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Derrière la scène, on compte les jours, aussi

Attaché·e de presse, ingénieur.e du son ou agent de sécurité, c’est toute une industrie qui est en stand-by depuis le 17 mars, point de départ du confinement. Après s’être penché sur le cas des structures de musiques actuelles : producteurs de spectacles, salles ou festivals en danger, remontons la chaîne et partons prendre la température du côté des petites mains du secteur. Indépendant·e·s, micros-structures ou intermittent·e·s du spectacle, le public ne les connaît pas et leurs voix portent peu mais sont plus que jamais indispensables pour faire tourner cette foisonnante économie de la musique. Témoignages.

Clotilde Fauchille, ingénieure du son

Intermittente du spectacle depuis 12 ans, Clotilde a dû rentrer chez elle après l’annonce du confinement, elle reprendra sa tournée avec Philippe Katerine plus tard, toutes les dates ayant été annulées pour le moment. Sachant qu’elle sortait d’un congé maternité avec un besoin d’enchaîner les cachets rapidement, la situation est plus qu’embarrassante. Le sort des intermittent·e·s du spectacle fait couler beaucoup d’encre en ce moment, et pour cause, le bilan est déjà catastrophique. Pour la plupart des 274 000 travailleurs·ses précaires du spectacle vivant et de l’audiovisuel, le compte à rebours des heures et autres cachets est bel et bien lancé.

Petit rappel, un·e intermittent·e n’est pas un·e chômeur·euse à vie qui fait chauffer les serveurs de Fortnite en attendant que le téléphone sonne, ni bien un individu qui veille scrupuleusement à ne pas dépasser un seuil de jours travaillés sous peine de perdre son chômage (ce genre d’idées reçues que j’entends encore au comptoir et qui me hérisse le poil en 3 millisecondes, NDLR). Non, un·e intermittent·e doit déclarer 507 heures par an pour voir son statut renouvelé, sinon c’est le banc de touche. « Quoi ?! 507 heures ?! Mais c’est que dalle, moi je fais ça en quatre mois, vas-y là c’est abusé ! » Calme-toi Bobby. Déjà, les périodes de travail très intenses comme les tournées ou les tournages de cinéma ne sont pas tenables douze mois de l’année. D’autre part, le travail étant calé sur des événements ponctuels et non sur un flux régulier, les périodes de creux sont inévitables. Et pour te rassurer, énormément d’intermittent·e·s travaillent aussi sur leurs jours chômés, ne serait-ce que pour apprendre un texte, partir en repérages, écrire ou entretenir le matériel. Ces temps font partie du métier et ne doivent pas être quantifiables ni rentables, on parle de culture, pas de production de vilebrequins pour la nouvelle Citroën Berlingo. La prochaine fois Bobby, renseigne-toi. Aparté terminée.

Donc, Clotilde a la trouille : « je vais rater des semaines de boulot, je pense perdre 60 cachets au moins, c’est énorme. Ça représente environ 70 % des cachets annuels ». En effet, ce satané virus ne pouvait pas plus mal tomber, la saison des festivals « se lance dare-dare en avril et ce jusqu’à la fin de l’été ». Si elle arrive a sauver son statut en 2020, elle aura de toute façon déclaré moins d’heures que l’année passée et verra son taux journalier chuter. En attendant une reprise de l’activité, Clotilde fait du mixage sur des projets créatifs dans son home studio (tu vois Bobby, les intermittent·e·s, ça charbonne toute l’année).

ILLU 2

Guillaume Combeuil, DJ et prestataire son

Connu comme le loup blanc dans le gratin du grand ouest, Combe est un hyper-activiste nantais toujours en première ligne des musiques électroniques depuis une quinzaine d’années. Entre deux DJ sets au club Macadam où il officie comme résident, Guillaume file à bord de son Renault Trafic vingt ans d’âge poser des systèmes son Funktion-One quadriphonie en teuf ou en mariage tradi. Ceci est son métier.

Alors, l’annonce d’un confinement strict l’a rendu blême. Son plan de trésorerie aussi : « c’est bien simple, je perds 99 % de mon chiffre d’affaire du jour au lendemain ». Pas de scène, pas de son, pas de son, pas de revenus. Comme les 600 000 TPE et indépendants au chômage technique, Guillaume s’est rendu sur le site du président pour solliciter cette aide allant jusqu’à 1500€. En vain. Son chiffre d’affaire n’ayant pas « subi une perte d’au moins 50% en mars 2020 par rapport à mars 2019 », il n’est pas éligible.

Comment ne pas se comparer à notre voisin allemand toujours aussi premier de la classe, décidément. 50 milliards ont été débloqués pour soutenir les artistes et le secteur culturel : un DJ sans platines ou un indépendant sans presta reçoit 5000€ cash en 24 heures. Scheiße.

En attendant, Guillaume espère lui aussi une sortie de crise et une reprise des soirées à 140 BPM, aussi vite que possible. Mais il reste réaliste : « en sortant du confinement les gens auront envie de sortir, mais on ne pourra pas se dédoubler, moi je peux faire jusqu’à 4 ou 5 événements à la fois, mais c’est tout. Même si demain j’ai plein de demandes, je ne pourrai pas faire exploser mon activité ». Une évidence, le PIB du pays ne va pas repartir à fond les ballons et rattraper ces mois de jeûne économique : « ça va être une année qui ne sert à rien où tu puises comme tu peux dans ta tréso, mais faudrait pas que ça dure six mois… ». C’est ce qu’on lui souhaite.

ILLU 3

Anne Cochin, gérante d’une société de sécurité

Certes, l’agent de sécu qui met un terme beaucoup trop vite à ton slam, c’est pas cool. Mais sans elle ou lui, tu te serais fait très mal, alors on dit merci. Maillon ô combien essentiel de la chaîne d’un événement musical, la flotte des agents de sécurité est également brutalement touchée par cette crise sanitaire. Anne est la co-gérante d’AGP Sécurité Évènementielle qui s’occupe des festivals Paco Tyson ou encore du Hellfest, dont les annulations sont tombées l’une après l’autre. Les agents de sécurité étant presque tous·tes en CDD voguant de festivals en festivals, Anne et son associé embauchent un équivalent de seize personnes à temps plein en prenant en compte la masse salariale annuelle. « Pour eux, pas de compensation exceptionnelle de l’État, c’est chômage direct. Dans tout le secteur c’est l’hécatombe, le manque de visibilité est très problématique ».

Avant de faire à nouveau appel à cette armée de gros bras, Anne attend que le gouvernement fasse des annonces claires. Dans une lettre ouverte du Syndicat des Musiques Actuelles, plus de 200 structures demandent au gouvernement de se positionner rapidement : « nos festivals sont indépendants et un « faux pas » pourrait être fatal à l’existence-même de nos projets à l’avenir ». Tributaire des festivals, Anne soutient à 100 % ce message.
Avant que de bonnes nouvelles ne tombent du ciel, elle cherche un plan B : « je vais demander un prêt garanti par l’État, mais on ne sait pas encore le montant qu’on peut demander, et surtout on ne sait pas si les banques vont suivre car on ne peut pas garantir la reprise de l’activité ». Alors, Anne et son associé puisent dans leur trésorerie et sollicitent un report des charges patronales, mais ça ne suffira pas pour passer l’été : « je suis de moins en moins optimiste pour la suite, on nous dit de ne pas prévoir de vacances donc je ne vois pas comment les gens vont revenir en festival. On espère une reprise en septembre, je ne vois que ça de concret ».

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Photo : Mathilde Ayoub

Xavier Ehretsmann, disquaire

Évidement, ce n’est pas que la filière du spectacle vivant qui est à genoux mais aussi les boutiques de disques. Fermées comme toutes les autres depuis mi-mars, tout juste avant le Disquaire Day, temps fort pour les marchands de galettes indépendants, Xavier et son associé accusent le coup. Dans la foulée, la plateforme collaborative Discogs, refuge virtuel bien connu des diggeurs de France et de Navarre, enregistrait une hausse record de 70 % de nouveaux disques en vente, 34000 en seulement deux semaines. Le site web a cherché à rassurer sa communauté en maintenant le service de livraison autant que possible pendant ce confinement intergalactique, malgré un secteur aérien plus que perturbé.

Mais pour Xavier, co-gérant du disquaire parisien Dizonord, ouvert sur les musiques du monde de l’afro/cosmic au UK garage, pas question de s’appuyer sur des livreurs·ses pour sauver son activité, respect du confinement oblige, et pour tout le monde : « c’est pas du tout cohérent, dans notre réseau les gens pensent comme nous ». En attendant de rouvrir la boutique et de repartir en quête de pépites au Brésil ou au Pakistan, Xavier s’appuie sur la trésorerie qu’il a gardé en cas de pépin : « et voilà le pépin, il est là, donc on peut se payer le peu qu’on se paye pour le moment, mais faudrait pas que ça dure. »

Aux beaux jours, Xavier espère que les clients auront toujours autant l’envie de venir dénicher la perle rare dans ses bacs. Il compte sur sa communauté de fidèles mélomanes : « La seule chose pour laquelle je suis confiant, la vente de disques étant un luxe aujourd’hui, c’est la partie sociale et humaine qu’on a développée au magasin, c’est pour ça que je veux continuer ce taf. »

Cécile Legros, attachée de presse

Sur la boîte mail de Sourdoreille, on ne compte plus le nombre de libellés « attaché·e de presse » que l’on reçoit par jour. Et même si on ne répond pas toujours dans la foulée, nobody’s perfect, heureusement qu’elles et ils sont là pour nous informer des nouvelles sorties frétillantes et de l’actu de nos festivals préférés.

Cécile est attachée de presse indépendante, elle propage les belles paroles d’artistes comme Agnès Obel, Theo Lawrence ou encore de notre chouchou H-Burns. Côté festival, elle travaille avec le MaMa à Pigalle, grand rendez-vous pro, ou bien le Printemps de Bourges. Ce dernier ayant été un des premiers touchés, Cécile et son équipe l’ont été sévèrement par rebond : « comme partout, il y a de la casse, pour des petites ou moyennes structures comme la mienne, l’onde de choc est importante ». Elle a été contrainte de déclarer son employé en contrat professionnel au chômage partiel et de mettre un terme à sa collaboration avec deux stagiaires qu’elle avait recruté justement pour travailler sur le Printemps : « pour des jeunes à qui on demande d’aller se confronter à la vie active, c’est très violent de vivre cette situation et d’être déjà confronté à des ruptures de contrats ou du chômage. »

Mais la vie continue pour les artistes confinés, donc les attaché·e·s de presse cherchent des parades : « on propose des interviews en visioconférence, on travaille autour de concerts à la maison, on essaie au maximum de placer les artistes quand on le peut et que ces derniers sont partants. Mais c’est clair qu’on navigue à vue, on vit dans un autre espace-temps ». Car il est évident mais nécessaire de rappeler que le COVID-19 vampirise totalement l’espace médiatique, le peu de culture dont on parle sur les réseaux ou dans la presse nous ramène forcément de près ou de loin vers cette crise sanitaire sans précédent. Dès lors, comment envisager la promotion d’une sortie de disque ou d’un clip ? Comment parler de musique, tout simplement ?

Les attaché.e.s de presse se serrent les coudes et Cécile tente d’appréhender la situation avec sagesse : « puisque ça dure, on pourrait voir cette situation comme un renouveau, une façon de se réinventer. C’est un tel bouleversement, prenons-le comme ça vient et puisque la culture semble être remise largement au goût du jour en cette période de confinement, tentons de faire perdurer cet effet sur du long terme, j’aimerais que tout cela puisse faire bouger les lignes ».

Voilà

En tant que média indépendant et société de production audiovisuelle spécialisée dans la musique, Sourdoreille fait partie de cette chaîne et, à notre échelle, nous sommes également impactés par cette déferlante d’hypothèses qui nous force à nous adapter de jour en jour. Il nous semble donc important de recueillir les paroles tremblantes de nos consœurs et confrères, de celles et ceux qui œuvrent quotidiennement en sous-terrain pour que les riffs et les rimes des talents que compte notre belle planète arrivent jusqu’à nos tympans.

Bien sûr, cette série de témoignages est non exhaustive et ne représente qu’un échantillon de la filière, aujourd’hui dans un brouillard bien épais. Dans un prochain épisode, on vous parlera peut-être des agents de billetterie, des managers d’artistes, des régisseur·ses, des directeurs·rices de labels, des chargé·e·s de production, des éclairagistes, des agents d’entretien de salles de concert, des roadies, des responsables de communication, des machinistes… La liste est longue.

Force, honneur, amour et tout ce que vous voudrez, on se donne rendez vous régie gauche dès que possible.

Photo en une : Hana Ofangel

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2 commentaires

2 commentaires

guillaume g 14.04.2020

Merci pour l’article, pour continuer à sortir des cliches, les zintermittents n’ont pas un statut ( fonctionnaire) mais un régime d’assurance chômage. l’idée du statut renforce le cliché que l’on est « intermittent » a vie….la dégringolade est souvent rapide.
bonne continuation
guillaume
comédien
marseille

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Marc-Philippe 13.04.2020

Pourquoi la quasi totalité des sorties d’albums sont-elles suspendues ? Il est toujours possible d’acheter sur les plateformes de e-commerce ou d’écouter en streaming. Il va y avoir surproduction cet été comme pour la rentrée littéraire et les « petits » vendeurs seront noyés dans la masse. Peut-être que tout simplement les usines sont fermées.

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