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Yael Naim et la lumière fut

On s’y est repris à deux fois. Ça voulait pas. D’abord, ce confinement qui nous empêchait de la voir, en vrai, en chair et en os, en personne. Qu’importe, on allait faire un phoner. Phoner, c’est ce qu’on dit pour crâner un peu, pour faire les pros. En fait, on allait s’appeler, simplement. Remettre à plus tard les yeux dans les yeux et se concentrer sur nos voix. Surtout la sienne. Alors on a fait ça. On a parlé. Assez longtemps. On n’a pas été interrompus par le serveur du café, par un attaché de presse (qu’on adore par ailleurs, les serveurs et les attachés de presse). On était bien, c’était bien. On a raccroché. Et puis rien. On a appuyé sur « play », et ce fut un grand silence. La technologie, cette fausse amie, cette traîtresse, nous avait abandonnés en route. Mais on ne pouvait pas ne pas vous parler de ce disque, c’est bien simple, on ne pouvait pas. Alors on va vous raconter quand même. Séquence souvenirs.

Night songs, le nouvel album de Yael Naim, ne pouvait pas mieux tomber. La maison de disques et le tourneur ne seront peut-être pas d’accord avec ça, parce que c’est vrai que niveau timing, une sortie au quatrième jour de confinement national pour cause d’état d’urgence sanitaire, c’est pas l’idéal. Et pourtant. Ce disque, Yael Naim l’a fait seule. Isolée. Elle s’est enfermée avec elle-même, elle ne s’est pas donné d’autre choix que de se regarder en face, elle a dû laisser faire, laisser venir l’inspiration, et les mots, parfois maladroits, parfois dérangeants, souvent cathartiques.

Vous nous voyez venir, avec nos gros sabots ? Tout de même, avouez. Ce serait un hasard, cette histoire ? Yael n’y croit pas. Elle ne peut ni ne veut s’empêcher d’y voir un signe. Sans vraiment l’expliquer, sans chercher à comprendre à tout prix. Elle nous raconte que depuis le début, les obstacles s’enchaînent. Que les premières présentations ont du être décalées à cause des grèves. Que voilà maintenant cette sortie qui tombe en pleine épidémie. A-t-elle songé à la reporter ? Oui, mais finalement non. C’était écrit, c’était le destin de ce projet. Un chemin parallèle, solitaire, inédit. D’un bout à l’autre.

Outre le sens de l’humour un peu particulier de ce calendrier, ce qui nous frappe, évidemment c’est de retrouver Yael Naim sans David Donatien. Cette dream team, on la suit depuis 2007. On ne les imagine pas séparés. Et quelque part, elle non plus. Elle nous dit leur complémentarité, qu’elle est plus contemplative peut-être, plus éparpillée parfois, et qu’il est un ancrage. Elle nous dit que le yin sans le yang, ça n’existe pas, qu’on est tous à la recherche de cet équilibre.

Malgré tout, Night songs coulait dans ses veines depuis trop longtemps. Si elle y a consacré, concrètement, les 4 dernières années, sa genèse remonte bien plus loin. Car Yael ne savait pas qu’elle allait rencontrer David Donatien. Elle a débuté sa route de musicienne toute seule, pensait que son chemin serait celui-là, et puis, comme souvent, la vie l’a contredite. Mais elle n’a jamais oublié cet instinct, cette pulsion, ce besoin de n’être qu’elle, sans personne qui polisse, qui arrange, qui remette d’équerre. Dans un petit coin de sa tête, ça vivait, ça attendait son heure. Elle a fini par céder. Mais pas complètement, pas tout de suite. Juste un side project, disait-elle. Si ça se trouve, je ne le ferai même pas écouter, a-t-elle envisagé. Ce fut impossible, c’était plus fort, plus grand qu’elle, fallait que ça sorte.

Night songs porte bien son nom. Ces chansons ne pouvaient naître que la nuit, tant elles sont intimes, profondes, tant elles appellent autour d’elles silence et introspection. Plus tard, Yael a demandé à une chorale de la rejoindre. Huit voix pour s’harmoniser avec la sienne et apporter ce petit quelque chose qui touche au sacré, cette résonance, cette spiritualité qu’elle chérit. Bien au-delà du religieux, Yael croit à ce qui ne se voit pas, ne s’entend pas mais se manifeste, limpide, incontournable. Elle nous raconte le lâcher-prise, l’abandon, des chansons sans filet, toutes nues, toutes crues, sincères, brutes, presque plus acceptées que choisies. Mais n’allez pas croire qu’il est sombre, ce disque.

Pas une fois, on n’a eu cette impression. On y a entendu de la lumière. Ça ne se dit pas, tant pis. Yael serait plutôt d’accord avec nous d’ailleurs. Évidemment, elle sait que chaque réaction sera différente, selon la personne, selon le moment, l’endroit, l’humeur. Elle nous raconte que ses deux filles en sont un bel exemple : quand l’une réclame des chansons tristes, l’autre ne les supporte pas et coupe le son, tout de suite. Elle, elle a mis son âme dans ces textes, dans ces musiques, et si elle n’a pas particulièrement voulu provoquer la mélancolie, elle sait que peut-être, ce sera le cas.

Elle le dit sans amertume, ces douze bébés qu’elle a portés si longtemps, aujourd’hui ne lui appartiennent plus. L’interprétation, le ressenti, l’impalpable sont aux manettes maintenant. Nous, on ne perçoit pas de noirceur dans ce disque, pas de pessimisme, au contraire. On écoute, attentifs aux textes et à la voix cristalline qui leur donne corps, et on entend plus de douceur qu’autre chose. De « Daddy » à « Back », de « The sun » à « A bit of » (qui clôture l’album), Yael invite à la bienveillance, envers soi-même, avant tout, plus que jamais. A ne pas nous juger trop sévèrement, à croire en nous, qu’on peut encaisser, qu’on peut se relever. A s’arrêter sur le beau, sur ce qu’on a plutôt que ce que l’on n’a pas, sur ce que l’on a eu la chance d’apprendre, de comprendre, sur toutes les petites aventures qui nous attendent.

Dans ce disque où la maternité côtoie le deuil, où les ruptures et les déceptions cheminent doucement vers l’acceptation, elle se raconte comme on chuchoterait des secrets. Quand on lui fait remarquer que ses histoires, son histoire, aussi personnelles qu’elles soient, sont aussi les nôtres et que ses mots résonnent loin, profond, elle hésite puis reconnaît avoir eu elle aussi cette impression, souvent, que d’autres disaient les mots qu’elle n’avait pas, ou pas encore. Ça lui semble un peu plus compliqué de se dire qu’aujourd’hui c’est elle la voix.

Ce qu’elle admet en revanche très volontiers, et revendique même, c’est la parole résolument féministe qu’elle porte, en particulier avec ce projet qu’elle a menée seule, de A à Z, se frottant au passage aux aspects plus techniques habituellement considérés comme masculins. D’autres chanteuses nous ont déjà dit, ces dernières années, leur étonnement et leur agacement qu’on leur propose de les aider à accorder leur guitare, qu’on tienne absolument à leur expliquer le fonctionnement des lumières. Yael nous raconte pour sa part, simple exemple parmi d’autres, la surprise de certains interlocuteurs la voyant utiliser (et maîtriser) ProTools.

Elle a conscience d’avoir grandi dans un monde où, d’emblée, on se méfie des femmes, où celles qui veulent réussir ne sont pas saluées pour leur ambition mais sont des mauvaises mères, des carriéristes. Elle admire celles qui ont tenu bon, celles qui ont souvent payé le prix de cette intégrité, elle cite avec tendresse Joni Mitchell, Frida Kahlo. Mais encore une fois, elle insuffle de l’espoir dans notre discussion. Ce tableau sombre, elle compte sur la plus jeune génération pour l’éclairer. Elle constate avec satisfaction un refus de se contenter de l’ordre établi, une volonté de changer la donne. Et lorsqu’on discute de façon informelle, quelques minutes plus tard, de notre sortie de confinement, de ce qu’on va en faire, de cette expérience inédite, elle avoue qu’elle espère aussi un changement. Elle le craint violent, pense que c’est inévitable, mais qu’à l’arrivée, ça pourrait aller mieux.

De renaissance, de recommencement, il aura été question, comme un fil rouge, comme dans Night songs, pendant ces 45 minutes avec Yael Naim qui désormais ne vivent plus que dans un recoin de notre mémoire. De continuer à avancer et à apprendre, dans nos appartements et nos maisons au ralenti, dont on finira par sortir, plus riches et débutant·e·s à la fois.

Ces circonstances, cette étrangeté, ces loupés, c’est peut-être juste la vie qui nous rappelle qu’on ne l’a jamais aussi peu maîtrisée.

On aurait aimé vous dire les mots de Yael, bien sûr. Ce sera pour une autre fois. Il vous reste ceux de ses chansons, ceux de ses nuits, pour vous tenir compagnie dans vos réflexions à vous, vos questionnements, vos errances, qui sait. Comme une veilleuse.

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Photos : DR

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