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Ian Svenonius : « Le seul truc que les gens apprécient, c’est la bouffe, parce qu’elle ne peut pas être téléchargée »

Il y a les interviews où les blancs s’enchaînent, où la gêne s’installe, et d’où, finalement, il ne peut souvent sortir rien de bon. Et puis il y a les interviews avec Ian Svenonius (Escape-Ism, XYZ, Chain And The Gang, The Make Up…). En un peu plus d’un quart d’heure, celui qui a été l’idole de Kurt Cobain avec les Nation Of Ulysses, nous donne une leçon d’économie, d’histoire et de sociologie. Rencontre avec un intellectuel du rock.

Sur le macaron des disques de Chain And The Gang et de XYZ, deux des groupes d’Ian, figure le nom de son label : « Radical Elite Records ». Un nom de circonstance, taillé pour un monsieur qui, pendant toute sa vie, n’aura rien fait d’autre que défendre une vision radicale – et nécessairement élitiste – du rock’n’roll. Sous toutes ses formes, mais surtout sous celles du punk (avec les Nation Of Ulysses, qui ne voulaient rien d’autre que « détruire l’Amérique », ou The Make Up) et du garage (Chain And The Gang). Si Svenonius a revêtu tous les habits du rock’n’roll, il a aussi chaussé les petites lunettes de l’intellectuel pour écrire deux ouvrages de référence sur la musique du diable.

Pas besoin d’en dire plus, Ian Svenonius est bien l’ « homme le plus intéressant du rock’n’roll » (dixit le Washington Post). Ca valait bien une petite rencontre.

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INTERVIEW

Tu es ici au Binic Folks And Blues festival avec ton projet solo, Escape-Ism. Peux-tu nous en parler un peu ?

« Escape-Ism », ça vient d’une chanson de James Brown. Les gens la trouvent dingue, mais en réalité c’est seulement un jam, un truc un peu dansant, avec un chant parlé. C’est très libre. Je m’en suis inspiré pour mon projet solo. Au départ, j’avais imaginé une sorte de support musical sur lequel je pourrais parler, réciter des poèmes. Mais, musicalement, c’était assez limité, alors j’y ai ajouté des parties de guitare et des boîtes à rythme. C’est seulement par accident qu’Escape-Ism s’est transformé en groupe de rock. Le rock’n’roll est tellement séduisant, tellement attirant, que toute forme musicale finie par s’y rattacher : c’est comme un trou noir qui aspirerait tout. Il n’y a rien d’aussi satisfaisant, d’aussi communicatif et universel que le rock.

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Au-delà de la musique, tu as évoqué l’importance des mots, des paroles, dans ce projet. Que racontent tes chansons ?

Il y a beaucoup de nostalgie dans ces chansons. « Iron Curtain », par exemple, c’est de la nostalgie pour la période soviétique, le rideau de fer… C’est un retour à l’époque pré-capitaliste lorsque Wall-Street, les promoteurs immobiliers et la publicité n’existaient pas. Imagine un mur qui retienne toutes les saletés, toutes les ordures. Ce mur a existé, c’était le rideau de fer. C’est comme une sorte de fantasme, un rêve. « Rome Wasn’t Burnt In A Day » est un morceau plus classique, presqu’un chant de football, qui t’encourage à continuer, malgré les obstacles et malgré un contexte politique, musical et artistique défavorable. Quoi qu’il arrive, il faut qu’on se souvienne que Rome n’a pas été détruite en un jour. Il a fallu des centaines d’années avant que sa domination prenne fin. Donc, tout simplement, le message c’est : continue et tu seras récompensé.

Donc tu gardes espoir ?

Oui, la civilisation et la technologie n’ont rien amené de bon. Mais il faut garder espoir. C’est tout le message d’Escape-Ism.

Ton futur à toi, c’est quoi ?

Mon nouvel album, qui sortira début septembre, s’appelle The Lost Record. L’idée c’est que, aujourd’hui, beaucoup d’albums, dont personne n’avait jamais entendu parler à l’époque de leur sortie, refont surface. C’est une sorte de fantasme pour tous les collectionneurs de disques, parce que ces albums sont différents des autres. En tant qu’objet, ils racontent une histoire : « Je suis le disque perdu, j’ai été oublié, personne ne se souciait de moi. Aujourd’hui, tu peux m’avoir, tu peux me serrer dans tes bras ». Plus qu’un disque, c’est un concept, presqu’un idéal.

Aujourd’hui, avec internet, on peut imaginer qu’il y aura de moins en moins de disques perdus…

Au contraire, avec toute la quantité de musique produite aujourd’hui, je crois qu’il y en aura de plus en plus.

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Justement, qu’est-ce que tu penses de toute cette musique, produite et mise à disposition gratuitement sur internet ?

Internet a transformé la musique. Les artistes s’en plaignent souvent, en expliquant que ce changement crée un problème financier. Mais c’est faux ! Il n’y a jamais eu d’argent dans la musique. Ce qui a changé avec la gratuité, c’est la façon dont les gens écoutent la musique, l’apprécient et la perçoivent. Parce que quelque chose qui ne coûte rien n’a pas de valeur. C’est vrai pour la culture en général. Aujourd’hui, le seul truc que les gens apprécient vraiment c’est la bouffe. Parce qu’elle ne peut pas être téléchargée. C’est l’un des seuls trucs que tu ne peux pas obtenir sur internet. Donc maintenant tout le monde est obsédé par la nourriture : comment bien couper une courgette ? Comment cuisinier un pigeon, selon la méthode antique ? C’est une obsession qui tourne au ridicule. Donc, pour en revenir à la musique, il ne s’agit pas d’argent. Tout le monde se fout de l’argent.

En parlant d’argent et de gratuité, tu joues ce week-end dans un festival entièrement gratuit.

Notre problème, c’est qu’on ne peut pas apprécier ce qui n’a pas de valeur marchande. Mais, heureusement, on est encore capables de prendre plaisir à contempler une montagne ou à parler à quelqu’un. Si je viens te voir et je te dis : « Hey salut, comment ça va ? », tu ne me dois rien. C’est la seule transaction qui n’est pas monétisée. Un concert gratuit, c’est pareil. La musique est différente quand elle t’arrives directement dans la face, sans intermédiaire. Parce qu’en face de toi, il y a des gens.

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De tels évènements sont rares aujourd’hui…

Quand j’étais enfant, l’été, il y avait toujours plein de concerts gratuits dans les parcs, partout. Ça faisait partie de la culture. Aujourd’hui, ça n’existe plus. Le rock, la musique en général, est devenu très corporate. Il y a 20 ans, il y a eu un incendie dans une salle de Rhodes Island, pendant un concert de heavy metal. Près de 100 personnes sont mortes. On a utilisé cette tragédie pour fermer toutes les salles de concert, tous les lieux un peu underground qui ne répondaient pas aux normes de sécurité. Un événement similaire s’est produit à Oakland, il y a quelques années. Et des clubs ont de nouveau fermé. Aujourd’hui, toutes les salles fonctionnent comme de véritables entreprises, qui dégagent des profits. Et ça a complètement changé l’expérience d’un concert de rock’n’roll. Partout, désormais, il y a des espaces VIP, des billets spéciaux que tu peux acheter pour rencontrer le groupe et prendre ta petite photo avec lui… Je suis allé voir les Black Lips l’autre jour. Il y avait des gens qui gardaient des places en face de la scène, pour leurs potes, partis chercher des bières. Avant on s’en foutait, ça ne se passait pas comme ça. Tout a changé.

Tout à l’heure, tu parlais justement du contexte musical, social et politique, en train de changer dans le mauvais sens. Mais j’ai l’impression que ça pourrait aussi provoquer une réaction positive. On le voit en Angleterre où beaucoup de groupes, comme Idles ou shame n’hésitent plus à dénoncer ce qui va mal.

Le contexte politique compte énormément dans la trajectoire d’un groupe. Les gens disent toujours que je suis un artiste engagé, mais c’est faux. C’est idiot : tout le monde est politique, parce que tout le monde réagit à un contexte politique et évolue en fonction. Et cela se traduit de différentes manières : dans le son, dans la carrière d’un groupe, dans la façon dont il s’habille etc. Prends le glam-rock, par exemple. C’est un mouvement politique, quoi qu’on en dise. C’est pour ça que la musique est fascinante : parce qu’elle renvoie toujours à une situation sociale et politique donnée.

Interview réalisée avec Mikaël Le Bourhis du Binic Folks And Blues Festival

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