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Primavera. Rock the Playa

On souligne souvent d’un festival à quel point il est unique et se distingue des autres. C’est un peu plus vrai pour certains. Primavera en fait partie. Après deux années d’absence Covid, le plus gros des festivals indés faisait son grand retour. Tel un phénix, Primavera est revenu encore plus grand, encore plus fort, aussi bien dans ses qualités que ses défauts.

L’organisation avait décidé de fêter le retour à la vie normale en programmant pendant dix jours consécutifs. Deux week-ends de festivals entrecoupés de nombreux concerts dans les salles du centre de Barcelone. Pour terminer avec un énorme brunch électronique le dimanche (sur la plage et en ville).

De notre côté, nous nous sommes « contentés » de vivre l’expérience Primavera sur le dernier week-end. De quoi se prendre déjà un sacré shoot de festival. Car Primavera, c’est beaucoup de démesure : plus de 200 concerts par week-end (quasi 500 sur les dix jours), répartis sur 12 scènes et plus de 80 000 festivaliers par jour… soit plus que n’importe quel festival français. Le festival a annoncé près d’un demi-million de spectateurs cumulés sur l’ensemble des dix jours. Une performance d’autant plus hors normes que depuis quelques années, plus de la moitié des festivaliers ne sont pas Espagnols. Des Français, des Italiens, des Allemands… mais surtout des milliers d’Anglais. Sur certains concerts, on pouvait littéralement se penser à Londres ou Manchester.

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© Gaelle Beri

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© Dani Canto

Primavera dénote aussi des autres événements par son emplacement et sa densité de programmation. C’est clairement un festival de ville, coincé entre une zone d’affaire aux buildings modernes, des bâtiments industriels immenses, la plage et le port de plaisance avec ses yachts de milliardaires. Un festival accessible en métro ou tram, comme le sont Rock en Seine ou We love Green à Paris. Sauf qu’ici, les concerts durent jusqu’à 6h du matin (là où les festivals citadins français terminent vers 1h). Primavera se distingue aussi par le nombre de concerts : plus de 70 par jour, alors que les Charrues, Eurocks et autres Rock en Seine en comptent entre 15 et 20. Primavera, c’est un peu un Dour en plein centre de Barcelone, littéralement en bord de plage (il est possible de se baigner tout en profitant d’une des scènes electro). Forcément, ça laisse rêveur.

Sauf qu’avec 70 concerts répartis sur 12 scènes, le principal souci du festivalier reste de choisir. Le premier jour, il fallait notamment choisir entre Interpol, Slowdive et Big Thief. Le lendemain, se décider de voir The Strokes, Chet Faker, The Jesus Chain and the Mary Chain ou Priya Ragu. Et ce fut comme cela tout le week-end.

Pour ajouter au dilemme, certaines scènes sont très éloignées les unes des autres. Primavera est une mini-ville, avec trois quartiers accueillant chacun plusieurs scènes. Passer d’une zone à l’autre demande de très longues minutes ! Malgré l’étendue du site, on regrette certaines proximités de scènes qui se cannibalisent au niveau du son. Mention spéciale pour la Boiler Room qui aura ajouté de lourds kicks à des concerts assez calmes (notamment folk) sur une scène juste à côté. Des scènes qui, désormais, portent tous le nom d’une marque. Bienvenue dans le monde d’après.

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© Princess Kimberley Ross

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Tyler, the creator © Clara Orozco

En terme d’esthétique, Primavera porte historiquement un ADN rock (tendance indé). Une sorte de Route du Rock survitaminée. Sauf que depuis plusieurs années, le festival s’ouvre de plus en plus, avec des scènes electro dédiées ainsi que de plus en plus d’artistes hip-hop. Sur notre week-end, chaque soir s’est terminé sur la grande scène avec un final rap : le jeudi, Tyler, the Creator a offert l’un des spectacles les plus impressionnants du festival, suivi le lendemain par le show toujours aussi massif de Run The Jewels puis samedi du concert en mode empowerment féminin de Megan Thee Stallion.

Ce fut d’ailleurs l’un des beaux fils rouges de ce week-end barcelonais : des artistes féminines qui, chacune à leur manière, font bouger les lignes et les regards sur la place des femmes dans la musique, et plus globalement dans la société. De la classe énergique de M.I.A aux tenues clairement assumées comme sexy (voir sexuelles) de la nouvelle star de la pop espagnole Rigoberta Bandini en passant par le concert XXL de Dua Lipa. Des artistes féminines tout autant que féministes, avec une volonté de ne pas se laisser dicter leur façon d’être femmes. Mais aussi de nombreux signaux de soutiens à la communauté LGBT.

Le festival affiche depuis plusieurs années une parité dans sa programmation tout autant que son soutien aux luttes LGBTQ+, le slogan de cette année étant « Nobody is normal ». Ce fut d’ailleurs l’une des très agréables surprises de ce festival : une présence massive et très visible de cette communauté, avec notamment des hommes en jupe, en crop top, en résille ou avec des chaînes. Si cela n’a rien d’inédit dans le monde de la culture, c’est quelque chose d’assez unique dans un festival aussi important et ne s’adressant pas spécifiquement à la communauté LGBTQ+.

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© Christian Bertrand

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Phoenix © Christian Bertrand

On ne sait pas si c’est cette communauté qui a permis à Angèle de jouer devant plusieurs milliers de personnes mais ce fut assurément une surprise de voir autant de non-francophones assister au concert de la Bruxelloise. Y assister mais aussi chanter les paroles de la plupart de ses tubes. Deux jours plus tôt, Angèle avait créé la surprise en venant jouer son feat lors du concert de Dua Lipa. Ce moment révèle également une tendance de Primavera tout autant que du monde des musiques actuelles : ne plus prendre de haut certains artistes dits commerciaux. Assumer qu’il peut y avoir du génie, tout autant que de l’imposture, dans l’indie autant que dans le mainstream. Et surtout, constater que parmi ceux qui vénèrent The National ou Interpol, nombreux sont ceux qui adorent Dua Lipa ou Lorde !

La moyenne d’âge des festivaliers était pourtant assez haute, avec beaucoup de 30/40 ans, peu de très jeunes ou de famille. L’ambiance s’en est ressentie d’ailleurs puisqu’en dehors des tenues extravagantes l’ambiance est restée très calme. Pas de drapeaux ni de ballons Bob l’éponge. Pas de festivaliers qui se roulent dans la boue (ou même la boivent). Et même assez peu de viande saoule. Sur ce point, Primavera est clairement plus proche d’un Rock en Seine que d’un Dour.

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Megan Thee Stallion © Christian Bertrand

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© Sergio Albert

Nous avons jusqu’à présent très peu parlé d’artistique. C’est pourtant l’un des énormes points forts du festival : sa capacité à éviter les fautes de goût malgré une programmation gargantuesque. Évidemment, les concerts des têtes d’affiches étaient superbes. Gorillaz fut l’un des temps forts de ces dix jours. Presque tout le festival avait décidé d’assister au concert. En tout cas, tous les Anglais. Et que l’on aime ou pas Damon Albarn, personne ne peut lui retirer sa folle capacité à électriser les foules et son sens unique à créer quelque chose de cohérent avec un patchwork énorme musical et visuel. Le concert de Gorillaz pourrait à lui seul résumer l’ADN de Primavera : une essence rock dans un bouillon de pop culture.

L’une des autres grosses pointures attendues par tout un peuple de rockeurs, c’était le retour de The Strokes. Un retour avorté d’une semaine puisque la team de Julian a annulé sa présence au premier week-end (pour cause officielle de Covid). Finalement présent sur le week-end suivant, le groupe new-yorkais a agréablement surpris au niveau de sa performance, très carrée et dynamique, avec un gros fan service puisque tous les tubes y sont passés. Mais dans l’attitude, on était vraiment dans le cliché avec un Casablancas tout aussi bavard que pédant, se moquant de leur annulation de la semaine précédente et terminant le concert 20 minutes avant l’horaire initial.

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© Gaelle Beri

On pourrait vous parler du concert d’Interpol, fidèles à eux-mêmes, classe, mais pas au niveau de leur musique ; vous parler de la superbe prestation de M.I.A malgré de gros problèmes de retour ; du concert sans aucune faute de goût de Phoenix, seul groupe français programmés cette année (à notre connaissance) ; ou de l’énorme spectacle (musical et scénique) de Tame Impala, qui gagne d’année en année sa stature de méga groupe de stade, sans jamais se renier. On pourrait dérouler sur l’ensemble des têtes d’affiches qui ont joué sur les deux grandes scènes du festival, ces deux scènes étant collées l’une contre l’autre, et alternant les concerts de l’une à l’autre. Un dispositif assez perturbant puisqu’on regarde un concert en voyant la préparation/installation du concert suivant juste à côté. Et que cela crée des flux de milliers de personnes pas toujours simples à gérer.

Mais la vérité, c’est que ce qu’on retient le plus de ce Primavera, ce sont tous les autres groupes qui ont joué sur les dix autres scènes du festival. Des artistes aussi gros que Mogwai, Metronomy, Bicep ou Angele mais aussi d’autres bien plus émergents, qui ont pourtant tous joué devant des milliers de spectateurs. Pour beaucoup, leur concert à Primavera aura été celui devant lequel ils auront joué devant le plus de monde. Un public présent en masse et particulièrement attentif et enthousiaste, y compris pour les artistes les plus jeunes. Cela offre une ambiance assez unique, l’impression d’être dans une mini ville où tout est centré autour de la passion pour la musique et pour ceux qui la créent. La sensation de pouvoir se balader presque au hasard dans cet immense espace, et se dire qu’on peut s’arrêter au hasard sur une scène et faire une superbe découverte, avec des milliers de personnes.

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© Sharon Lopez

Mais tout n’a pas été rose sur cette édition : un énorme scandale le premier jour avec une quasi-absence de points d’eau, un imbroglio logistique sur le brunch du dimanche, la nouvelle disposition des deux grandes scènes côte à côte, les nouveaux circuits imposés de déambulation pour aller d’une zone à l’autre….

Malgré tout cela, nous ressortons de ce week-end avec une côte d’amour pour le Primavera encore plus forte qu’avant de l’avoir vécu. Conscients de tous ses travers, qui ne vont probablement qu’en augmentant avec la croissance de l’événement, nous voyons aussi à quel point l’événement barcelonais (qui s’exporte désormais dans d’autres villes) est une vrai source d’oxygène pour des dizaines de milliers de passionnés de musique. Un énorme festival qui arrive à concilier l’amour pour l’indie avec le plaisir même pas coupable du mainstream, qui permet d’enchaîner des concerts de 16h à 6h du mat, en centre ville et en bord de plage, et qui profite de son poids et de sa notoriété pour visibiliser des luttes sociales et sociétales.

Photo en une : Ambiance © Sergio Albert

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