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Il était une fois la radio new-yorkaise Beats In Space

En mille épisodes, l’émission de radio new-yorkaise Beats in Space s’est imposée comme un rite de passage pour tout ce que la planète compte de DJs. Retour sur vingt années d’un show cosmique.

Si vous vous trouvez à New York un mardi soir, entre 22h30 et une heure du matin, branchez-vous sur la fréquence 89.1 FM, celle de la radio de la New York University WNYU, et vous retrouverez infailliblement son présentateur Tim Sweeney accompagné du gratin international des DJs house et techno. Infailliblement, puisque celui-ci n’a, en vingt années, raté aucun show ou presque. Le reste d’entre nous se contentera de streamer le podcast ou plus vraisemblablement de le télécharger ultérieurement, et dans mon cas avec un dévouement égal à celui de son présentateur. Vingt années de podcasts hebdomadaires donc, qui ont, depuis juillet, dépassé le cap du millier. Vingt années et plus de mille épisodes pour établir ce que l’on pourrait grossièrement décrire comme un solide axe DFA-Panorama Bar : une conception anti-puriste de la house, autant ouverte aux influences à guitare qu’aux bangers synthétiques qui tâchent façon Running Back (le label de Gerdsoul Janson). Avec toujours Tim Sweeney en son centre.

La montée en puissance de l’émission reflète le parcours de Sweeney lui-même, qui obtient la tranche horaire lors de sa première année d’université en 1999, avant de se retrouver stagiaire chez DFA en 2001 — soit l’époque où le label devient incontestablement l’attraction la plus bouillante de la scène new-yorkaise et bientôt mondiale. S’ensuivent donc tournée et célébrité, au moins au sein du petit circuit des DJs internationaux. Désormais, ses week-ends se pistent sur les flyers de clubs des quatre coins du monde — tant pis pour son empreinte carbone et ses heures de sommeil. Car toujours l’attend l’obligation, auto-imposée, d’être de retour le mardi soir suivant dans son studio de la NYU à Manhattan. Un pied dans le studio de James Murphy, l’autre dans le club : à l’image de ce parcours se dégage, au fil des émissions, un goût tant personnel que latitudinaire, exclusif mais jamais excluant. Ainsi se croisent d’un épisode à l’autre légendes confirmées et étoiles montantes, local heroes, stars de l’underground queer international, seconds couteaux peu habitués aux spots, petits princes des edits, et autres âmes sœurs de l’émission — autant de champions locaux qui abordent la dance avec une perspective d’outsider, qu’il s’agisse de personnalités comme Ivan Smagghe ou Jennifer Cardini en France, de la scène israélienne dont les hérauts se nomment Red Axes et Moscoman, ou encore d’écuries telles que Cómeme, Hivern Discs ou Studio Barnhus. Sans oublier enfin l’essentiel de la scène new-yorkaise, Beats in Space n’oubliant jamais ses racines.

Le format est simple : deux heures et demi show, partagées entre deux invités, ou parfois Sweeney lui-même. À la fin de chaque partie, à l’exception de quelques rares DJs particulièrement rétifs à l’exercice, le présentateur badine avec ses invités, leur permettant de faire leur promo et pourquoi pas de leur arracher une information exclusive. Si elles ne représentent qu’une partie infime de l’émission, ces quelques minutes, tout comme les appels des plus fidèles auditeurs sur la hotline qui la ponctuent parfois, lui confèrent toute sa personnalité et contribuent à en faire ce rendez-vous hebdomadaire. Comme il le disait lui-même en 2015, “ça reste une émission de radio universitaire”, avec le mélange de familiarité et d’imprévus live-on-air que cela impose. On y entend l’entourage des invités et les habitués du studio, rire en fond ou s’interpeller. Les interviews se déroulent sur un ton plus ou moins familier selon la proximité de son interlocuteur avec Sweeney qui, malgré vingt années de métier garde ce charme maladroit de l’intervieweur parfois mal assuré. Mais sous ses airs d’étudiant attardé se cache néanmoins un entremetteur aguerri, et si l’on applique la théorie des six degrés de séparation à la scène club mondiale, il y a fort à parier que le chemin le plus court implique le plus souvent l’animateur radio. De fait, son studio s’est malgré lui imposé comme une étape immanquable du circuit international, faisant figure d’accolade dans la cour des grands, un arrêt à aborder fièrement sur son CV de DJ.

Sur vingt ans, la cote de l’émission ne cessant de s’étendre, le show subit les déclinaisons habituelles : soirées aux quatre coins du monde, en particulier cette année pour en célébrer l’anniversaire ; création d’un label, en 2011 ; et enfin comme pour boucler la boucle, le lancement sur ce dernier en début d’année d’une série de… mixes. On pourrait presque y voir une forme de muséification, si ce qui était perdu en terme de spontanéité n’y était pas rattrapé sur le premier, confié à Powder et sa house élastique et quasi-tribale, par une démonstration impeccable d’une des nombreuses facettes du goût multiforme de Sweeney.

On retrouve en particulier sur le label la vibe la plus cosmique de Beats in Space suggérée dans son nom, une tendance au psychédélisme gentil particulièrement présent dans les déambulations synthétiques d’un de ses artistes phares, E Rucha V — sous son nom propre ou en tant que Secret Circuit. Un côté stoner spaced-out qui teinte la house tropico-psyché de Tornado Wallace, celle vagabonde de Gonno, ou les digressions lo-fi de Palmbomen II donc, tout en cohabitant avec des excursions pop. Ainsi du duo français Paradis qui y a fait ses débuts tout en inaugurant le label, ou du weirdo finnois Jaakko Eino Kalevi. C’est sans doute cette sensibilité pop — quoi de plus naturel pour un enfant de la radio ? —  qui explique finalement la longévité du show et sa capacité à mettre d’accord tant de différentes chapelles de la dance. Une trame de fond qu’on retrouve encore tout dernièrement sur le fantastique EP de Jennifer Vanilla, alter ego dance de l’artiste Becca Kauffman, héritière en esprit du downtown des années 1980, tandis qu’Anatolian Weapons offrait un album de folk grec mystique quelques mois plus tôt. Si DFA a célébré l’union de la dance et des guitares, Tim Sweeney s’échine désormais à exploser ce noyau dans toutes les directions sur son label.

Que faire donc, quand on est devenu une institution ? Tim Sweeney s’en fout probablement, si tant est qu’il se soit posé la question. Comme il l’a déjà expliqué, il ne continue Beats in Space que par passion de la radio, celle-ci ne lui rapportant rien. Les plus cyniques souligneront que l’émission lui assure la notoriété qui lui permet d’être embauché derrière des platines chaque weekend, mais celle-ci est aujourd’hui suffisamment établie, tout comme le label, pour qu’il puisse se permettre d’arrêter s’il le souhaitait. Le millième épisode a ainsi été diffusé sans fanfare, Sweeney naturellement seul aux platines dans son petit studio du campus de la NYU, tout comme il le fait pour chaque changement d’année. Car au final, peu importe la notoriété et le nombre de ses invités — en 2014 déjà il se lamentait presque, incrédule, de ne plus pouvoir jouer lui-même dans sa propre émission — Beats in Space demeure cette affaire personnelle d’un passionné de radio. Et auditeurs ou non, Tim Sweeney continuera d’émettre ses ondes dans l’espace.

Photo en une : Tim Sweeney, photo par Camilo Fuentealba

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