Gautier Serre a sorti un nouveau disque. Horreur et damnation dans les chaumières et les sanctuaires du bon goût. Breakcore, metal, baroque, balkans, « Savage Sinusoid » a même fait le pari de l’ironie de passages bal musette au sein d’une pièce sans concession. Mais non sans humour. On a parlé du courant le moins humble qui existe, le baroque, mais aussi de frustration et de types chez France Inter qui ont cru mourir de malaise en écoutant la musique d’Igorrr.
Dans quelles conditions compose-t-on un album tel que Savage Sinusoid ? Difficile de t’imaginer devant un étang à contempler le coucher du soleil chaque soir, difficile également de t’imaginer dans une cave sombre et humide.
Devant un étang ou dans une cave humide, ton esprit est toujours libre d’aller ou il veux, durant ces quatre ans de conception pour Savage Sinusoid, il y a eu un petit peu de tout, mais quand même d’avantage d’introspection que de contemplation de couchers de soleil.
Tu ouvres ton album avec « Viande », morceau qui commence avec des cris, qui coulisse vers du métal bien lourd et des bugs cérébraux aphextwiniens (quoique depuis le temps que tu fais de la musique, on pourrait largement dire igorriens). Dans le titre, dans le morceau, tout est violence. Les intros progressives, c’est pour les végétariens ?
Presque tout le monde dans Igorrr, techniciens inclus, est végétarien. C’est sûr que je n’ai pas composé ce titre pour eux, mais étant végétarien ou pas, le sens de la musique reste le même, le titre évoque quelque chose de très violent et très cru, c’est un mot qui rappelle tout sauf de la délicatesse, on peux le voir au premier ou au second degré, ça fonctionne dans les deux cas. Pour nous, c’est d’avantage du second degré. Cette musique est assez caricaturale de l’extrême violence que l’on peux atteindre en musique et tout particulièrement en metal, avec des braillements très aigus pour les parties voix, presque des aboiements, avec un riff ultra gras que Teloch (Mayhem) nous a enregistré. C’est tellement abusé qu’avec un titre très évocateur comme « Viande », on est clairement dans une caricature du metal poussé à l’extrême. En plus de ça, il est mis en ouverture de l’album, comme un paillasson avec marqué « Bienvenue » dessus avant d’entrer dans Savage Sinusoid.
Igorrr – Savage Sinusoid
Album intégral
Depuis 2012, tu collabores régulièrement avec des chanteurs, notamment baroque. T’as-t-il été difficile de faire cohabiter breakcore, métal et baroque, ou le mariage n’a pas eu besoin d’être arrangé ?
Pour moi, le mariage est à la base très logique en théorie, par contre, en pratique c’est beaucoup plus compliqué : je veux vraiment garder l’essence de chaque style, chaque style que j’adore et que je n’ai pas envie de dénaturer. Comme un cuisinier qui aime ses ingrédients et n’a pas envie de les détruire, savoir garder l’essence de chaque élément tout en les mélangeant avec d’autres qui sont à première vue opposés m’a demandé, et me demande toujours, beaucoup de réflexion et beaucoup de temps. J’aime le baroque, j’aime le metal, le balkan et la musique électronique, j’aime le discours de chaque style et ne veux en rien dénaturer leur essence, au lieu de les adapter et de trouver des compromis, je cherche sans cesse des moments, des couleurs et des émotions qui sont d’elles-mêmes ouvertes aux mélanges.
J’imagine que tu as déjà été confronté à des médias spécialisés baroque ou des mélomanes de baroque. Comme ta musique est par essence clivante, as-tu des exemples variés de retours dont tu te souviens ?
Le dernier exemple que j’ai en tête est une émission sur France Inter qui s’appelle Le masque et la plume, animée par des gens visiblement d’un certain âge et d’une certaine culture qui n’a absolument rien à voir avec celle d’ou je viens, c’est à dire le metal. C’est ma maman qui m’a appelé, aujourd’hui même, pour me dire que « je m’était fait allumer dans cette émission ». Effectivement, il y a une incompréhension profonde de l’autre monde, et j’ai trouvé ça super rigolo, déposer comme ça une musique dite « extrême » dans un milieu qui n’est pas du tout son milieu naturel et regarder les réactions. Je ne me rappelle plus des termes employés, mais c’était super drôle, genre « épouvantable » ou « abominable », je sais plus.
Ce que je me dis, c’est que c’est vrai que cette musique n’est pas destinée à être super populaire, dans le sens où elle n’est pas faite pour plaire à tout le monde, c’est plutôt une musique faite par des passionnés pour des passionnés.
En fait, tu introduis régulièrement des instruments ou des styles qui, de connaissance populaire, n’ont rien à voir ni avec le baroque, ni avec le métal, ni avec les musiques électroniques hardcore. Comme l’accordéon guinguette, la guitare sèche ou la musique des balkans par exemple. Je me trompe ?
J’adore la musique des balkans, tu peux le voir sur « Houmous » ou « Vegetable Soup », c’est un style que j’aime beaucoup. La musette aussi, j’adore ce coté kitsch et caricatural de la vielle France réac. Dans mon utilisation de la musette, il y a un coté moquerie des valeurs musicales profondes et kitsch de la France, mais tout en la sublimant. Du fait, on peux en rire tout en l’appréciant.
Plus généralement, as-tu l’impression, comme nous, qu’il existe des barrières absurdes entre les instruments, les machines et les courants musicaux ? D’où viennent-elles ?
Oui, culturellement, il y a tout une « classification des émotions » qui est très ancrée dans le savoir commun, avec des règles assez strictes pour chaque style. Je ne sais pas trop d’ou ça vient, peut-être que ces étiquettes ont été crées dans une volonté de mieux comprendre et cadrer la musique, d’étiqueter chaque style pour pouvoir les ranger dans une étagère qui nous donne d’avantages de points de repère. Chaque style a ses premiers groupes qui ont simplement su exprimer la musique qu’ils avaient envie de faire, sans se soucier du respecter les règles existantes ou faire de la musique consensuelle. C’est de là que viennent beaucoup de groupes et d’artistes les plus géniaux, à mon avis.
La musique baroque est perçue par certains de mes potes comme une science du « too much » dans les intentions, la surenchère d’émotivité, l’inverse d’une musique humble. Bon ils reconnaissent aussi leur part d’ignorance. Que t’évoquent ces réactions ?
Ça me fait penser à certaines musiques d’Igorrr en fait : de la surenchère d’émotivité et une certaine caricature des styles, c’est tout à fait ça. La surenchère permet d’aller très loin dans une émotion. Le baroque en majeure partie est d’ailleurs souvent très pompeux, je comprend la comparaison avec le terme « humble ». Ce qu’il faut se dire aussi, c’est qu’à l’époque les musiciens composaient pour des commandes de riches bourgeois ou même des rois qui s’achetaient des musiques pour se mettre eux-mêmes en valeur. Il y a là un côté totalement à l’inverse de la modestie effectivement, mais c’est juste une petite partie de la musique baroque ou de la musique classique. Comme dans tous les styles, il faut savoir faire le tri, il n’y a pas que du bon partout.
Pour en revenir à la musique, sans réelle intention de pousser et de creuser un style, ça me paraît un peu fade, la surenchère permet justement de creuser loin et d’aller chercher des choses inédites. Pour certaines musiques baroques, il y a effectivement cette surenchère qui nécessite un poil de second degré pour être pleinement appréciée. Au final, c’est aussi ça qui donne cette couleur si particulière au baroque. La première fois que j’ai écouté une pièce baroque jouée au clavecin, j’ai trouvé ça immonde, tellement cliché et connoté que je m’était clairement positionné contre. Aujourd’hui j’adore cette couleur que j’ai appris à aimer, même au premier degré.
Une musique aussi extériorisée implique-t-elle forcément de la frustration ?
Il y a surement une sorte de frustration effectivement en ce qui nous concerne dans le groupe, celle de voir que ce sont très souvent les musiques les plus mauvaises qui deviennent les plus populaires. Cette frustration est un moteur très efficace.
Quand on fait de la musique depuis un moment, il y a toujours un risque de devenir la caricature de soi-même. Quelle est ta technique pour éviter ça ?
Je ne sais pas si j’évite vraiment ça. J’aime faire de la musique d’une façon très personnelle. On peux appeler ça une marque de fabrique ou une caricature de soi-même, ça doit dépendre du point de vue. De mon côté, je me concentre surtout sur ce que j’ai envie d’entendre pour savoir ou je vais.
Si jamais je devais être la caricature de moi-même, je ferais bien attention à exacerber le moindre trait pour que ce soit le plus probant possible.
Igorrr sera à Paris à La Maroquinerie le 15 novembre, mais devinez quoi : c’est complet. Attendez-vous pourtant à le voir sillonner les routes de France et d’Europe dès la fin de l’année et en 2018.
Crédits photo en une © François Nuq
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