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Voyage dans le monde d’après à Villette Sonique

Le festival parisien était le premier à se tenir, les 29 et 30 mai, dans les conditions imposées par le gouvernement. Aperçu depuis un cercle tracé à la peinture blanche sur la pelouse du parc de la Villette.

Nathan se souvient très bien du dernier concert qu’il a donné avec son groupe. « C’était à Orléans, pour le festival Hop Pop Hop », assure le chanteur australien du Villejuif Underground. C’était en septembre dernier. Soit il y a 253 jours exactement, au moment où nous parlons sous les arbres du parc de la Villette.

Ensuite, le trou noir et une dépression carabinée pour une horde de jeunes (et de moins jeunes) gens habitués à taper du pied toutes les semaines. Une vie festive maintenue sous perfusion par le vague espoir d’un retour à la normale, dont les contours commencent à peine à se dessiner. Ils ont été esquissés, petit à petit et d’un trait fragile, par un gouvernement trop longtemps impuissant. Pour rappel, voici donc les règles du jeu : jusqu’au 1er juillet, les spectateurs doivent être assis et une jauge est fixée à 35 % de la capacité maximum d’accueil avec un plafond à 1 000 festivaliers (la jauge passe à 65 % et le plafond à 5 000 au 9 juin) ; à partir du 1er juillet, les spectateurs pourront se tenir debout avec une jauge de 4 m2 par festivalier et un plafond fixé par le préfet… Beaucoup, bien sûr, ont jeté l’éponge. A quoi bon ?

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Villette Sonique 2021 © Édouard Richard

En tête de liste

A la Villette, les organisateurs ont choisi d’enfiler leurs bleus de travail et de retrousser leurs manches pour bricoler, dans l’urgence, un festival sur mesure. Le premier du monde d’après. « C’est le hasard du calendrier, explique Frédéric Mazelly, le directeur de la programmation de la Villette, à l’écart d’une scène située sous le périphérique. Il se trouve que le festival a toujours lieu à cette période, fin mai, donc on s’est retrouvés en tête de liste. »

Après une première annulation l’année dernière, les organisateurs ne voulaient surtout pas manquer l’opportunité de retrouver les joies du live. Et avec une programmation aussi dense qu’à la Villette, impossible de reporter. « On s’est donc dit qu’on le maintenait, avec le souci de faire au mieux pour que les gens soient en sécurité et pour que les artistes puissent jouer dans de bonnes conditions. » La plupart n’ont pas donné de concert depuis sept mois, d’autres depuis bien plus longtemps encore. Aucun n’a hésité. La programmation (éclectique et 100 % française avec des artistes comme François & The Atlas Mountains, Nova Materia, ou Le Villejuif Underground) était bouclée en quinze jours à peine.

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Villette Sonique 2021 © Édouard Richard

« Ensuite il fallait voir dans quel cadre on pouvait le faire », raconte le programmateur. La question n’a été résolue qu’une dizaine de jours avant le début du festival. Avec une jauge très limitée, il a fallu faire preuve d’ingéniosité : les concerts sont organisés par sessions de deux artistes, chaque spectateur ne pouvant réserver qu’une séance (« un peu comme au cinéma ») pour assurer une rotation. On a choisi la dernière session du week-end. Celle du rock, le dimanche après-midi, avec Maxwell Farrington et Le SuperHomard ainsi que Le Villejuif Underground.

« Avec ce système, on arrive quand même à avoir un petit peu de monde sur l’intégralité du festival », souligne Frédéric Mazelly. 2 400 personnes sur l’ensemble du week-end, selon le programmateur, contre 20 000 habituellement. 2 400 privilégiés qui se sont arrachés les billets (gratuits) en moins d’une heure pour retrouver, avant tous les autres, les petits plaisirs du festivalier. Toutes ces micro-réjouissances, tellement banales, tellement anodines, auxquelles on n’avait jamais vraiment accordé d’importance, mais dont on mesure aujourd’hui combien elles nous avaient manqué.

Citons pêle-mêle : déambuler d’une scène à l’autre (réservé à une poignée de chanceux munis d’un badge d’accès) ; s’allonger face à une scène bordée de caissons, dans la terre découverte à force d’être piétinée, avec une bière tiède à la main ; pisser dans un bac en aluminium protégé par de larges bâches noires… Et écouter de la musique en live. Évidemment.

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Maxwell Farrington et Le SuperHomard à Villette Sonique 2021 © Édouard Richard
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Maxwell Farrington et Le SuperHomard à Villette Sonique 2021 © Édouard Richard

“Un peu comme dans un film de science-fiction”

16h30. Le rock s’apprête à revivre sur la seconde scène de Villette Sonique. Ressuscité par Maxwell Farrington et Le SuperHomard puis par Le Villejuif Underground, à qui les organisateurs ont confié la tâche de clôturer le festival. Après neuf mois sans jouer, le groupe n’a pu commencer à répéter qu’une semaine avant le concert – la première fois, « c’était la catastrophe totale » admet Paul, le batteur, juste avant le concert. Avaient-ils hâte de remonter sur scène (la question est rhétorique) ? « Carrément, affirme celui est aussi membre du groupe Bryan’s Magic Tears. Mais c’est un peu frustrant, quoi… Après ça, à dix-neuf heures trente c’est fini. Et ensuite on attend trois mois pour rejouer… »

On sent poindre le même sentiment chez Elise, une spectatrice : « C’est hyper cool et ça fait du bien de retrouver de la musique en live, mais l’ambiance est très particulière, un peu comme dans un film de science fiction où on nous aurait privé d’une partie de liberté. » Et : « J’ai de la peine pour les artistes, ils ont besoin d’une énergie qu’on ne peut pas leur donner », renchérit George, un américain fraîchement débarqué à Paris.

Qu’on ne s’y trompe pas : personne ici ne boude son plaisir. Tous, d’ailleurs, ont bien volontiers sacrifié leur (fête des) mère(s) pour être là. Même s’il y a un poil de frustration. Même si, pour commander une bière, il faut 1) s’asseoir à une table 2) attendre que l’on vienne nous voir 3) commander 4) recevoir sa bière et payer 5) retourner s’asseoir dans l’herbe pour assister au concert qui va débuter.

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Villejuif Underground à Villette Sonique 2021 © Édouard Richard
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Villejuif Underground à Villette Sonique 2021 © Édouard Richard

Parterre de culs-de-jatte

« Partageons ensemble, en toute sécurité, les sensations irremplaçables des concerts live », propose une voix dans les hauts-parleurs. En toute sécurité, c’est-à-dire dans des cercles blancs de deux ou trois mètres de diamètre (à vue de nez), prévus pour accueillir six personnes au maximum, et à l’intérieur desquels on est priés de rester sagement assis. Bienvenue dans le monde d’après, où il n’est permis de danser qu’avec la moitié supérieure de son corps.

C’est donc face à ce parterre de culs-de-jatte que se présentent Maxwell Farrington et Le SuperHomard (Christophe Vaillant). Le chanteur australien – qui officie également dans la formation rock briochine Dewaere – prend place sur un tabouret en bois qu’il abandonnera bien vite. Il lance de grands mouvements de bras, repris par quelques-uns dans le public, trop heureux de rompre un immobilisme forcé.

Le duo est venu présenter Once, son album sorti en avril, et unanimement salué par la critique. Un disque de pop racée et orchestrale, façon Burt Bacharach, chantée par un Sinatra australo-breton à moustaches. La musique du groupe se prête bien aux circonstances. Frédéric Mazelly, le programmateur, avait prévenu : ce serait une « autre expérience. Une expérience d’écoute : on regarde les artistes, on regarde le ciel, on regarde les arbres. » Certains avaient prévu le coup et ont pris le soin de glisser, sous leurs postérieurs ravis, une serviette de plage ou un petit coussin.

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Villette Sonique 2021 © Édouard Richard
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Villette Sonique 2021 © Édouard Richard

La vie moderne

C’est au tour du Villejuif Underground de reprendre la scène. Dès le début du concert, Nathan, le chanteur, lance de grands coups de pied dans le vide. Il secoue son micro frénétiquement et finit par descendre de scène pour se rouler dans l’herbe en hurlant. Le public, plus habitué à un tel spectacle, apprécie. Certains, vite rappelés à l’ordre par le service de sécurité, se laissent aller à quelques débordements (de cercle).

« I’m always around, assis dans un circle. Parce que ça c’est la vie moderne. Et vous êtes dans la vie moderne. Heureusement avec… le Villejuif Underground ! », improvise le chanteur tout essoufflé. Il confesse un peu plus tard : « ça fait longtemps… J’étais presque à la retraite (il vit désormais en Ardèche). J’avais oublié le rock’n’roll. » Nous aussi. Ça fait du bien.

Villette Sonique 2021 © Édouard Richard

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