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Danièle Gambino, FGO Barbara : « Fuir les certitudes et l’impérialisme culturel »

A Paris, les musiques actus et émergentes fêtent l’un de leurs sanctuaires : le lieu culturel FGO-Barbara a 10 ans. Dix jours plus tard, avec la réactivité d’une équipe de reporters forcés de faire tous ses voyages professionnels avec la SNCF, on publie cette interview passionnée de Danièle Gambino, âme musicale, politique et poétique du quartier parisien de la Goutte d’Or.

Pour la majeure partie des danseurs et mélomanes parisiens, les femmes et les hommes de l’ombre qui s’occupent toute l’année de leur montrer leurs artistes préférés sont souvent d’illustres inconnus. Pourtant, Danièle Gambino est une grande dame dans notre capitale. Si, si. Impossible de ne pas être touché de près ou de loin par une de ses activités présentes ou passées si vous aimez les ambiances moites, rock et les concerts de quartier. Issue du théâtre, elle fait ses études à Paris 3, devient comédienne, enseignante, puis metteur en scène. Comme chez nous, elle a fait de la production audiovisuelle, mais aussi en radio (La voix du Lézard, Skyrock, Radio France), ainsi que du casting pour la télé et le cinéma.

Quand on parle musiques actus en France, Gambino est inloupable, en réalité. Et c’est probablement parce qu’elle est directrice adjointe d’un des lieux culturels emblématiques de Paris – et ce même alors que celui-ci fait bien moins jaser que le Centquatre ou la Gaîté Lyrique. Il y a dans cet espace qu’elle gère au quotidien, le FGO-Barbara, quelque chose qui ressort. Quelque chose de brut. De foutraque. Surement le côté « quartier Goutte d’Or ». Débarquée à sa création il y a pile 10 ans, elle ne s’occupait à la base « pas de la programmation mais d’action culturelle et d’accompagnement. » Ses compétences de coach scénique lui permettent pourtant régulièrement d’aider les groupes en résidence ou de passage. Ce qu’on retient de l’interview qui suit, c’est une dame qui transpire d’une passion pour la programmation et l’ouverture de la culture à tous les publics, toutes les musiques, toutes les pratiques. Ça n’est pas une mince affaire : combien de lieux culturels à grande valeur artistique ont oublié le rôle premier de la culture de créer du lien. Beaucoup trop. Combien sont les uniques réceptacles de communautés pseudo-progressistes qui trouvent là un nouveau moyen de se couper de la rue ? Encore trop. FGO jusqu’ici porté par une société coopérative compte bien faire apprécier son style. Depuis 2015, le lieu est même passé sous la tutelle de la direction des affaires culturelles de la ville de Paris. Gambino en parle comme un moyen fabuleux d’y développer un projet artistique plus ambitieux.

10 jours après avoir fêté les 10 ans du FGO Barbara entre ses murs (ici), voici donc quelques échanges avec sa tête chercheuse. Pour que l’intérêt général ait quand même un sens de temps à autre.

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L’INTERVIEW

 

Le métier de programmation est vu comme un métier de mâle blanc hétéro cinquantenaire, je me trompe ?

Oui il y a une grande majorité d’hommes blancs qui exercent ce métier. C’est lié à l’histoire du secteur qui s’est professionnalisé à la fin des années 90 , né de la volonté et l’énergie de passionnés venus du rock pour la plupart soit un milieu masculin et blanc. Les acteurs de cette époque sont aujourd’hui en majorité directeurs de structures et programmateurs. Les choses changent lentement , c’est vrai pour le métier de programmatrice mais aussi de manière générale dans le secteur des musiques actuelles pour les postes de direction.

Comment motiverais-tu un-e jeune à se lancer dans ce job ?

Les personnes qui se lancent dans ce métier n’ont pas besoin d’être motivés, en général ce sont des passionnés.

Cela fait onze ans que tu es en poste à FGO. C’est une éternité au XXIème siècle, non ? Quelles sont les raisons de cette longévité au sein de la boîte ?

Comme je l’ai dit précédemment j’ai exercé différents postes au sein de la structure, c’est la raison pour laquelle je suis là depuis longtemps je n’ai pas pu m’ennuyer j’ai toujours appris de nouvelles choses. Par ailleurs le lieu fonctionne bien mais c’est un équilibre fragile, nous sommes dans un quartier difficile et il a été très important pour moi jusqu’à présent de m’impliquer sur l’aspect social du projet. Développer un projet comme celui là prend du temps , c’est une expérience assez unique , FGO n’est pas un simple lieu de diffusion.

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Quand on connaît les activités du lieu, en terme notamment d’accompagnement, de résidences et d’ateliers, je me demandais jusqu’où s’étendait ton boulot ?

Non , bien sûr je suis directrice adjointe , je suis présente à tous les niveaux de l’activité. La programmation à FGO est d’ailleurs le résultat d’un travail collectif et d’une expertise assez fine du territoire parisien. FGO jusqu’à présent s’est toujours inscrit en complémentarité de l’offre existante et non en concurrence. Une grande partie de mon travail consiste à coordonner des projets et des équipes artistiques. Par ailleurs je monte des projets d’accompagnement hors les murs dans le cadre de coopération avec des Instituts Français à l’étranger.

Après onze ans de boulot au sein de FGO, quelles sont les choses que tu as apprises pour soutenir au mieux l’émergence ?

Fuir les certitudes et l’impérialisme culturel, voir au-delà de ses goûts personnels, savoir travailler en collaboration , être curieux des tendances et cultures voisines de la musique, être ouvert sur les autres territoires qu’ils soient nationaux ou internationaux

Quels sont les rêves qu’on couve au fond de nous quand on programme FGO ?

J’ai des rêves impossibles, c’est ainsi qu’on change le monde même à l’échelle d’un lieu et d’un territoire. Plus concrètement je pense que l’avenir des musiques actuelles est la pluridisciplinarité. Je rêve de véritables créations associant à la fois recherche musicale et recherche scénique et bénéficiant de temps de recherche et d’économies similaire au ceux du spectacle vivant. Je rêve d’une plus grande parité femmes-hommes dans la programmation, plus de diversité culturelle, plus de place pour les spectacles jeune public, etc.

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FGO Barbara est géré par une société coopérative, ATLA. C’est commun pour des lieux de ce genre, ou assez rare ?

Il y a 11 ans c’était exceptionnel puis ce modèle s’est répandu. Aujourd’hui la politique culturelle parisienne évolue plutôt vers les partenariats public-privé, les structures associatives ou issues de l’ESS ne seront peut être plus les modèles recherchés pour gérer les lieux culturels. Atla ne sera d’ailleurs plus le gestionnaire de FGO à partir de 2019.

FGO est un lieu d’accès à la culture. C’est l’un des chevaux de bataille des lieux culturels, qu’ils soient accessibles à tous. Observes-tu une vraie mixité dans les publics ?

Oui c’est notre réussite ! Le lieu est très mixte culturellement, socialement et ethniquement. La clé de cette réussite c’est notamment l’éclectisme des activités et de la programmation, un ancrage local réussi avec de véritables complicités et partenariats avec les acteurs de proximité.

Comment aimes-tu à parler de FGO ou aimerais-tu qu’on parle de FGO autour de toi ?

Collectivement dans l’équipe nous aimons dire qu’il s’agit d’une maison des artistes , un lieu des possibles, de tous les possibles où les cultures alternatives et minoritaires ont une place importante. Un lieu ouvert et accueillant ! les lieux subventionnés comme ceux ci doivent avoir une réflexion sur l’accueil des personnes et la convivialité ! FGO est surtout un lieu unique où toutes les cultures peuvent s’exprimer loin du dicktat de la pensée dominante. C’est cette synergie bouillonnante qui constitue le projet artistique.

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Quel regard portes-tu aujourd’hui sur l’évolution des lieux de musiques actuelles en France ?

Beaucoup de lieux musiques actuelles réinterrogent aujourd’hui leurs modèles, la question du renouvellement des publics notamment se pose aussi souvent. L’offre est de plus en plus importante, il faut s’adapter et cela n’a de sens qu’en résonance avec le territoire sur lequel on se trouve, bien sûr au niveau local mais aussi national. Le secteur s’empare de plus en plus des thématiques qui agitent la société : place des femmes, diversité culturelle, droits culturels, etc. L’avenir des lieux musiques actuelles j’en suis persuadée passe par l’ouverture aux autres arts, la pluridisciplinarité, la création… Les artistes du secteur ont une véritable demande dans ce sens, ils souhaitent se rencontrer artistiquement hors du champ de l’industrie musicale, croiser d’autres arts, bénéficier de véritables temps de recherche. Il y a une lassitude perceptible des artistes à être soumis aux seules logiques de l’industrie, les projets produits ont une durée de vie de plus en plus courte. Les lieux de musiques actuelles subventionnés devraient être des lieux de recherche tout en restant les partenaires de l’industrie musicale bien sûr. Ce n’est pas incompatible.

Peux-tu me citer des meufs qui programment ou dirigent des lieux ou events de musiques actus / électroniques et dont tu aimes le travail ?

Fany Corral (ex-Pulp et Kill the Dj), Eva Peel (Deviant Disco) et parmi les directrices de Smac Anne Burlot Thomas (ex-MAPL) , Bénédicte Froidure (File 7) , Perrine Delteil (programmation Festival 3 Eléphants). Les femmes sont encore trop peu nombreuses dans le secteur.

Crédits photo en une : Goledzinowski

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