Métier de l’ombre comme il en existe des dizaines, le superviseur musical existe depuis peu et manquait cruellement au cinéma pour parfaire son fonctionnement. Avec Noodles Supervision, Pascal Mayer est l’un des pères pèlerins français de la gestion complète de la chaîne de la musique à l’image. « Incendies », « La Guerre est Déclarée », « Les Combattants », « Les garçons et Guillaume, à table! », il a notamment bossé avec les réalisateurs Bertrand Bonello, Valérie Donzelli et Gaspar Noé, des compositeurs mythiques comme Ennio Morricone et des musiciens amoureux du risque comme Yuksek et Zombie Zombie. Mais comme on ne captait pas trop le pourquoi du comment, on est allés lui demander de nous préciser son job.
Avant d’avoir inventé ton métier de superviseur musical, que faisais-tu ?
J’ai toujours bossé dans la musique. Longtemps en maison de disques, en major. J’ai commencé chez Virgin en 1993 jusqu’à Warner en passant par Sony et Universal qui s’appelait PolyGram à l’époque, BMG, pour finir chez East West. Service marketing. Ensuite, j’ai monté un label indépendant avec Marc Collin qui s’appelle The Perfect Kiss – Marc, c’est le producteur de Nouvelle Vague et plein d’autres projets. Parallèlement, j’ai commencé à faire de la supervision musicale dans le cinéma mais c’était encore un peu compliqué d’en vivre et d’avoir le label en même temps. Toutefois, je bossais sur des films sans avoir la pression de faire tourner une boîte. C’était pas du tout prémédité mais, quand j’ai quitté Perfect Kiss en 2009, j’avais quatre films dans les tuyaux. Entre 2005 et 2009, le bouche à oreille avait commencé à fonctionner. Et en janvier 2009, j’ai lancé Noodles avec quatre films. L’idée était de voir si sur une année ça marchait. Je m’étais fixé comme objectif que si au 1er janvier 2010 c’était viable économiquement je continuais, sinon je faisais autre chose. Et ça a marché. J’ai travaillé pendant 3 ans tout seul et Steve Bouyer m’a rejoint en 2011.
Le boulot de superviseur musical est hérité d’une tradition plutôt américaine, c’est bien ça ?
Aux Etats-Unis, la production cinématographique au sens large, à tous les postes, c’est très industriel, très professionnel. La musique n’échappe pas à ça. Ça existait pas en France parce qu’on a une autre façon de produire. Tout comme la post-production n’était pas très développée chez nous – tu sais que le métier de directeur de post-production, c’est pas très vieux. En France, on était surtout focalisés sur le tournage, où tout est bien organisé. La post-production, moins, et la musique faisant partie de la post-production, forcément… C’est simple : il y a un domaine, il faut un spécialiste de ce domaine.
Comment définir le métier de supervision musicale ?
Tout ce dont le film a besoin en terme de musique. Il y a deux grands axes pour s’occuper d’une musique de film. D’abord, la musique pré-existante qu’on peut acheter, consommer, synchroniser – où il faut identifier les ayant droit du côté du master et acheter le droit de synchroniser le titre dans ce long-métrage. Ensuite, la musique originale. La première question, c’est : qui peut faire cette musique originale ? Une fois que le compositeur est choisi commence la période de réunions, d’échanges. Et quand l’artistique est fait, c’est l’aspect production. C’est plutôt ce volet musique originale que j’avais envie de développer. J’ai plutôt démarré là où j’étais le plus légitime, c’est-à-dire la musique pré-existante, parce que je venais du disque – j’ai bossé sur beaucoup de catalogues en faisant 5 majors, donc ça a été assez vite à ce niveau-là. Pour le reste, j’ai appris. Seul.
On a l’impression d’un boulot très spécifique, mais on parle en fait d’une nombre élevé de maillons de la chaîne de production musicale.
Il est très spécifique mais touche l’ensemble des questions liées à la musique. La musique, ça peut être complexe pour les gens du cinéma qui ne connaissent pas. Rien que pour les ayants droit, ça peut être un casse tête. Sur un titre de rap, tu peux avoir huit rappeurs plus quatre beatmakers plus deux samples. Donc une dizaine d’interlocuteurs différents.
Le cinéma, c’était un bordel sans nom avant l’arrivée du superviseur musical ?
Non, la nature ayant peur du vide, il y a toujours eu des gens qui se sont occupés de la musique. Et ce dès les années 90. Après, les compositions originales étaient plus contrôlées par les compositeurs eux-mêmes. Et puis les synchros, y’avait des gens qui pouvaient s’occuper de la partie juridique, de trouver les ayants droit et négocier. Pour moi, l’intérêt de la supervision musicale, c’est de gérer l’intégralité de la musique pour le film, de l’artistique jusqu’au juridique, mais surtout d’avoir un seul interlocuteur qui va prendre un charge la musique. C’était trop morcelé. Aujourd’hui, on est plusieurs à faire ce travail complet en France.
Combien ?
Une dizaine. C’est un boulot qui doit se faire totalement. Si tu fais de l’édition pour une maison de disques et de la supervision, il y a conflit d’intérêt et tu ne peux pas être complètement objectif. Que ce soit X, Y ou Z qui soit le réalisateur et M, N ou P le compositeur, ça ne change rien à notre savoir faire, notre valeur ajoutée artistique et notre capacité de gérer un film de bout en bout. C’est ça qu’on vend aux producteurs et aux réalisateurs.
Vous avez quasi créé votre boulot en France. On imagine que vous devez en tirer une certaine liberté d’action ?
J’ai jamais été tout seul. C’est juste que moi j’ai eu envie d’embrasser la supervision musicale dans le sens le plus large qu’il soit. Noodles n’a rien inventé mais propose sa vision de façon indépendante et professionnelle.
Qu’est ce qu’une bonne supervision ? Et donc, quelle est cette plus value propre à Noodles, artistiquement ?
D’être le meilleur conseil qui soit. Comprendre le réalisateur, son film. C’est une valeur toute relative, loin d’être absolue. On ne fait pas le film, on est à son service. Tout comme le chef op’, le décorateur, le costumier. La première qualité serait donc l’empathie. On ne bosse pas de la même façon avec sur Bertrand Bonello sur Nocturama, Denis Villeneuve sur Incendies, avec Gaspar Noé sur LOVE ou avec quelqu’un qui va faire son premier film. Le travail avec Valérie Donzelli, par exemple, il a pas mal évolué. On est arrivés en cours de route sur La Guerre est déclarée, puis on a travaillé sur Main dans la main et enfin sur Marguerite & Julien avec Yuksek.
Quand tu as monté Noodles, les réalisateurs et les compositeurs se sont dits « ah enfin ». Ou c’est plutôt à coups de centaines de mails et coups de téléphones que tu les as convaincus ?
C’est très très lent. Une des manières de rentrer sur le film, c’est via le producteur. L’autre axe, c’est via le réalisateur. Le premier c’était pour le producteur Eric Juherian que je connaissais et qui avait besoin d’aide sur Mes Copines avec Léa Seydoux et Soko (Noodle n’existait pas à cette époque). Avec ce film-là, j’ai rencontré les gens d’Agat Films grâce à qui j’ai rencontré Les Films Pelléas, etc… Le bouche à oreille commençait à fonctionner. On a aujourd’hui fait tous les longs métrages de Valérie Donzelli, on a travaillé pas mal avec Marc Fitoussi (La Ritournelle, Copacabana, etc, ndlr) jusqu’à avoir un volume suffisant.
Vous en êtes à 75 films depuis 7 ans… Vous dormez ?
Plus de 80 et 90 projets ! Une dizaine par an environ. Mais dedans il y a des chantiers différents.
Est-ce une légende que les réalisateurs français se moquent de la musique à l’image ?
Le rapport à la musique est différent du cinéma américain qui a un rapport beaucoup plus décomplexé. Ils en mettent beaucoup. La musique peut faire peur en France, on entend dire « ça amène du pathos. » Non, c’est surtout qu’elle peut être un peu oubliée. Par manque d’habitude et d’organisation. Les budgets sont souvent sous-évalués par rapport aux besoins réels. Mais la nouvelle génération des réalisateurs s’y prend un peu plus à l’avance.
Justement, à quels réalisateurs on distribue les bons points ?
Généralement, ceux avec qui on travaille, c’est déjà bon signe. C’est qu’ils s’en soucient un minimum. Même s’ils nous appellent parfois au dernier moment.
Oui, votre boulot a cette dimension d’appel de dernière minute, en urgence, des fois.
Ça arrive de travailler « en pompier ». Certains se disent que la musique a un coût et veulent s’en occuper eux-mêmes pour économiser. Et reviennent vers nous après. Ça ne leur viendrait pas de penser de la même façon pour un chef de poste sur un tournage. Et puis, il y a le fantasme de la musique gratuite. Et ça, ça n’existe pas. C’est pas méchant, mais c’est ancré.
Parmi tous les films dont vous avez supervisé la musique, desquels pouvez-vous être vraiment fiers ?
Dans l’ordre chronologique, Incendies, c’est assez particulier. C’est la première musique originale dont Noodles a fait la supervision exécutive. C’est particulier surtout parce que le film a eu une histoire incroyable. Là, on ne s’est pas occupés de la musique enregistrée. Le Radiohead, etcetera, c’est le producteur qui s’en est occupé. Après, dans la création originale, on a bossé avec Ennio Morricone. Ça restera un truc à part, à jamais. Parce que c’est lui, parce qu’on a enregistré à Rome. C’est notre idée, notre réalisation et on a réussi à le convaincre. Il y a des films sur lesquels on a écrit de longues histoires. Je pense à Les garçons et Guillaume, à table! pour Guillaume Gallienne, entre l’enregistrement d’une chorale qui reprend « We are the champions », et une reprise de « Vous les femmes » par Arno. Quand en plus le film a du succès, ça rend l’histoire encore plus belle. On a eu des nominations aux Césars. Les Combattants de Thomas Cailley, ça a été également une belle histoire et un gros travail de musique originale. On a bossé avec Zombie Zombie sur Irréprochable de Sébastien Marnier avec Marina Foïs. Le score avec Yuksek, qui était son premier, en dehors de sa zone de confort, avec un orchestre.
Je pensais au film Belgica de Felix Van Groeningen (qui a aussi réalisé Alabama Monroe) sur lequel Soulwax a réalisé la BO. Le duo a carrément monté de toutes pièces des groupes fictifs qui jouent dans le film. Que pensez-vous du rendu ?
Ce serait des choses qu’on aurait envie de faire, c’est clair. On pourrait le faire. C’est hyper inventif comme façon de bosser.
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