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Quand Nantes dit oui à la funk

Il fut un temps où le samedi soir à Nantes n’était pas synonyme de résidus de lacrymos, de vidéos de flics se torchant le cul quelques heures plus tôt avec la Loi et de brigade de contrôle nocturne de la ville aka la brigade du Son qui elle, la fait appliquer avec le forcing d’un frotteur dans le métro. Au milieu des années quatre-vingt-dix, alors que les plus motivés de notre génération de trentenaires étaient en train de gratter des branlettes sur M6, d’autres beaucoup moins nombreux et plus âgés, étaient au même moment en train de digger des vinyles, d’organiser des soirées et de sortir le dj booth des discothèques. Taulier des nuits nantaises depuis plus de vingt ans avec la Funky Saturday, résident de la Days et digger respecté, Pharoah (45 ans) fait partie de ceux qui ont coulé la dalle et profité de la fermeture des bars à quatre heures du matin.

Le rock en perte de vitesse, la ville voit apparaître une nouvelle génération d’artistes, DJ, musiciens, producteurs, activistes… avides de réchauffer une Nuit qui cherche ses mots. Des lieux aussi d’ailleurs ! Car avec la techno et la house qui rendent les loueurs de salles de la région de plus en plus réticents, les DJ/organisateurs de soirées reggae, hip-hop, soul, funk… peinent à trouver des espaces pour partager et diffuser des disques glaner dans la poussière des vide-greniers. On en est là. Ça grave des CD-RW en masse et plus à rien à foutre des vinyles. Paris, La Trocante, Londres, la Fnac, l’appartement d’Abubakar (futur partner in crime de Pharoah chez Oneness Records) et quelques shops indépendants comme Black&Noir font partie des rares points d’accès à cet objet.

Côté institutions, peu de ponts sont créés par et avec le Centre de Recherche pour le Développement Culturel et la salle de l’Olympic qui, comme souvent avec les grosses machines, sont plus enclin à surfer sur les tendances qu’à mettre en avant ce qui se passe en bas de chez elles. C’est donc dans ce contexte microcosmique que les différentes scènes nantaises en ébullition font leurs petites affaires, se croisent, interagissent parfois, et tentent de s’approprier le peu de spots ouverts à la culture DJ. En dehors des musiques électroniques, en avance sur la vision du DJ en tant qu’acteur et prescripteur à part entière de la fête, il est souvent peu considéré et symbole d’une musique commerciale sur fond de voix de fête foraine.

La première soirée de Sylvain Hazo, ne se termine pourtant pas comme prévue. On est en 1991, il a alors dix-huit ans et va très vite apprendre l’importance du ending track. « C’était dans une MJC à Saint-Sébastien (NDLR : à côté de Nantes). J’avais ramené mes potes et il y avait aussi des gars de la cité de la Fontaine juste à côté qui étaient venus. La soirée ne s’est pas trop mal passée mais j’ai mal fini le set. Je m’en rappellerais toujours ! J’ai fini avec « Note mon Nom sur ta Liste » d’Assassin, c’était un peu ruff. A l’époque, j’étais un peu énervé. C’est devenu électrique et c’est parti en fight ! J’ai un pote qui a sorti une 22 long rifle, tiré à balles réelles heureusement sans faire de blessé et a fait un an de taule pour ça. Ça m’a appris le métier. J’ai compris que DJ c’est prendre les gens, les emmener et les relâcher sur ce que tu veux leur faire ressentir. » Pendant quelques années, Pharoah frappe aux portes, joue dans des endroits parfois bien sombres à cent balles le cachet et étend sa zone de confort avec ce besoin compulsif de trouver de la pépite et de la partager.

Olivier Misura (52 ans) aka Bozee, délégué commercial chez la maison de disques PIAS , DJ et disquaire nantais à la fin des années 90 chez Black&Noir, l’a vu arriver et se souvient d’un type « dingo » de disques de funk, soul, boogie… «Tout le monde était au CD. C’était le seul mec que je connaissais, aussi jeune, qui diggait du vinyle. Il avait tous les outils. Rapidement, il était tout seul à avoir beaucoup de disques et surtout à en connaître leur valeur. Il était expert là-dessus. Maintenant tout le monde fait ça. Ils ont l’impression d’inventer un truc mais à mon avis c’est super rincé. A l’époque, Pharoah avait de l’avance. »

De l’avance, Célia Lannes, la patronne de la péniche café-concert La Route Du Rhum de 1989 à 2000, décédée en 2010, en avait surement aussi un peu avec la préfecture, la mairie et surtout le commissariat Waldeck-Rousseau situé à quelques centaines de mètres de son établissement, de l’autre côté du pont de la Motte-Rouge. Aujourd’hui transformé en cabinet d’architectes, c’est le lieux mythique et incontournable des nuits nantaises de la fin des années 80 jusqu’au début des années 2000. C’est ici qu’en 1998, après avoir participé aux soirées reggae d’Abubakar, avec qui il monte la même année Oneness Records, et organisé ses propres fêtes (les Party People, émission de radio sur Jet FM qu’il a transposée en soirée) que Pharoah lance avec Bozee la Funky Saturday. Le projet : une soirée le dernier samedi de chaque mois avec un invité et un prix d’entrée accessible (30 francs).

« Si tu fais une soirée house, au bout d’un moment t’es cramé, les gens se lassent. » Bozee

Toujours associé de Pharoah au sein du plus vieux shop de disques nantais mais désormais seul pilote au quotidien depuis 2012, Abu se rappelle qu’à l’époque « les histoires de sécurité n’étaient pas autant prises au sérieux qu’aujourd’hui. Avec 300 à 400 personnes entre l’intérieur et l’extérieur de la barge, on était largement au-dessus de la jauge qui devait être d’une centaine. C’était en bois, ça bougeait quand c’était plein. C’était tout en longueur et nous on était à l’avant du bateau. Il y avait un petit espace où les gens pouvaient danser. On pouvait aussi aller sur le pont. Et à l’époque on pouvait fumer à l’intérieur. Quand tu rentrais, il fallait changer de vêtements. Ça puait ! » D’après Bozee – à qui on doit le nom d’inspiration UK de la soirée – et qui garde « un souvenir magique de cette période, il y a eu des soirées où c’était n’importe quoi ! Quand il faisait chaud, il faisait très très chaud dedans. T’étais en sueur. Il n’y avait pas de climatisation. C’était une ambiance de vieille discothèque mais ça donnait un petit cachet. Ça faisait très club en fait, avec des petites lumières rouges, vertes… C’était un peu voûté avec de la moquette au sol. Artistiquement, on mettait ce qu’on voulait. On jouait funk mais pas que. On mettait des breakbeats, du hip-hop, du jazz un peu dansant… C’était ce son là. Par contre, autour c’était la jungle. Il y avait des rats partout ! »

« A chaque changement de track les gens hurlaient. C’était Sheitan, les flics ne disaient rien, pourtant c’était en bas de Waldeck » se souvient Pharoah. Au bout d’un an, pour cause de paternité et qu’à un moment, il faut bien se calmer, Bozee laisse son binôme seul aux commandes de cette fête qui fait aujourd’hui partie du patrimoine nantais. Au bout de quatre ans et après le rachat de la Route du Rhum par une équipe moins « douée » en gestion, la Funky Saturday change de spot. Pharoah écume de nombreux bars avant de se poser au Rond-Point. « Ça fait dix ans que je suis là-bas maintenant 

Mais comment expliquer une telle longévité ? Car rares sont ceux qui en France, voire à l’étranger, peuvent mettre leurs couilles en pendentif et dire que leur soirée existe depuis vingt piges. « C’est important d’occuper le terrain, de proposer de la récurrence et quoi qu’il arrive tu sais que même si t’as pas le flyer, t’as pas l’info, tu sais quand ça tombe. C’est ça qui fait la force du concept » souligne-t-il. Pour Bozee, « si tu fais une soirée house, au bout d’un moment t’es cramé, les gens se lassent. Là, le truc, c’est que tu utilises les codes d’une soirée un peu branchée mais sur un genre musical qui est intemporel. Même à l’époque où on la faisait, il n’y avait pas forcément de funk… ce n’était pas dans l’air du temps. La house samplait du funk mais terminé. Ça reste des musiques qui ne bougent pas. Elles ne sont pas forcément à la mode mais restent dans le patrimoine de la musique. Elles sont historiquement valables. »

« Quand Pharoah jouait, Patrick Forge était derrière sur Discogs à acheter les disques qu’il était en train de passer », Atemi

Toutefois, la carrière de Pharoah ne se limite pas à la Funky Saturday, à la Days et au respect des puristes du gouffre sur Discogs. « Sa collection de disques ?! Je n’ai même pas envie d’en parler » confie ATEMI, boss de Wood Records et résident de la Days. Pas loin de 8000 à ce qu’on a entendu. « C’est un truc de ouf ! On a la chance d’avoir ce mec-là à Nantes. Il y a des DJ qui jouent avec lui et qui se disent ‘mais qui est ce type ?!’ Je l’avais booké au Lieu Unique avec Patrick Forge qui est une pointure, qui a une collection de disques incroyables et une très bonne connaissance de la musique brésilienne. Quand Pharoah jouait, Patrick était derrière sur Discogs à acheter les disques qu’il était en train de passer ! » Autant ils sont très peu à avoir une si longue récurrence dans « l’agenda culturel » d’une ville, autant, pour reprendre les propos de Bozee, « l’histoire de Pharoah, c’est celle de beaucoup de DJ qui ont vraiment fait et inventé des trucs mais qui ne sont pas connus. C’est ça qui est fascinant. Pourquoi il ne l’est pas plus que ça ? Parce qu’il aime sincèrement la musique, veut la faire écouter et s’en fout de sa gueule. Il est en dessous de la musique. Il ne triche pas, ne se la raconte pas. C’est un artisan quelque part. »

Soul Train 2

Un artisan qui fait quand même 80 dates par an, en France (Wanderlust, Rotonde Stalingrad, Printemps de Bourges…) et à l’étranger (We Out Here Festival, Shiftless Shuffle, Montreux Jazz Festival…) depuis plusieurs années. « Il faut peut-être que je me calme, ça tire sur la ficelle un peu. » Quand on lui demande pourquoi il n’est pas sur la fusée des DJ qui rident la planète en long et en large, pour lui « ce n’est pas du tout le but de jouer à l’extérieur. Quand j’ai l’occasion, je le fais avec plaisir mais j’ai aussi une vie de famille, je suis un peu casanier. Le naming, tout ça, ce n’est pas trop mon délire. Le but c’est vraiment de développer quelque chose sur Nantes, sur la région, créer le groove dans le secteur et transmettre. »

C’est dans cette optique qu’aux côtés de la compagnie rennaise Engrenage(s), avec laquelle il évolue depuis 2010, il a développé deux spectacles dont Ecoute, une conférence dansée. Accompagné de deux danseurs, il raconte l’histoire des musiques et danses soul/funk depuis l’esclavage. Étape incontournable de cette histoire : le Soul Train. « La première émission américaine à la télévision avec des danseurs triés sur le volet avec ce moment spécifique où ils accompagnent les artistes. Après, on a développé I Feel Good, un cours de danse funk participatif qu’on a fait dans des prisons (prison pour femmes de Rennes), des hôpitaux psychiatriques, des festivals, des médiathèques, des mairies… on est tout terrain, tout public. Dans ce spectacle dansé participatif il y a avait un moment où on faisait le Soul Train et ça a cartonné. » Les demandes des grandes villes affluent pour avoir leur Soul Train géant. Berlin, Paris, Rennes et Nantes en mai dernier sur le pont Anne de Bretagne qui durant presque deux heures un samedi après-midi, a vu plusieurs centaines de personnes embraser ses cent-soixante mètres. « Quand j’ai commencé, j’étais loin de m’imaginer que la mairie m’appellerait pour faire un Soul Train. Et le pont on l’a bien rempli. C’était démentiel ! Je ne suis pas dans un concours de bite mais ça fait quand même tripper. Je suis fier, je peux mourir tranquille ! »

Avant de partir, jetez un œil sur ce Soul Train, capté par TéléNantes.

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