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Matt Elliott et Vacarme rendent le monde plus beau

Quand un colosse de la folk rencontre les plus belles cordes de l’hexagone, c’est notre petit coeur qui devient tout mou. Ainsi, on s’est fait le plaisir de rencontrer Matt Elliott et Vacarme (Carla Pallone, Christelle Lassort et Gaspar Claus) avant de se mettre à rire et pleurer lors de leur concert au Café de la Danse. Voici une histoire comme une autre de la musique et de l’amour.

Lundi 1er avril, 18h30 à Paris. Ce qui aurait pu commencer par une mauvaise vanne n’en porte pourtant pas les traits. Lorsque je débarque au Café de la Danse une heure et demi avant le concert de Matt Elliott et Vacarme, pas de fans en furie, pas de t-shirts mouillés. Non, simplement des touristes perdus, des fumeurs de clopes faisant les cent pas et des gueules de rockeurs satisfaits de faire un sitting devant le lieu. Satisfaits, ils peuvent l’être, d’avoir pris le Passage Louis-Philippe, aussi appelé le quai 9 3/4 de Bastille, reliant la dévastée Rue de Lappe (ses touristes gominés, ses néons violets et ses commerciaux en double appel) vers le temple de l’indie pop. Choc des cultures donc.

Matt Elliott, marry me

Néanmoins, si ça ne tenait qu’à moi, le monde devrait être excité à l’approche du spectacle d’un monstre de la folk. Matt Elliott c’est tout de même 8 albums solo et plus de 20 ans d’une carrière aussi improbable qu’entière. Rares sont en effet ceux qui ayant commencé dans le drum’n’bass du milieu des années 90 vont finir par un songwriting en guitare-voix quasi-acoustique. Inutile de préciser qu’entre les deux, il est aussi, avec The Third Eye Foundation, à l’origine d’un des projets noise et dark ambient les plus explorateurs de sa génération. Merde, le type est le meilleur pote de Yann Tiersen, il a collaboré avec The Pastels, Thurston Moore et Mogwai, ça devrait vous en décoller l’une et faire frémir l’autre, non ? Reprenons-nous.

Pour beaucoup, Matt Elliott est cet éloge à la fêlure, la rupture parfois, la dépression souvent. Il est celui à qui l’on a donné la clé pour laisser entrer le chagrin. Des filets de sa voix à ses courtes pièces de guitare bouclées par ses pédales, le cœur peut rarement s’accrocher. Pour la violoniste Christelle Lassort, Matt c’est un peu la base : « J’étais dans un groupe qui s’appelle Narrow Terence, ça faisait partie de nos influences fortes. » Même son de cloche chez son collègue du trio Vacarme : « Je pense que j’avais 17 ans, j’écoutais Matt Elliott en hésitant à m’ouvrir les veines dans ma chambre, comme d’autres, nous confie le violoncelliste Gaspar Claus. L’un de ses morceaux, « The mess we made » était la sonnerie de mon téléphone portable Nokia. »

C’est bien un succès d’estime qui rythme la vie musicale de Matt. Plutôt que de remplir une Cigale (ou la grande salle de la SMAC de ta région) d’un public simplement charmé, le British préfère blinder des petits sanctuaires, remplis de gens au bord des larmes. Gaspar Claus se rappelle : « Mes quelques amis qui avaient vu des concerts de Matt à Barcelone m’avaient décrit un mec tout seul avec sa guitare, extrêmement dark et qui buvait beaucoup, beaucoup, beaucoup pendant ses concerts. J’avais une image du type inapprochable. D’autant que la musique, j’avais toujours l’impression qu’elle était enregistrée sur un bateau en perdition au cœur de l’océan. »

Le grand Vacarme

Je traverse la salle, croisant tour à tour l’équipe de Murailles Music (à l’origine de la rencontre) et son poulain Marc Melià, la première partie très synthétique de la soirée. Je m’apprête donc à trouver le Jonathan Morali de l’émotion, que dis-je le Serge Teyssot-Gay du coup de poignet, ses deux mètres et son passé, Matt Elliott, à l’oeuvre en compagnie de Vacarme.

Vacarme, puisqu’il faut encore et toujours répéter ce nom partout où vous rencontrerez des oreilles, est un trio constitué de Carla Pallone, violoniste de Mansfield.TYA, que Matt Elliott a découvert éberlué au Printemps de Bourges il y a dix ans ; Christelle Lassort, également violoniste et ex-membre de Narrow Terence qu’il a rencontré pour le projet ; et Gaspar Claus, violoncelliste et collaborateur de Jim O’Rourke, Sufjan Stevens, Bryce Dessner, Peter Von Poehl, que Matt Elliott aime appeler la « cello whore », qualificatif que le musicien ne contredira pas : « Ah oui carrément, je suis une pute du violoncelle, je mange à tous les râteliers ». Le trio de cordes s’est donné comme mission de rendre hommage à des chanteurs et des musiciens de génie comme Stranded Horse, Rone, Villeneuve & Morando et aujourd’hui Matt Elliott.  Et s’il faut citer Nietsche pour avoir une quelconque consistance sachez que « le malheur n’approche jamais dans le vacarme, mais dans le bruit feutré du sautillement de la colombe. » Démerdez-vous avec ça.

Arrivé backstage, je suis loin de tomber sur l’homme dépressif ou mystérieux que le monde semble vouloir me vendre. A la place, ce grand machin m’offre un moment de délire, des petites vannes en pagaille, de la détente par hectolitres. « Souvent les gens sont déçus quand ils voient que j’aime rigoler. Je suis le mec le plus normal que tu peux rencontrer. » Voilà comment réagit le principal intéressé entre deux bouchées du catering que je suis venu déranger avec mes questions à la con. Une remarque que nous confirme Christelle Lassort : « Il fait beaucoup de prouts avec les mains, ça c’est pas très normal. » Au-delà d’un caractère très facile à vivre, c’est surtout en terme médicinal qu’il faille trouver dans Matt Elliott la caractéristique de sa personnalité à l’origine de son besoin de composition : « En fait c’est juste que je sors la darkness à travers ma musique, c’est une sorte de thérapie. Je suis plus sain que les autres. »

C’est quoi le projet alors ?

Matt a cette particularité de n’avoir jamais vraiment bossé en groupe. Un control freak d’exception certes, mais un autodidacte qui a passé beaucoup de temps dans son coin. Ce qui fait sourire Gaspar Claus, repensant à ses vertes années : « Je ne savais pas qu’il faisait tous ses chœurs lui-même, je pensais qu’ils étaient toute une secte. » Avec le temps Matt Elliott s’est ouvert : « J’ai changé. J’ai bien vu que je suis un mauvais ingé-son donc j’ai lâché prise pour les autres. Et j’invite mes musiciens à lâcher prise, progressivement pendant les répétitions, si bien qu’à la fin on peut capturer la spontanéité. » C’est ce second aspect qui donne la réelle singularité du groupe : l’improvisation. Avant cette collaboration, Matt « solo » ne laisse jamais rien dépasser dans sa musique et dans ses concerts. Tout est carré, tout est rôdé. A vrai dire, grâce aux pédales d’effets et de boucles qu’il lance, il peut se créer son propre petit orchestre bien réglé. Ici avec le trio de cordes, rien n’est enregistré, tout est joué. Rien n’est loopé, tout peut louper.

C’est ce qui donne au compositeur une confiance aveugle en Carla, Christelle et Gaspar : « C’est très impressionnant comment ils jouent. Au début, j’avais peur de rentrer dedans, je ne voulais pas mettre un pied à l’intérieur des impros et qu’ils me disent : ‘Mais qu’est-ce que tu fais là ?’  » Mais le trio est un jardin secret dont on laisse toujours la porte ouverte. Ainsi quand Matt l’a voulu, il s’est fait accueillir comme un membre de la famille. « De plus en plus on trouve notre chemin. Il y a eu ce moment sur scène hier, c’était comme une sorte de communication psychique, développe-t-il. Ça me rappelait quand j’avais 16 ans avec mes potes et qu’on prenait la guitare et la batterie chaque dimanche. On faisait des conneries. Cet esprit-là, on le perd quand ça devient trop cadré. »

Gaspar Claus tient à un moment de la conversation à préciser quelque chose très important, pour la compréhension du processus de création entre les deux entités : « C’est une rencontre, une collision entre deux mondes. Je pense que ça arrive très souvent dans la pop qu’il y ait un artiste qui se dise : « Oh j’aimerais bien des cordes » (tout le monde acquiesce). Si c’était ça, le processus qui se mettrait en place ce serait un arrangeur qui ferait ses partitions chez lui, ensuite les partitions nous seraient livrées, et il y aurait une session. Dans Vacarme et Matt Elliott, ça n’est pas ça, il y a du tâtonnement. »

Les convictions de Matt envers le talent de caméléon de Vacarme le poussent à tester le trio en live. Ainsi il arrive souvent qu’il annonce qu’il s’apprête à jouer un nouveau morceau, mais que Vacarme ne l’a jamais entendu. Evidemment, le résultat est sublime sans être parfait, il est vivace, mouvant. Et Matt de continuer : « J’ai remarqué les réactions du public, c’est génial, il adore. Je ne suis jamais sûr contrairement à d’habitude, comme je suis très à nu sans mes effets sur scène. Et d’ailleurs plus je suis stressé, plus je tremble, plus les gens adorent ça. » Ce qui fait dire à Gaspard Claus : « C’est pour ça qu’on essaie de trouver des trucs pour le stresser : ‘Oh Matt, je crois que je viens juste de casser une corde’ ahah. »

On ne peut évidement que vous conseiller d’aller voir ce concert. Vous y trouverez certains des plus beaux morceaux de Matt Elliott revisités par Vacarme et son auteur : « Dust Flesh and Bones » (The Broken Man, 2011), « The right to cry » (Only Myocardial Infarction Can Break Your Heart), « The Calm Before » et « I Only Wanted to Give You Everything » (The Calm Before, 2016) prennent une dimension dont vous n’avez pas idée.

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