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Rencontre avec Molecule et Vanessa Wagner

Le 30 octobre dernier, Sourdoreille et La Compagnie des Indes co-produisaient l’événement Variations, saison 3, série de cinq créations musicales filmées et retransmises en replay sur Culturebox et France 2. Le principe ? Chaque création est réalisée par un duo. D’un côté, un instrumentiste classique ou jazz, de l’autre un producteur de musiques électroniques. Après Rone et la Maîtrise de Radio France, le second épisode voit Molecule (le producteur de techno maximaliste et organique) rencontrer Vanessa Wagner (la pianiste à l’ouverture sans frontières) autour de la musique de Claude Debussy. Deux cadors de leur secteur ont donc croisé le fer. Pour en savoir plus, on vous propose de vous plonger dans cette interview qui raconte le work in progress.

Vanessa, tu collabores depuis des années avec Murcof, un artiste électro mexicain. Ça a même fait l’objet d’un disque, une tournée, plusieurs EP chez Infiné. On peut dire que tu es à l’aise avec les machines ?

Vanessa Wagner : Je suis à l’aise parce que j’ai une grosse culture de musiques électroniques. Je ne participe pas à ce genre de projets parce que c’est à la mode. Et je fais partie de ces rares musiciens classique à m’y intéresser. J’ai commencé à écouter de l’électronique quand j’avais une trentaine d’années. J’aime vraiment ça. J’ai un respect énorme pour ces musiques. Je suis à l’aise avec ces sonorités, et l’expérimentation. En revanche, le projet que j’avais avec Murcof, j’y tenais d’ailleurs, c’était que je sois vraiment dans mon rôle d’interprète de musique minimaliste telle qu’elle est écrite par les compositeurs. Pour un premier duo de la sorte, c’était important de m’en tenir là, pour expérimenter les frontières qui sont plus poreuses qu’on le croit. Pour travailler sur le son, le temps et les transformations du son du piano. Aujourd’hui, avec Romain (Molecule), on est partis dans une direction différente. Ne pas aller dans une réinterprétation d’une oeuvre entière. Il me force à pousser des limites que je me mets à moi-même.

Romain, on t’a vu proposer des projets à la scénographie, au storytelling et aux méthodes de composition originaux ces dernières années. Tu as aussi collaboré avec des chanteurs par le passé. Mais est-ce la première fois que tu collabores avec un ou une instrumentiste pour une création live ?

Molecule : Oui. C’est la première fois, surtout dans cette configuration. Moi, c’est une envie de m’ouvrir au monde du classique qui me trotte dans la tête depuis un moment. C’est un univers que je connais assez mal, ça me fascine. J’écoute beaucoup de musique classique en parallèle. On s’est rencontrés un peu par hasard avec Vanessa. Quand ce projet Variations est arrivé, c’était l’occasion de réaliser cette envie.

Voici le résultat de la création live de Molecule et Vanessa Wagner autour du répertoire de Claude Debussy :

 

Connaissez-vous le travail de l’un et de l’autre ? Qu’est-ce qui vous a plu mutuellement ?

Vanessa Wagner : Oui. J’avais écouté son live et d’autres choses qu’il avait fait auparavant, et il faisait partie des musiciens électro qui m’intéressait le plus. Pour un projet pareil, le nom de Molecule me paraissait logique parce qu’il fait une musique très organique, presque charnelle et incarnée. Pour s’allier à de la musique acoustique, c’est bien d’avoir quelqu’un qui fait vivre ses machines comme un instrument.

Molecule : Oui, de la même façon, je cherchais un instrumentiste qui pouvait réaliser mes attentes. Vanessa a une connaissance de Debussy immense.

Vanessa Wagner : Faut partager une curiosité.

Molecule : A la base, ça part sur le principe de l’ouverture. Là, on se jette dans quelque chose qu’on ne maîtrise pas du tout. C’est aussi une rencontre fragile. J’aime bien installer ça, être sur le fil. On a suffisamment de bagage respectivement, et de confiance, pour pouvoir se jeter dans des territoires un peu fragiles.

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Hana Ofangel

On est ici au Studio Bleu pour une répétition à 15 jours de l’événement Variations pour lequel vous devrez mettre Claude Debussy à votre sauce. C’est la première fois que vous répétez dans une même pièce ?

Molecule : On a déjà fait deux répètes. Pour l’instant, on défriche, on cherche la bonne formule. Aucune certitude. Et il nous restera deux jours de résidence avant l’événement.

Ok, et avant ça, vous fonctionniez comment ? Vous vous envoyiez des sons par mail ?

Vanessa Wagner : Oui, un peu par mail et par téléphone pour se donner des indications. Je connais très bien la musique de Debussy parce que je l’ai beaucoup jouée et enregistrée, et comme je disais, j’avais pensé à Romain parce que la musique de Debussy est très tournée vers l’impressionnisme, l’eau, la mer, le vent, les éléments. J’avais envie qu’à travers cette prestation quelle qu’elle soit on puisse y trouver cette essence de Debussy si poète de la nature.

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Hana Ofangel

Vanessa, que représente pour toi l’oeuvre de Debussy, dont tu es l’une des spécialistes ?

Vanessa Wagner : C’est tout simplement un compositeur essentiel et incontournable de l’histoire de la musique dans son ensemble, et a fortiori dans l’histoire de la musique du XXème siècle. Il y a un langage extrêmement orchestral. Au piano, c’est très important parce qu’il a une espèce de technicité hyper fluide, souple, une harmonie très à lui. Et puis, j’aime énormément ce côté très immatériel, volubile. Le piano n’est plus que le traducteur des émotions, et va au-delà de sa technique et ses arpèges. Des basses très puissantes au service de la nature.

Romain, tu connaissais Debussy ?

Molecule : J’ai beaucoup écouté ce compositeur. Pour moi, il représente l’impressionnisme, la manière de traduire les éléments en musique. Et d’un point de vue harmonique, on sent le voyage, des sonorités un peu asiatiques. Il y a aussi une part de mysticisme que j’apprécie, une deuxième lecture méditative, même si c’est assez chargé et dense.

Vanessa Wagner : C’est vrai que le mystère est important, surtout dans les œuvres vers lesquelles on s’oriente.

Justement, qu’allez-vous reprendre du compositeur ?

Vanessa Wagner : On n’a pas vraiment envie de s’attacher à une oeuvre en particulier, plutôt de s’intéresser à des éléments de langage typiques de sa musique, des emprunts, à l’inverse de ce que je jouais avec Murcof. Plus libre, plus improvisé. Je vais aller et venir dans des Préludes, des Estampes, etcetera.

C’est assez difficile de s’imaginer comment les artistes travaillent pour préparer Variations. Il existe mille manières de s’attaquer à un compositeur et de le transformer. Comment avez-vous prévu d’aborder Debussy ?

Vanessa Wagner : Complètement. Avec Romain, on se disait : « L’idée, c’est pas de faire sur Debussy ce qu’on aurait fait sur un autre, c’est-à-dire du Molecule et du Vanessa Wagner« . C’est pour ça qu’on espère faire sentir ce qu’est l’univers harmonique de Debussy. Parce que ce sont évidemment des réinterprétations, des accompagnements, des variations. Donc, il ne faut pas rester fidèle mais au moins partenaires.

Molecule : Une relecture de l’oeuvre. Une troisième voie à nos musiques respectives. Il y a un côté un peu spontané dans la manière avec laquelle on a prévu d’aborder la chose. Le travail en amont a surtout été celui de la configuration et de la mise en place d’idées, plus que de musique. On décide d’aller à des endroits ensemble, de manière incontrôlée.

Vanessa Wagner : Romain a un panel de machines et de séquenceurs, moi de mon côté j’utilise un clavier MIDI donc on va essayer de jouer sur toute cette palette de sonorités. Parce qu’à l’intérieur de la musique de Debussy, la palette de couleurs est immense.

Molecule : Avec la question du piano qui est centrale. Toute la création repose sur la communication entre cet instrument acoustique et les machines. On peut jouer sur la texture simplement en configurant le piano.

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Hana Ofangel

D’ailleurs Romain, comment fais-tu le choix de tes machines, et des sons à utiliser pour traduire une idée à la base orchestrée acoustiquement par Debussy ? Tu écoutes un passage d’une oeuvre, et tu choisis en fonction du grain ?

Molecule : Ce sont mes machines habituelles. Il y a une part d’impro importante, beaucoup liée au choix de ces machines. L’idée est d’être sur le fil, comme Debussy qui est un peu à l’aurore de la dissonance, d’un point de vue harmonique et sur les textures, on sent les prémices de ce qui va arriver plus tard avec Schönberg. Dans ma musique, je travaille souvent sur ces questions. Et Vanessa m’aide sur ces choix-là pour rester dans un cadre debussien.

Vanessa Wagner : On dit debussiste, je crois.

Molecule : Va pour debussiste.

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