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Tigersushi, l’hommage à la musique ambiante française

I:Cube, Principles of Goemetry, Apollo Noir, Romain Turzi, voici quatre des dix-huit noms de la compilation 100% frenchie du label Tigersushi. Adepte des expériences extra-sensorielles et fournisseur de combustible pour oreilles détraquées, Tigersushi a sorti le 1er décembre cet ambitieux projet : une compilation de 18 titres exclusifs de musique ambiante. Joakim, le patron du label lui-même, a également apporté sa pierre à l’édifice. Pour vous rappeler que non, la musique ambiante, c’est pas que de la musique d’ascenseur.

Dans cette sphère les saint-patrons se nomment La Monte Young, Pierre Schaeffer, Brian Eno et Aphex Twin. Leurs armes ? Des synthétiseurs modulaires et analogiques types Buchla, du Roland SH101, des générateurs d’ondes sinusoïdales… Mais le monde réel est aussi un complexe sonore qu’ils savent utiliser grâce à leurs micros et filtres en tous genre. Scientifiques-artistes, expérimentateurs zinzins, avant-gardistes ou simples laborantins de l’acoustique, on les a affublés de tous les noms. Et bien sûr dans ce domaine, la France est sur le podium. Nos précurseurs locaux ont inventé la « musique d’ameublement » (Erik Satie) et la musique concrète (Schaeffer), premiers vestiges sur laquelle s’est bâtie le genre.

L’ambiante entretient une étrange relation au réel. Le grincement métallique d’une grue, le vrombissement des vagues, l’orage qui gronde dans la vallée ou l’écho d’une salle mortuaire, autant de matériaux « plus vrais que nature » que l’on retrouve dans cette compilation. Une musique qui a l’allure de la tortue et l’envergure d’un condor. Hypnotique et redondante, riche de matériaux et pauvre en développement, elle est le prisme déformant qui transforme notre manière d’écouter le monde.

« Le chant des Dunes », pièce contemplative d’une élégance délicate, ouvre la danse. Les deux geeks accrocs au bidouillage, Jonathan Fitoussi et Clemens Hourriere, ont eu accès au laboratoire sonore du GRM (Groupe de Recherche Musical créé par Schaeffer). Autrement dit, le graal. C’est en triturant un système modulaire Serge rare (oui oui la machine s’appelle Serge) qu’ils ont réussi à en extraire cette mélopée où des grains de sable électroniques s’écoulent dans nos oreilles. Par la suite, les pistes s’enchaînent et le curseur défile sur le continuum des atmosphères. Du salon de massage exotique de Romain Turzi à la stridence rêche de Joakim, impossible de tout ratifier mais difficile de ne pas sentir systématiquement happé, fasciné par ces sons inouïs. Plus loin, quelques notes de piano et un tumulte apaisant de bruits blancs. La « Gypsothèque » de I:Cube offre un moment de flottement d’un charme nostalgique exquis. Le piano a été enregistré à la Villa Médicis où l’artiste (Nicolas Chaix) était en résidence. Un écrin de douceur sous forme de révolution copernicienne. La terre tourne alors que je flotte au dessus, sans inquiétude.

Mais cette compilation ne serait peut-être jamais venue au monde si, un matin, Apollo Noir n’avait pas proposé à son label de sortir un maxi avec dessus « Heart » de Glass et sa propre musique « Inspiring Images & Visual Power. Chosen With Love & Dedication ». Finalement de cette idée en est sortie une compilation en deux albums dont Glass et Apollo Noir ouvrent le second volet. Apollo Noir est la dernière signature du label. À l’image de son premier LP A/N, son empreinte est aussi rugueuse que vrillée. Influencée autant par le rock et le punk de Sonic Youth et de Black Sabbath que par le synthé à laser de Jean-Michel Jarre. Une musique torturée faite de glitch et de noise, de tempête et d’accalmie. Note informative à teneur médicale : titre déconseillé aux épileptiques.

Le talentueux duo de Lille, Principles of Goemetry héritent de la suite et allège nos tourments avec la même splendeur miroitante qu’un Boards of Canada. Les profils artistiques présents sont d’une diversité foisonnante. Le « Wunder der Schöpfung (Teil 5) » d’Egyptology (Oliver Lamm et Stephane Laporte) résonne avec l’ampleur de la BO d’Orange Mécanique de Wendy Carlos (ex-Walter Carlos) mais dont le scénario serait plus heureux. Les sons utilisés sont finement sélectionnés et filtrés, les motifs aigus se répondent au sein de descentes vertigineuses de sons légèrement distordus. À la moitié, l’atmosphère rayonne avec des sons à spectre large apportant une profondeur délicieuse. Parfois inquiétant parfois envahissant, on s’évade ici jusqu’à perdre la notion du temps.

Pour terminer le voyage, descente au pays d’Hadès avec une track inspirée par la découverte d’un sanatorium retiré dans une Suisse rurale et inaccessible. Dagerlöff y superpose les nappes et fuit les cadres pour sortir de l’atmosphère et affronter les révolutions cosmiques. Ce fils d’ambassadeur né à Tokyo et ancien étudiant du Berklee College a déclaré (avec sa joie de vivre si communicative) : « Parce que ce qui se passe entre la naissance et la mort n’est pas très intéressant, j’ai décidé de me concentrer sur ces 3 premières minutes et 3 dernières années de vie ». Le résultat se nomme « From the Womb to the Tomb ». Annonce peut-être funeste, mais en l’écoutant on ne sait plus si notre oreille est celle d’un embryon dont le placenta filtre les sons du monde ou si, mourant, l’on entend simplement l’écho infini du couloir de la vacuité et du bip de la machine qui nous maintient en vie.

De deux à douze minutes, le temps se suspend quand on écoute de l’ambiante. La pièce résonne avec la musique. Lorsque la pluie tape au carreau et que le voisin fait grincer sa porte en rentrant, on ne sait plus trop ce qui appartient à l’artiste ou au monde environnant. Cette compilation présente un double intérêt : celui de faire parcourir le petit état mal connu de la musique ambiante française, qui entre nous possède une diversité paysagère époustouflante ; et d’autre part grâce à la multitude de rencontres sonores étranges qu’elle propose, d’emmener l’auditeur dans une confusion poétique où l’environnement devient parfois lui-même musicien.

La compilation en intégralité ici

Un deuxième volume est déjà en préparation.

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