leur nouveau son. L’expérience d’ambianceur qu’a acquis Jamie xx ces dernières années devrait y aider.

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1 commentaire

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Fred 02.02.2017

Rien à ajouter, excellente chronique pour aller plus loin… qu’une simple écoute sur une radio mainstream.
Les aficionados de l’album noir et blanc comme moi deplorent cet état de fait mais ne dit-on pas « plaisir non partagé n’est plaisir qu’à moitié » ?
Je suis d’accord pour « performance » et « Brave for you » « Seasons run » et « Naive » du cd bonus (coffret) jouent les deus ex machina pour rasseoir ceux qui osent dire « les pros de la musique chiante ».

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