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Entretien avec Rrobin, l’homme qui parlait à l’oreille de la house et du rap

Le beatmaker préféré de Grems se lance en solo avec un premier disque de collaborations sous le signe de la house et du hip-hop. Pas si commun à l’heure glorieuse de la trap ou du grime, vous ne trouvez pas ? Nous si. On a passé un coup de fil à un petit producteur qui va bientôt devenir grand. Voici Rrobin.

Si je vous tanne cet automne avec un beatmaker à 700 likes, 1 album et un nom aussi inconnu que celui du frère d’un pote, c’est parce qu’il en vaut la peine. Dans l’internet de 2018, il ne faut surtout pas oublier que chaque mot est un milligramme de somnifère administré à l’internaute, épuisé de dérouler des fils d’actualité pour trouver un sens à sa vie. Manque de bol, le fil est infini.

Mais il est des trajectoires pas vraiment prévues qui offrent à leurs protagonistes des histoires à raconter. Et là, on tend l’oreille, on s’intéresse, on arrête le cours de nos tâches. On remarque d’ailleurs que le temps paraît complètement illusoire quand on l’élargit. Qu’importe la voix, le verbe, la technique, le coup de pinceau, le conteur trouvera toujours le moyen de s’exprimer, avec un besoin sans relâche qu’on l’écoute. Stephen Hawking a pu vivre 76 ans, et ça n’est pas juste parce qu’il l’a passé à bafouer les dieux, ce salaud de païen, c’est aussi et surtout parce qu’il a réussi à être entendu. CQFD.

Robin est né à Paris, et a grandi en Auvergne. Né dans la Commune, et grandi à Thiers. Ne comptez surtout pas sur moi pour continuer cette métaphore communarde, ça ne pourrait être que du pire effet. Dans cet entretien téléphonique de dix-huit minutes retranscrit ici à l’écrit, je découvre un type comme les autres. Passionné de création plus que de musique, il est pourtant cet infatigable producteur qui fait profiter de son art à des dizaines de rappeurs et rappeuses depuis 10 ans. Son éminence aussi grise que ses photos de presse a fait son temps. Depuis, l’altruisme a une nouvelle condition : son nom apparaît dans vos fils, sur vos affiches, et même sur un disque.

Avec Déluge signé chez Galant Records, Rrobin (qui ajoute un r à son pseudo) signe un album de hip-hop très tourné vers la deep house d’Andrés, de Moodymann, de Glenn Astro, et dont la qualité m’a tellement foutu en l’air qu’il me paraît n’avoir rien d’un premier disque. Et pourtant si. Il est ce qu’on peut appeler un « album solo de collaborations ». Alors oui, l’idée peut paraître saugrenue, mais il faut y comprendre que c’est Rrobin qui y officie en chef de chœur.

Quatre paragraphes sans parler de la personne centrale de la carrière de Rrobin, c’est un très joli coup. Mais ça ne peut pas durer. Parce que Rrobin, c’est quand même le type qui produit tous les meilleurs tracks de Grems depuis 5 ans. Rien que ça. Et si aujourd’hui on voit les noms du Jouage, d’Elea Brazz ou de Spoek Mathambo apparaître dans la tracklist de ce disque, on sait que l’ombre de Grems n’est jamais loin.

Vous en voulez encore ?

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INTERVIEW

À quel moment as-tu commencé la musique ?

J’ai commencé assez jeune au conservatoire de la ville, en formation classique au piano jusqu’au lycée. Ensuite, j’ai fait de la basse et de la guitare, monté des groupes de rock et de chanson. Notamment un groupe de rock-western-Tarantino avec lequel on a beaucoup tourné. Parallèlement, j’ai fait des études d’anglais et d’histoire de l’art qui ne m’ont pas mené bien loin. Ensuite j’ai suivi une formation d’éducateur spécialisé : je travaille depuis 10 ans avec des enfants handicapés.

Et la musique électronique ?

J’ai commencé un peu par hasard à la fac d’histoire de l’art. On avait des UE libres à choisir, et notamment un atelier de MAO. Ça m’a bien plu. Ma copine m’a acheté un petit logiciel, et j’ai commencé à faire des prods. A l’époque j’écoutais beaucoup de dub, donc c’est ce que je produisais aussi. Puis, avec deux potes, on a monté The Imposture avec lequel on a fait pas mal de prods avec Grems. On est partis dans la techno, dans les musiques électroniques cheloues, sans se fixer trop de barrières.

La musique, y’en avait chez toi quand t’étais môme ?

Mon frère et mes parents ont toujours été assez ouverts. Mon père, c’est le côté punk rock, et ma mère est la plus grande fan du monde de Pink Floyd. Alors, j’en ai bouffé. Il y avait aussi du jazz et de la musique française.

Le rap et la house, c’est venu plus tard ?

Le rap très tôt. Forcément, étant gamin, collégien, oui… C’était le moment où sortaient NTM, ou L’Ecole du Micro d’Argent d’IAM alors je me suis pris tout ça en pleine gueule. J’ai laissé le rap de côté au lycée et j’y suis revenu avec le rap spé à la fin du lycée et à la fac avec TTC, Stupeflip, Klub des Loosers, mais sans avoir écouté Grems, même s’il était un peu dans cette clique-là. Ensuite, de nouveau, j’ai laissé ça de côté, jusqu’à ce que mon frère me fasse écouter Grems. Et la house, je suis pas un puriste mais j’adore ça. La deep house, les vieux trucs de Détroit, ou des nouveautés bien deep.

Ta rencontre avec Grems a été déterminante pour toi. Tu t’en rappelles ?

Ça date de 2013. Il venait de sortir son album Vampire. Mon petit frère qui était bien à fond dans le rap indé français m’a dit d’écouter, et ça m’a fait vriller direct. Cet été-là, j’avais envie de faire un disque avec des featuring, mais pas forcément axé rap. On a fait des demandes à plein d’artistes, et un des rares qui m’ait répondu, c’était Grems. Il m’a fait « Merci, bon, j’ai écouté, mais c’est pas mon délire » alors je lui ai dit « Bah c’est pas grave, merci d’avoir répondu, c’est super gentil » et il m’a direct renvoyé « Non, non, mais vas-y essaie de me faire un truc dans le même genre quand même » et trois jours après, on avait un premier morceau. Depuis 2013, on est en contact tous les jours, à s’envoyer des prods, et se faire des retours. On s’est jamais arrêtés.

Qu’est-ce qui t’a chauffé à te lancer en solo ?

Ça a commencé il y a un an, juste avant qu’on fasse son dernier album Sans Titre 7. J’avais The Imposture avec des potes, mais ils étaient surtout là sur scène. L’un n’avait plus trop de temps, je composais presque toutes les prods, donc je me suis lancé, me recentrer sous mon nom propre. Et je garde The Imposture pour les prods musiques électroniques plus spé, ni house ni hip-hop.

C’est quoi tes références ultimes en house ?

J’en ai pas vraiment. Je connais pas d’albums par cœur. Mais des mecs qui me font vriller, je pourrais te dire Glenn Astro, toute cette vibe-là. Mais c’est Grems qui m’a fait découvrir. Avant, je ne savais pas ce que ça voulait dire deep house.

Dans une interview réalisée avec Grems, il disait que quand il avait besoin d’ambiance deep, il faisait appel à toi, et quand il voulait des patates de forain, il allait voir TBBT. Tu confirmes ?

Ahah, voilà c’est ça.

Quelle est la principale donnée qui change quand tu compose de la house plutôt que du rap ?

Pour moi, la house, c’est du bricolage. Je fais ça beaucoup plus à l’instinct que quand je fais des prods rap.

Pourquoi ça ?

C’est que quand je fais de la trap, j’ai direct des références plus précises en tête. Mais avec la house, c’est très hasardeux.

Tu écoutes du rap depuis plus longtemps. Quel regard portes-tu sur les évolutions du courant jusqu’à aujourd’hui ?

Je suis ce qui se passe en rap français. Il y a aujourd’hui quelque chose de l’ordre du banger. Il y a des morceaux et des artistes que je vais détester quand je vais écouter la première fois. Niska, je trouve ça inaudible la première fois, je me dis non, non, non. Mais avec le rabâchage, tu te rends compte de l’efficacité musicale du gars. Ça te fait bouger les épaules. Je peux pas dire que j’aime pas la direction qu’a pris le rap grand public. Après, les paroles de 90% des artistes, je trouve ça scandaleux.

Peux-tu me parler des artistes que as en featuring sur ton disque ? Tu étais proche d’eux ? Tu les as juste contactés ?

J’avais déjà bossé avec une petite moitié d’entre eux. Il y a pas mal de connections que j’ai eues via Grems, comme Le Jouage ou Elea Brazz. Starlion, on n’avait jamais bossé ensemble. C-Sen non plus. Et puis d’autres gens que j’ai rencontrés par hasard en soirée. Même si ça sort sur un label hip-hop, y’a pas que du rap. Y’a aussi des choses très chantées. Et puis il y a la collab avec Spoek Mathambo. On avait déjà bossé ensemble sur un EP, et on a voulu remettre ça. Après, c’est un album qui s’est fait totalement à distance, pas de rencontres physiques ni de sessions studio.

C’est un disque sponso Gmail ?

Ouais voilà. Et sponso WeTransfer.

Parallèlement, tu as toujours eu ton taff d’éduc-spé ?

Oui. J’ai eu la chance de bosser à mi-temps. J’avais beaucoup de temps, ça m’a vachement permis de progresser. Là, j’ai repris mon boulot à temps plein. J’arrive à gérer les deux pour l’instant, j’ai pas encore trop de concerts. Je suis arrivé dans ce métier par la musique, à la base. J’avais un copain qui bossait dans un centre pour adultes handicapés et qui m’a demandé de faire une animation en musique.

Encore aujourd’hui, tu arrives à faire le lien entre la musique et ton boulot ?

Il y a un lien. Après, je veux pas faire le prof de musique. C’est un outil que j’aime bien utiliser, mais c’est surtout que je fais écouter de la musique aux gamins. Après la pratique, pas vraiment. Je ne m’annonce pas comme l’éducateur-musicien, c’est pas ma spécialité.

Quels sont les effets directs que tu as remarqués des sessions d’écoute avec les enfants handicapés dont tu t’occupes ?

La musique, c’est thérapeutique. T’as des gamins qui tiennent pas en place, tu peux leur proposer n’importe quel jeu, tu n’y arriveras pas. Et tu leur fais écouter du Vivaldi pendant trois quarts d’heure, ils sont captivés.

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