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Rone, manifeste pour l’humain

Depuis quelques années, le producteur aux lunettes rondes est devenu l’une des figures de la musique électronique française. Plus discret qu’un Dj Snake, moins masqué qu’un Daft Punk, Rone trace son sillage multipliant projets et collaborations. De retour sur le devant de la scène ce 24 avril avec un nouvel album, il a bâti “Room with a view” autour d’un concept et d’une vision d’une crise humaine. Quand la dystopie se mêle à la lumière.

Chambre avec vue

Évocateur, le nom d’un album donne des indications plus ou moins subtiles sur la direction que prendra le long format. Lorsque Erwan Castex a dévoilé le titre de son nouvel album, Room with a view, on aurait pu s’imaginer en premier lieu un lien avec une photo qu’il avait postée sur les réseaux sociaux pendant la confection de Mirapolis, son précédent album. Il s’agissait d’une photo prise depuis une chambre d’hôtel avec sur le bureau de quoi composer et à travers la vitre l’embarcadère de Roscoff, dans le Finistère.

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Peut-être qu’il y fait référence effectivement. Ou bien est-ce un clin d’œil à son nouveau studio qui dispose d’une fenêtre, alors que son ancien était dans un sous-sol emmuré. Sur le papier, une pièce baignée de lumière naturelle semble adéquate pour composer les envolées électroniques qui le caractérisent.

Il faut parcourir l’album et parvenir aux dernières secondes de « Solastalgia », morceau de clôture, pour se demander si finalement la vision qu’évoque ce titre n’est pas plus complexe, plus métaphorique et surtout si ce titre d’album n’est pas parfaitement trouvé pour mettre des mots sur l’heure de son qui vient de passer.

Human after all

Room with a view est ancré dans le réel. D’une part dans sa conception, puisqu’une partie est aussi performée sur scène sous la forme d’un ballet chorégraphié par (La)Horde dans lequel Rone est accompagné des danseurs du Ballet National de Marseille. D’une autre part sur le regard que pose Rone sur notre monde en crise à travers ces treize morceaux.

Ce regard soulève la responsabilité qui incombe à l’humain dans les ébranlements climatiques et sociaux actuels et dans le mur sur lequel nous fonçons à pleine allure. L’humain y est dépeint dans sa dualité : ce qu’il a de plus crade mais aussi ce qu’il a de plus beau, sans jamais être moralisateur. De sa discographie, c’est certainement sa pièce la plus engagée, la plus mature.

Le premier single paru « Human » est sans aucun doute celui qui est le plus représentatif de ce sentiment qui ponctue l’album. Lent et mélancolique, ce morceau laisse, après une pause silencieuse en plein milieu, retentir les voix chaleureuses d’une chorale. Ce vent d’optimisme insufflé par le chœur chantant à l’unissons inverse toute la mélancolie de la première partie.

Morceaux choisis

Retour aux sources. Comme sur son premier album Spanish Breakfast, son Room with a view ne dispose de presque aucune collaboration. On retrouve pourtant des voix, comme mentionné plus haut à propos de « Human » ou encore des extraits d’interview de son ami Alain Damasio et du militant écologiste Aurélien Barrau qui sont parsemés dans un plaidoyer puissant pour la décroissance intitulé « Nouveau monde ». On peut également entendre des instants qui semblent volés. Comme la voix enfantine en ouverture de « Solastalgia » ou encore des fragments de discussions polyglottes des danseurs du ballet en diverses langues sur « Babel ».

La voix y est exploitée de différentes façons, et ce n’est pas anodin. Lors de collaborations classiques où l’invité peut écrire ses paroles et les poser comme ce fut le cas avec les textes rageurs de Saul Williams sur Mirapolis, ici c’est Rone qui a sélectionné et exploité des échantillons d’interviews et d’enregistrements sauvages pour appuyer sa vision et son message. L’humain est ainsi un outil d’expression, de liaison, d’orientation, de compréhension afin de servir à présenter ses différents aspects : engagé, insouciant, international ou bien en phase d’apprentissage.

Less is more

Contrastant avec le psychédélique Mirapolis, ce long format est sans doute l’album le plus organique de Rone. Foisonnant de détails, il n’en reste pas moins très aérien et épuré, amorçant un virage beaucoup plus ambient pour l’artiste, jusque-là réservé à quelques faces B. On y retrouve une patte qui s’affine toujours plus et des réminiscences de mélodies ou de tonalités qui faisaient le charme de certaines de ses anciennes productions. Ne cherchez donc pas le kick, toute la beauté et l’émotion de Room with a view se trouve dans ses subtilités.

Un disque d’apparence doux et apaisé. Mais derrière le voile se cache une pesanteur, l’urgence. Cette urgence qui résonne, cette pression, n’est pas s’en rappeler celle de notre société. Une urgence qui va ainsi à contre-courant de la construction des morceaux dont les structures prennent le temps de se dérouler, de se dévoiler. Il renforce ainsi le sentiment de dualité qui parcourt l’album, en filigrane.

Rone et les humains

Entouré de visions hallucinées, devant une tour irrégulière, sous forme de planète ou encore au milieu d’une ville futuriste… depuis son premier album, Rone est toujours apparu sur ses pochettes. Elles avaient d’ailleurs un autre trait commun : un graphisme fort et illustré. À chaque fois Erwan Castex faisait appel à différents artistes pour mettre en image l’ambiance de sa musique et se faire croquer : Vladimir Mavounia-Kouka, Michel Gondry ou encore Lili Wood, sa compagne. Cette fois, Room with a view est illustrée d’une photographie signée Boris Camaca dans laquelle on retrouve le producteur. Ce choix d’une photo, plutôt que d’une illustration, rappelle encore une fois à notre monde, à la réalité.

Mis en scène au milieu d’un décor brut rappelant celui de la carrière de marbre utilisée dans le spectacle, Rone est entouré des danseurs·ses du Ballet National de Marseille tous·tes vêtu·e·s dans divers styles et de diverses couleurs. L’ascension du bloc massif semble être le but pour la majorité des personnages, quitte à mettre en danger celles et ceux parvenant à se hisser au sommet. Pour une minorité des personnages, l’essentiel est de vaquer à d’autres occupations comme si rien d’autre n’avait d’importance. Forte de sens, cette scène est une parfaite représentation du propos de l’album, sublimée par le charisme des protagonistes.

Au delà du sens, cette pochette soude un peu plus la relation entre la musique de l’album et le ballet ainsi que la relation entre Rone et les différents acteurs de ce spectacle, que ce soit (La)Horde ou le Ballet National de Marseille.

Manifeste pour l’humain

La démarche de Rone d’aborder tous ces différents aspects fait de Room with a view un album politique et sociétal. Il fait écho aux grandes thématiques qui sont de plus en plus présentes dans le débat public et que l’humanité va devoir affronter : l’urgence climatique et l’urgence sociale, les deux étant intimement liées. Inévitable ou non, l’humain est responsable de ces catastrophes annoncées mais il en est aussi la clé.

D’une magnifique justesse, jamais l’album ne tombe dans le pathos. Alors qu’il aurait été simple de traiter une thématique aussi forte en embrassant des ambiances anxiogènes, Rone choisit la voie qui lui correspond le mieux en concevant une œuvre solaire. La part sombre du sujet trouve sa place dans un subtil contraste clair-obscur travaillé avec minutie, offrant la vision d’un effondrement aux lendemains lumineux. À l’image du sourire radieux de Rone lorsque, derrière ses lunettes rondes, il assénait le redoutable « Origin » à une foule en transe lors de ses précédentes prestations.

Room with a view est sorti le 24 avril 2020 chez inFiné

Crédits photo en une : Rone, par Raphaël Lugassy

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