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Richard Pinhas, quand la philosophie s’empare du psychédélisme

Philosophie et musique. Philosophie musicale ou musique philosophique. En l’année 1951 est né le maître de leur association. Son nom est Richard Pinhas. Un meuble français de l’art qui n’oublie pas l’enfant et l’adolescent bercé par les riffs qu’il était, celui-là même qui dit ne jamais s’être lavé la main droite quand il eut le plaisir de serrer celle de son maître de jeunesse, Jimi Hendrix. Portrait d’un gars qui a eu un groupe avec un Gilles Deleuze qui beuglait des textes de Nietzsche.

Sa guitare ? Richard couche avec. Ainsi résume-t-il la relation passionnelle et le rapport analogique de touché qu’il entretient avec l’instrument. Formé à travers le British blues, le jeune Pinhas s’adonne assez classiquement au rock durant sa période lycéenne avec les groupes Blues Convention puis Stuff. Quatre albums sortent avec Blues Convention aux accents très blues/heavy rock maniant habilement la langue française. Mais les deux futures (et relatives) célébrités qu’incarnent Richard Pinhas, expérimentateur musical, et Klaus Blasquiz, (chanteur de Magma par la suite), quittent l’association assez vite.

Après un bac en mai 68 (facile), notre cher Richard se lance les études universitaires. L’histoire d’abord : trop emmerdant. La socio, ensuite. Touché, coulé. Là intervient la grande rencontre avec un certain Gilles Deleuze, alors prof de philo à la Sorbonne. L’étudiant et le professeur deviennent alors de véritables amis. Pinhas est mis sur les rails de la philo dans laquelle il se glissera jusqu’à l’écriture d’une thèse intitulée Le rapport entre la schizoanalyse et la science fiction. Retenez ce titre il fait follement sens. Pensée philosophique et musique allant de paire chez Pinhas, le groupe Schizo se fonde sur les bancs de la fac en 1972, et guitares psychédéliques et voix bluesées se mêlent et s’entremêlent.

Schizo – Paraphrenia Praecox (1972)

Avec Schizo se concrétise la rencontre fusionnelle, peut-on-dire, entre Pinhas et Deleuze. L’aventurier à la guitare, le philosophe à la voix, ils parviennent à faire partager un texte de Nietzsche intitulé « Le voyageur » (extrait de Humain, trop humain). Pinhas utilise notamment « l’aspect métallique de la voix » de Deleuze qu’il considère comme un instrument à part entière. Schizo se dit être politique et distribuera gratuitement ce titre inédit. Ce premier 45tours Le Voyageur / Torcol de mise en musique d’une lecture philosophique signera enfin les balbutiements du label indépendant Disjuncta fondé par Pinhas en 1972, et qui sera en activité jusqu’en 1976. Pinhas, représentant français de la contre-culture hérité des 60’s ?

« Je n’ai jamais mis d’argent dans les albums, à part le premier où j’ai mis 7000 francs. Je n’en ai jamais eu ni le désir, ni la volonté, ni les moyens », Richard Pinhas

Schizo – Le Voyageur

Le voyage musical de Pinhas se poursuit via la machine. Notre pionnier commence à travailler sur les premiers synthétiseurs. Il ne doit pas être loin des dix premiers hommes au monde à s’être liés de curiosité avec la musique électronique – extraterrestre de l’époque. La relation est froide avec la machine et chaude avec la guitare. Son soucis ? Marier la source électronique avec l’apport du rock’n roll.

Abandonnez les contraintes de durée, il y a chez Pinhas une volonté provocante d’étendre le pouvoir de la mesure à son paroxysme. C’est dans son projet Heldon qu’il fait l’honneur d’une suite à son précédent groupe Schizo, sous la couverture bienveillante de son label Disjuncta. Via un statut associatif et un modèle indépendant, Pinhas l’un des tout premiers Français à construire un tel label dont le but est de « promouvoir de la musique non distribuée normalement ». Son studio se trouve chez lui, des décennies avant l’avènement du home studio. En sortiront les quatre premiers albums de Heldon, vendus à prix cassés. Le titre « Le voyageur » de Schizo (1972) est d’ailleurs intégré au premier album de Heldon, Electric Guérilla en 74 (en référence claire à William Burroughs), avec un nouveau nom, le magnifique « Ouais, Marchais, Mieux Qu’en 68 ».

Dans ce disque, les sons sont étirés au maximum couvrant ainsi toute leur substance. L’oeuvre est encadrée par une répétition assourdissante évoquant les hélicoptères militaires au Vietnam nous replongeant dans l’enfer d’Apocalypse Now. Désordre toujours en 1975 avec le 2 titres « Soutien à la RAF » ou Rote Armee Fraktion ou Fraction Armée Rouge, l’organisation terroriste allemande d’extrême gauche. Musicalement, la recherche se concentre sur un son sans ligne mélodique, exempte de rupture d’accords, la fluidité et le laisser aller de la mesure est de mise. Heldon s’inscrit alors dans la lignée des albums expérimentaux mythiques.

Heldon – Soutien à la RAF EP

En 1976, sort le cinquième disque du groupe, Anetha Nilsson. Son ouverture d’esprit le mènera à la rencontre avec le maître américain de la SF (depuis 1969) et parrain du mouvement cyberpunk des années 80, Norman Spinrad. Ce dernier se place encore grand champion du moment quand il s’agit d’assembler sexe, rock, critique de notre société de consommation et des médias de masse. L’écrivain et philosophe québécois Maurice G. Dantec est également de la partie pour étendre le prestige musical de Heldon. La passion pour Gille Deleuze, Nietzsche et Spinrad est commune à Pinhas et Dantec. Une approche philosophique de la matière sonore constitue pour Pinhas la démarche suprême. Dans la foulée, Pinhas monte son nouveau groupe, Schizotrope. Vous avez compris, en plus de la folie mentale, on en rajoute une couche en psychotropes. Dantec lit sur scène du Deleuze, du Nietzsche ou encore ses propres textes filtrés au vocoder autour d’une trame garnie d’effets, de boucles et de synthés. Et par la même occasion, Dantec découvre Nietzsche. Pinhas, missionnaire d’un nouveau genre d’une contre-humanité. Nos ancêtres évangélisateurs doivent se retourner dans leur tombe : le diable s’habille en Pinhas.

Schizotrope (Richard Pinhas & Maurice G. Dantec)
– Les Racines du Mal

Pinhas s’essaiera ensuite à l’écriture d’un livre philosophique sur la passion nietzschienne commune avec le disciple Gilles Deleuze (le bouquin s’intitule Les larmes de Nietzsche). Il en dira que la première partie est correcte tandis que l’autre n’est pas à lire. Sympa, ça nous évite un paquet de critiques barbantes. D’ailleurs, lorsqu’il offre ce bouquin, Pinhas l’arrache systématiquement en deux.

Le musicien reviendra à ses amours sonores une fois la peur de se répéter envolée, peur quelque peu paradoxale alors qu’il utilise la répétition comme concept philosophique et musical. Un bonhomme déroutant par nature.

Richard Pinhas – Rhizosphere Sequent

On se pose d’ailleurs la question : qu’est-ce finalement qu’une musique philosophique, à part déclamer des textes de Nietzsche ? Pinhas applique en réalité plusieurs concepts philosophiques directement à la composition. Est explorée principalement la différence entre les concepts de répétition, temps et durée. La composition que Pinhas envie à Deleuze en son approche philosophique, il la consacre dans son approche sonore. Pour ce duo, composer s’apparente à mettre une réalité sur un concept, une idée, une sensation qui ne se trouve qu’en leur matière grise. La transformation d’un abstrait en une réalité audible ou lisible est leur devise.

En parallèle de l’expérience Heldon, Richard Pinhas s’accorde une carrière solo débouchant récemment sur les albums Cyborg Sally en 2016 et Reverse en 2017 dont le flou s’impose à l’auditeur.

Dresser le portrait de ce monument de la recherche sonore ne peut être que trop succinct à l’image d’une carrière musicale sans frontières. Mais dernièrement, Pinhas s’est donné en concert à Nantes au sein du Pol’N, lieu nantais d’expérimentation et de mutualisation pluridisciplinaire. Se tenait le 19 octobre 2017 une table ronde autour de l’évolution du mythe d’Oedipe dans le temps et de concepts de Gilles Deleuze et Félix Guattari. La meilleure conclusion musicale ne pouvait être que le concert Richard Pinhas accompagné de ses deux musiciens (Arthur Narcy & Florian Tatard). Évoquer un enchaînement de morceaux peut paraître inapproprié tant le champ d’expression musicale s’y est étendu. Les anti-rythmes, la guitare criante et l’accompagnement au synthé en ont rendu l’expérience grandiose.

Arrive alors une sensation physique étrange en concert, le trébuchement. Vos pieds s’emmêlent, la marche se loupe, les pieds dans le tapis… Cette sensation de peur intense du déséquilibre soudain et d’une satisfaction corporelle parallèle. Étirez ce ressenti au-delà de longue minutes. Ainsi se concrétise notre écoute du maître Richard Pinhas.

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1 commentaire

1 commentaire

Grosdidier 06.12.2017

Powwwww powwwww.
À l image de skizo cet article est follement intéressant. Avec des moments complètement barrés j adoreeee. Je recommande la lecture de cet auteur breton (euh nantais)

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