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Free parties, le contentieux mal ficelé de la répression

Depuis près de trente ans, les free parties sont réprimées. Ça, tout le monde le sait. Ce que l’on sait moins, c’est l’ampleur des moyens déployés et la fragilité des procédures. Dans ce contentieux particulier, près de huit affaires sur dix tombent. Méconnaissance de la loi et vices de procédures, les causes de nullité sont légion.

Dans la nuit du 30 novembre dernier, une centaine de fêtards ont été surpris par les forces de l’ordre dans un hangar d’Izy-sur-Ourcq (Seine-et-Marne). Quelques jets de bouteilles, deux-trois insultes et des coups de gazeuses plus tard, les choses se sont calmées. Un des participants qui filmait l’intervention s’est fait approcher par l’un des hommes en uniforme. « A l’attention des camarades raveurs et teufeurs, le 77, laissez tomber, lâche le policier face caméra. On vous éjectera systématiquement. Ce sont les consignes du parquet, du préfet. » Silence. « C’est bon ? reprend-t-il. Tu peux diffuser autant que tu veux. »

« “Systématiquement”, ça veut dire quoi ?, s’étonne le membre d’un soundsytem nantais en visionnant la vidéo. Qu’on soit 20 ou 1000 c’est pareil ? Mais y a des lois quand même. On est criminalisé parce qu’on fait la fête. C’est symbolique de la crispation de la société. Mais on n’arrête pas un peuple qui danse. »

En réalité, la majorité du temps, ce « peuple qui danse » le fait sans trop de soucis. Sur les 4000 « teufs » illégales qui font guincher la France chaque année, une quarantaine seulement fait l’objet d’une procédure judiciaire. Ce petit contentieux pénal concerne un monde qui alimente nombre de fantasmes depuis près de trente ans. Celui des free parties, écumées par les mordus de la techno qui plongent des heures durant la tête dans des caissons de basses. A la manœuvre de ces fêtes pirates, souvent organisées de main de maître, des collectifs indépendants et bien rodés qui « posent » des murs de son dans des endroits isolés ou insolites. Connues des seuls initiés, les localisations des « frees » sont révélées à la dernière minute par le jeu des chaînes de SMS ou du bouche-à-oreille discret.

80 % de décisions favorables

« On négocie et en général tout se passe bien », explique un officier de gendarmerie du Nord de la France. Avec ses dix ans de contrôle de teufs au compteur, ce commandant à l’air bonhomme sait de quoi il parle : « C’est le jeu du chat et de la souris. Tant qu’ils restent sous les radars, on n’intervient pas. Et si on les trouve, on rentre d’abord en phase de concertation pour qu’ils arrêtent. Si cela ne marche pas, on entre dans la phase de rupture, sans dialogue, une phase administrative qui peut être adossée à une phase judiciaire avec la saisie du matériel. » Généralement, c’est cette phase-là qui dérape. Car préfectures et parquets font une application parfois bien à eux de la loi. Aussi, les procédures sont-elles souvent très mal ficelées. Et bien souvent, s’effondrent devant les juges.

En France, Marianne Rostan est la principale avocate des organisateurs de free parties. Elle parcourt le pays pour défendre les « teufeurs » devant les tribunaux. Et la jeune femme affiche un score à faire pâlir d’envie n’importe quel pénaliste : son taux de relaxe ou de restitution du matériel frôle les 80 %. Une performance inédite pour un contentieux pénal. La raison serait assez simple : « Les parquets ne respectent pas les procédures, avance la trentenaire. Pour eux, une teuf est interdite et c’est tout. Alors qu’il y a des règles. »

Marianne Rostan

Me Marianne Rostan, DR

Imagination, enquête et infractions

L’organisation d’une free est sanctionnée d’une contravention de cinquième classe, sanctionnée par le code pénal. A la clef, 1500 euros d’amende, 4500 en association et la saisie du matériel. Mais ce n’est que lorsqu’elle rassemble plus de cinq cents personnes, donne lieu à une diffusion de musique amplifiée, est annoncée par des moyens de télécommunication et peut présenter des risques pour les participants, qu’elle doit être déclarée en préfecture. Si ce n’est pas le cas, elle est illégale. A l’inverse, si elle ne présente pas ces quatre critères cumulatifs, elle n’a pas à être déclarée. « C’est assez particulier parce que souvent, ces éléments ne sont pas réunis et pourtant, ils sanctionnent, embarquent l’organisateur ou juste le propriétaire du matos et saisissent le matériel, détaille Me Rostan. Aucune enquête n’est menée. Il n’y a pas de recherche de responsabilité, uniquement une visée répressive. » Dans ce type de dossier, Me Rostan obtient bien souvent la relaxe car les infractions ne sont pas constituées, notamment car le nombre de personnes présente n’est pas indiqué.

Aussi, des infractions connexes sont souvent retenues, comme les nuisances sonores ou l’abandon de déchets. Il arrive aussi que les organisateurs soient accusés de délits, comme l’agression sonore. Contrairement à sa cousine la nuisance, elle doit présenter un élément intentionnel. Assez rare que celle-ci soit retenue au tribunal, les dossiers n’en apportant généralement pas la preuve. Les teufeurs sont également poursuivis pour délit l’installation sur le terrain d’autrui en vue d’y établir son installation. En gros, quelques fêtards plantent leurs tentes sur un terrain, communal ou privé, et sont soupçonnés de vouloir s’y installer durablement. Et Me Rostan d’euphémiser : « Les parquets font preuve de beaucoup d’imagination. »

Poubelles sous scellés et hélicoptère déployé

Certaines procédures semblent pour le moins curieuses. Le 10 octobre dernier, une fête d’environ 150 personnes est organisée dans l’Oise. Pas illégale en tant que telle aux yeux de la loi donc. Qu’importe. Le département est le théâtre de trop de frees, les maires et leurs administrés se plaignent des nuisances, à juste titre souvent. Mis au courant, le parquet prévient gendarmes. Ses instructions sont claires : tout saisir. Les forces de l’ordre mettent fin à la fête et s’emparent de l’intégralité de ce qui se trouve sur place.

Dans les coffres des véhicules, il y a des sacs poubelles remplis de déchets. Qu’à cela ne tienne, un ordre est un ordre et les gendarmes s’en saisissent puis les mettent sous scellés. Mais peu séduits par l’idée de conserver ces odorantes pièces à convictions dans leur caserne, ils demandent aux jeunes de les garder chez eux. En l’espèce, aucun motif juridique clair n’était retenu. Et la procédure, un peu ridicule, est vite abandonnée.

Une autre fois, alors qu’ils étaient placés en garde-à-vue dans une caserne, les gendarmes ont diffusé pendant plusieurs heures de la musique dans les cellules. « De bonne guerre », auraient souri les juges au procès. Un organisateur de free au casier vierge a même écopé d’une assignation à résidence dans l’attente de son procès. Avec interdiction quitter son domicile de 22h à 6h.

Appel rave party

Appel à la délation ? DR

« Des mesures plus importante que pour Benella »

« Ce sont des mesures plus importante que pour Benella, s’agace Me Rostan. Le problème, c’est que tout le monde voit les teufeurs comme des débiles et des drogués. Alors que ce sont des justiciables comme les autres. Ils veulent faire la fête librement. Qu’ils n’aient pas le droit d’accord, mais à certaines conditions et il faut respecter la loi. Ça arrive par exemple qu’on oublie de leur notifier leurs droits. Ça n’arriverait pas avec un autre public. »

Ce sont tantôt les moyens déployés pour réprimer les frees qui sont surprenants. Afin de compléter les dossiers, les forces de l’ordre tentent d’enregistrer le plus de plaintes possibles. Pour ce faire, il arrive qu’ils placardent dans les villages alentours des formulaires de pré-plainte à destination des habitants. S’ils sont remplis et renvoyés, ils viendront renforcer les procédures. « Ce sont de véritables appels à la délation à destination de la population, remarque Me Rostan. Ces moyens sont rarement déployés pour d’autres infractions. »

A l’image de cette fête de juin 2017, tenue pour les quinze ans d’un collectif réputé, lorsqu’une colonne d’une centaines de gendarmes a débarqué pour mettre fin aux festivités. Dans le ciel, les participants ont filmé un hélicoptère, dépêché pour trouver le matériel caché. Système son qui n’a d’ailleurs jamais été retrouvé par les forces de l’ordre… Il se murmure que les juges auraient un peu tiqué lorsqu’ils ont découvert l’ampleur et le coût des effectifs mobilisés.

Saisies de matériel

« Ces moyens sont nécessaires, se défend un gendarme de la région nantaise. C’est notre boulot de faire cesser ces rassemblements. Cela cause des préjudices aux riverains. De la même façon que dès qu’ils se sont adonnés à la boisson ou à d’autres cocktails, notre objectif est de procéder à des contrôles pour éviter les accidents. Et quand il faut, on doit saisir le matériel. » La saisie du matériel, l’arme fatale de ce contentieux. Pour Robin, membre de la coordination des Sound System (CNS), c’est de plus en plus fréquent. « On voit se répandre les saisies arrangées, ils ne peuvent pas tout prendre mais le préfet veut quand même une saisie, donc ils emportent juste un peu de matos », décrit-il.

Légalement, le matériel peut être retenu pendant une durée de six mois en vue de l’audience. Pour autant, même si celle-ci se tient après ce délai, ce n’est pas rare que les parquets refusent de rendre le matériel tout de suite. « Je pense qu’on ne rend pas tout de suite le matériel pour éviter de nouvelles frees », estime un gendarme du sud de la France. Ce qui expliquerait les difficultés que rencontrent Me Rostan pour récupérer le matériel de ses clients. « Même quand on obtient la relaxe, c’est compliqué de le récupérer, ça va du système son aux voitures, relate-t-elle. Souvent les parquets refusent de le rendre et les recours sont très longs. Parfois ce sont des véhicules à crédit qui sont immobilisés pendant des mois. Cela représente des préjudices de plusieurs milliers d’euros. » Dans environ 10 % des affaires seulement les saisies définitives sont prononcées.

Dialogue de sourds

« Il n’y a qu’une seule façon que cela cesse, pense l’officier nantais. Il faut faire des demandes en préfecture pour obtenir les autorisations. » « On le fait très peu, admet Robin du CNS. Mais c’est trop compliqué. Ça demande une démarche qui est très différente d’organiser une soirée entre copains, il a des normes de sécurité à tenir qui sont inatteignables. Or ce sont les plus petites ou moyennes fêtes qui sont réprimées, pas les plus grosses, impossibles à évacuer. »

Pour un ancien de la mouvance free qui préfère garder l’anonymat, sur ce point, les torts sont à chercher des deux côtés. « Il y a quelques années, il y avait une logique de concertation avec ceux qui voulaient s’inscrire dans le légal, ils avaient une place, pense-t-il. Maintenant, les portes sont fermées. Les gens qui s’inscrivent dans une démarche de vouloir organiser une manifestation légale ne le peuvent plus et ne le veulent plus. Il y a un dialogue de sourds entre des frees qui se politisent de plus en plus et un ministère de l’Intérieur de plus en plus strict. Ça ne va pas dans le bon sens. »

« Ce n’est pas à l’Etat de décréter ce qu’est la culture »

En témoigne la proposition de loi adoptée au Sénat en octobre dernier qui vise à resserrer la vis encore plus. D’après ce texte qui aggrave les sanctions des organisateurs, seraient soumises à déclaration en préfecture les fêtes de plus de 300 personnes (contre 500 aujourd’hui) et à déclaration en municipalité toutes les autres. « Donc en fait, un barbecue avec dix copains, il faudrait le déclarer à la mairie ?, s’estomaque Me Rostan. C’est liberticide. J’ai l’impression qu’on ne se rend pas bien compte de ce que ça veut dire. »

A tel point que même le ministère de l’Intérieur a émis les « plus grandes réserves » quant à ce texte dont il explique néanmoins « soutenir les objectifs ». A voir ce qu’en retiendra l’Assemblée nationale, détentrice du dernier mot sur les textes législatifs. Pour Me Rostan, ce contentieux est très politique. « Le droit de faire la fête n’est pas une petite liberté. Il faut se battre et ne rien lâcher, pense-t-elle. Ce n’est pas normal que l’interlocuteur des teufeurs ne soit que le ministère de l’Intérieur. Ce n’est pas à l’Etat de décréter ce qu’est la culture. »

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1 commentaire

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Suzanne 24.01.2020

Merci. Une vrai belle explication pour moi…avec encore une question pour moi, pourquoi ? Pourquoi ne pas laisser danser les gens ? Avec cette société qui se disloque et se future qui ne ressemble a rien, je comprends se désire de danser, de faire la fête…je ne comprends pas cette traque. Bref très bon article…

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