Lutter pour mettre fin à la bipolarité du genre, lutter pour refaçonner la conception du sexe et de l’identité sexuelle : tel est le combat mené par les artistes depuis le début du XXème siècle. Sont régulièrement mentionnés George Michael, Lady Gaga ou encore Freddy Mercury comme les icônes populaires de cet engagement pour les droits LGBTQ+ dans la musique. Un nombre considérable d’artistes a pourtant largement œuvré à l’évolution de la conscience collective. Du glam-rock au queercore, du disco à la pop en passant par le voguing, un large spectre de courants culturels voit le jour à partir de la fin des années 60. Un seul mot d’ordre : la transgression des idées reçues à travers l’art. Playlist à l’appui. Partie 1 : les origines.
“I spent years growing up being told what my sexuality was”
George Michael, 1998, sur le plateau de CNN
Aujourd’hui encore, notre société nous incite à répondre à des critères bien définis. Peu importe le sexe, l’orientation sexuelle ou le genre : un comportement ou une identité n’existent que par leur qualification. Et l’inclassable est depuis toujours un synonyme de méfiance et de rejet. La communauté non hétérosexuelle fut donc d’abord désignée par les lettres “LGB” à la fin des années 80, puis LGBT et enfin LGBTQ+ pour (“Lesbian, Gay, Bisexual, Transgender, Queer”) au milieu des années 90. Ce dernier terme “queer”, qui a longtemps eu une connotation très péjorative, signifie en anglais “étrange”, “tordu” ; il est à l’époque employé comme un mot fourre-tout pour désigner les personnes refusant toute étiquette et jusque très récemment, comme injure envers les minorités d’identités et d’orientation sexuelles. Aujourd’hui, la communauté queer s’est réappropriée ce terme comme un outil de résistance, une définition de soi. “I’m not homosexual, I’m not heterosexual, I’m just sexual” disait Michael Stipe, le chanteur du célèbre groupe de rock R.E.M.
La musique : théâtre d’une lutte perpétuelle contre les actes homophobes
Malgré un certain progrès au fil des années, résultat d’une tolérance qui s’est accrue, les musiciens cherchant à affirmer leur identité sont toujours marginalisés, tout particulièrement dans certains genres musicaux. Parmi ceux-ci, on retrouve le hip-hop, célèbre pour la mise en avant de la virilité, et dont l’histoire croule sous les exemples d’homophobie. Les propos homophobes et machistes sont aussi lieu commun dans la country, le R&B ou encore le reggae. Certains artistes déclarent publiquement leur orientation sexuelle, mais nombreux sont ceux qui doivent la dissimuler pour protéger leur image.
En 1970, la star américaine Dusty Springfield signe la fin de son règne au sommet en annonçant lors d’une interview qu’elle était autant attirée par les hommes que par les femmes. Il lui faudra par la suite dix ans pour retrouver son niveau de popularité. Elle sort en 1982 le tube “Soft Core”, écrit par sa compagne du moment, la chanteuse de rock Carole Pope, qui dresse un tableau de leur relation tumultueuse. Sir Elton John déclare lui aussi sa bisexualité au magazine “Rolling Stone” en 1976 et chante dans “Elton’s Song”: “They think I’m mad / They say it isn’t real: But I know what I feel and I love you”. Titre qu’il compose d’ailleurs avec Tom Robinson, célèbre chanteur gay anglais, auteur de l’hymne LGBTQ+ : “Glad to be gay” en 1978. Ce morceau fustige un système qui continue de considérer l’homosexualité et la bisexualité comme une maladie.
On pourrait également citer le groupe américain Lavender Country qui écrit en 1973 le premier album traitant du sujet de l’homosexualité dans l’histoire aux relents sexistes et homophobes de la musique country. Seules 1000 copies sont vendues et la ballade corrosive “Criyin’ These Cocksucking Tears” interdit même le groupe de représentation. Le monde du metal et plus particulièrement du heavy metal porte également son lot d’anecdotes discriminantes. Rob Hallford, voix puissante du cultissime Judas Priest raconte à quel point révéler son homosexualité en direct sur MTV en 1998 fut difficile et combien l’homophobie qu’il a dû affronter l’a fait souffrir. Il est alors le premier artiste de metal à être ouvertement gay. Le choix du vocabulaire de certains morceaux comme “Hell Bent for Leather” (1979), prendra tout son sens après la révélation d’Hallford dix ans plus tard… Dans un climat plutôt hostile, la question du genre se démocratise peu à peu dans de nombreux courants musicaux et brise le tabou de l’homosexualité auprès du grand public en accueillant les premiers artistes ouvertement LGBTQ+.
Les origines du militantisme musical LGBTQ+
Pour mieux pouvoir appréhender la portée que peut avoir la musique et l’art sur une telle remise en question sociétale, il est important de recontextualiser. Les émeutes de Stonewall en 1969 à New York marquent un tournant dans la lutte pour l’égalité des droits des personnes queer et sont considérées comme les prémices du militantisme LGBTQ+. Elles sont alors la réponse à une descente de police dans le bar “Stonewall Inn” dont la clientèle est majoritairement gay, lesbienne et transsexuelle. Le travestissement est illégal à cette époque et ces communautés subissent un harcèlement permanent. Ces émeutes donnent naissance à la célèbre Marche des fiertés, la “Pride”, qui a lieu tous les ans dans le monde entier. Plus tard, la propagation du sida dans les années 80 et l’inaction des gouvernements engendrera l’émergence de groupes activistes tel que “Queer Nation” au début des années 90, qui se démarque des autres associations par des actions plus directes et radicales. Le groupe revendique alors l’utilisation du mot “queer” comme une arme face à ses détracteurs.
Plus généralement, les années 70 et les deux décennies qui suivent représentent une véritable révolution d’identité sexuelle durant laquelle les militants se battent pour plus de reconnaissance et d’intégration au sein de la société. Une importante part de cet activisme voit le jour grâce à l’art et plus particulièrement à la musique qui a joué, et qui continue de jouer, un rôle très important dans la lente évolution des mentalités. Du disco à la house, du glam rock au punk en passant par la pop, les années 70-80 voient se développer de nouveaux genres musicaux, de nouvelles icônes queers, qui par leurs textes revendicatifs, leur image anticonformiste et décomplexée ont eu une influence considérable sur la vie de millions de personnes.
En 1890, les quartiers de Storyville à la Nouvelle Orléans aux États-Unis sont le théâtre de la naissance du jazz, enfanté par le blues et le ragtime. Dans ces quartiers, considérés à l’époque comme peu fréquentables et où la prostitution est tolérée, se réfugient les populations afro-américaines ainsi que les communautés LGBTQ+ de la ville. Le terme “gay” apparaît alors. Venu du français, il fait allusion à la prostitution : “filles de joie”, “filles gaies” et est employé pour désigner toutes les formes d’extravagances. Ce foyer au sein de la ville américaine permet aux artistes gay de s’exprimer librement. Ainsi, des artistes comme le pianiste afro-américain Tony Jackson ou encore Lucille Bogan, Ma Rainey et Bessie Smith, les “Big Three of the Blues” qui sont des figures notoires dans le monde du jazz-blues, n’hésitent pas à aborder le sujet tabou de la sexualité dans leurs textes. L’énorme succès du blues dans les années 20 propulse de nombreux artistes sous les projecteurs et initie les auditeurs à des paroles évoquant une vie sexuelle libérée. Le “B.D. Woman’s Blues” de Bogan en est un exemple évident : B.D est le diminutif anglophone de “bulldager”, argot pour désigner une « lesbienne masculine ». Bien qu’exclusivement développée dans le monde anglo-saxon, la culture homosexuelle dans la chanson est aussi présente en France, dès les années folles (1920-1930), notamment avec l’avènement du Music-hall et de ses célèbres salles comme le Moulin-Rouge à Paris.
Alors que le blues laisse progressivement la place au plus sauvage rock’n’roll dans les années 50, Little Richard, pilier du genre, déchaîne littéralement les passions sur les pistes de danse avec son tube aux paroles très suggestives “Tutti Frutti”, secouant violemment le monde de la musique et ses règles de bonnes convenances. “Hound Dog” de la chanteuse lesbienne Big Mama Thornton, avant la version d’Elvis Presley, est également un grand classique des années 50, symbole d’un féminisme affirmé.
Premiers artistes à questionner cette idéologie hétéronormée, ils sont les précurseurs de ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui la “musique queer”. Leur courage et engagement a permis une véritable remise en question des codes sociétaux et une ouverture des esprits auprès du grand public.
super ! merci pour cet article!