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Oui, on est allé en festival, à Hip Opsession Musique 2020

En 2019, à Transfert, pour le Hip Opsession Reboot, on avait dégusté du « Fuck le 17 », des retournements de scène par Makala et Isha et des postillons du barman sur le visage. Cette année pour l’édition 2020 rebaptisée Hip Opsession Musique qui s’est tenue à Nantes du 02 au 10 octobre dernier, c’était plus sobre niveau fluides corporels. Répartie sur une dizaine de lieux et avec pour matrice les notions d’héritage et de transmission, on a assisté à un festival allégé mais qui a fait bien plus qu’acte de présence. Ateliers d’initiation au beatmaking et beatbox, rencontres avec des professionnels, conférences, tables rondes, projection de documentaires, concert… Pick Up Production a réussi à rendre malgré tout cohérent et attrayant un projet qui deux semaines avant n’avait encore aucune certitude quant à sa tenue.

Qu’on se le dise, assister à un concert assis devant une table vierge de toute boisson tout ça parce qu’entre autres, le gouvernement (malgré la situation) regarde (les yeux plissés derrière des bureaux à 10.000 balles et la main sur un porte-monnaie à géométrie variable) les personnels de santé contaminés et privés de vacances en pensant au confort d’un séjour en clinique privée, ça fait mal au cul. Mal pour lequel, on semble dans l’impossibilité de consulter un professionnel digne de ce nom et ce depuis plusieurs mois. Ce n’est pas ce qu’on appelle enfourcher un tigre.

Mais ça, c’est un autre débat. En même temps quand une ancienne ministre de la Santé, ex-cachetonneuse à C8, pose son bagage culturel de CSP+ de province, rue de Valois à Paris, le stock mondial d’Imodium ne suffirait pas à couper l’envie aux professionnels du secteur de lui faire quelques offrandes sur son maroquin :

« Mais si la crise – je veux être résolument optimiste – si la crise a pu avoir une vertu, ce pourrait être celle d’avoir révélé aux yeux de tous l’importance des festivals dans la vie de notre pays, la vie culturelle bien entendu, mais aussi au-delà. (…) Ce choc brutal a mis en évidence le rôle structurant des festivals dans la vie des territoires. Ils animent ces territoires bien au-delà de la tenue des festivals eux-mêmes » a-t-elle prononcé lors d’une intervention aux États Généraux des festivals qui se sont tenus début octobre à Avignon. C’est surtout elle qui vient de le découvrir.

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HOS 2020, Conférence ABCD’R DU SON, Trempolino © David Gallard

Désolé, Jewel Usain et Yugen Blakrok, les deux artistes présents mercredi 7 au Pôle Étudiant (Nayana Iz ayant annulé au dernier moment) pour le seul concert de la semaine, mais même si d’après la Ministre « là où on est le plus en sécurité dans ce pays, ce n’est pas dans sa famille, c’est dans un lieu de spectacle », à choisir, on préfère risquer notre vie à écouter du son en famille. De l’aveu même de Pierrick Vially, quelques jours avant le festival, lors d’une conférence de presse, lui aussi ne le sentait pas trop cette histoire de concerts assis. Dans tous les cas, il fallait la tenter. On a vu. Arrivée sur place, personne dehors. Pas même quelqu’un qui fume. Pas un bruit qui s’échappe de la porte d’entrée qui laisse à peine filtrer la lumière intérieure. Après un tour de bâtiment et un sur la page de l’événement pour confirmer que c’est bien là, la palpation des poches par le videur le confirme très vite. A l’intérieur des tables et des chaises occupent pratiquement tout l’espace et il n’y a même pas moyen de boire un truc, le bar est fermé. Assis et en sans boisson, c’est de l’acharnement.

Qu’est-ce qu’on va devenir ? C’est déjà assez compliqué d’écrire un report quand le festival se passe debout. Fini les débuts de semaine la tête dans le sombre à digérer de la pseudo healthy food à 10 euros le croc, se mentir à soi-même sur son état sanitaire et à se demander comment emmener le lecteur dans ton week-end (parfois pittoresque) alors que tu te rappelles juste qu’il y avait plein de lumières ? Se réinventer, ce n’est pas uniquement s’adapter et faire avec les moyens du bord pour survivre. Comme quand on boit son urine en plein désert car la gourde est vide. Et là, le secteur artistique et tous ceux qui gravitent autour ne vont pas pouvoir le faire éternellement. Nous non plus d’ailleurs. C’était quand même agréable ce petit coup de mou du lundi matin où on pouvait chialer pour un paquet de clopes à sec. Le goût du Doliprane n’est déjà plus qu’un lointain souvenir et les larmes montent derrière des masques dont on ne sait plus très bien s’ils nous protègent ou nous contaminent à force de trainer dans les poches arrières de nos jeans.

Le président Macron l’a dit lors de son allocution du 14 octobre, « nous devons maintenir une vie sociale mais en réduire les aspérités. (…) Il faut qu’on réussisse à réduire nos contacts inutiles, nos contacts les plus festifs, mais qu’on continue notre vie sociale, au travail où on sait bien se protéger grâce au masque, à l’école, au lycée, à l’université, dans les associations… Parce que c’est la vie. » Alors, avant de tous se transformer en Lexomil ou en identifiants Pôle Emploi, on a profité de cette édition 2020, pour regarder de combien de centimètres le secteur culturel avait encore le droit de bouger une oreille. Pour le coup, encore un petit peu et le public a répondu présent à chacun des événements (gratuits ou presque) dont les jauges réduites ont laissé quelques personnes à la porte. La police municipale et la BAC ont aussi répondu présents notamment le vendredi 9 au 23, une ancienne salle de cinéma reconvertie en lieu de vie éphémère. Respect et courtoisie, on n’est pas encore totalement foutu. De toute façon, comme dans le métro, les gestes barrières ont été respectés dans l’ensemble des lieux ayant accueilli une programmation plus intimiste – et moins Fuck le 17.

©RomainCharrier_HOS_Beatbox_Bottiere_BD-11

HOS 2020, Beatbox, Bottiere ©Romain Charrier

Outre, la conférence de qualité Kendrick Lamar, living legend animée par l’équipe de Backpackerz et en présence de Nicolas Rogès, auteur du livre Kendrick Lamar : De Compton à la Maison Blanche, celle à Trempolino de l’Abcdr du son (Rap français, un patrimoine à conserver) co-animée avec l’équipe de Relax, c’est que du rap, la projection de Lost in Traplanta de Mathieu Rochet et donc ce concert assis du mercredi, on a surtout pu découvrir ou revoir trois documentaires en lien avec cette idée d’échange et de transmission des savoirs, ligne directrice de cette édition.

Le premier, Give Back (2019) produit par Charles Songue et Julien Eveno du Dooinit Festival et diffusé le dimanche 4, au Cinématographe, retrace le parcours de plusieurs artistes dont Masta Ace, Babu et Rich Medina, tentant de dépasser leur statut en ayant un impact social, culturel, parfois économique en tant qu’éducateur, coach…sur la vie des gens de leur communauté. Allo @Interieur_Gouv, c’est pour un signalement. On demande un effet Streisand inversé ! Car il se passe des trucs productifs et constructifs dans le hip hop les chatons, aux États-Unis ou en France d’ailleurs.

Car c’est aussi au cœur du sujet du travail de la réalisatrice Yveline Ruaud dont les deux documentaires, 75e Session, la famille du Dojo (2019) et Clasher l’ennui (2020) ont été projetés lors de cette semaine avec respectivement pour les tables rondes, outre celle de la réalisatrice parisienne, la présence (le jeudi 8) de Fik’s Niavo et Grödash et (le vendredi 9) de Sheldon. L’un retrace l’histoire, comme son nom l’indique, du collectif la 75e Session et du lieu de vie/studio/colonne vertébrale des artistes qu’il fédère : le Dojo. L’autre par le prisme des trois éditions de Dégaine ton Style, premier battle de rap en France, l’histoire de la ville des Ulis, son enclavement entre ville et campagne malgré sa proximité avec Paris, le désœuvrement de ses habitants laissés à l’abandon par les politiques publiques, et de quelle manière certains à travers la musique se sont mobilisés pour sortir de la masse et faire apparaître leur ville sur la carte du rap français. Ils ont fait bien plus, mais on vous laisse découvrir la suite.

Nous, en attendant de se faire enfourcher par le tigre, on se remet le discours de Pierrick Vially, programmateur du festival, parce que ça fait du bien les aspérités qui disent la vérité. Comme le dit P.Kaer dans Clasher l’ennui : « Ça sert à rien de chercher des portes ouvertes, vaut mieux en construire une et l’ouvrir soi-même. »

Crédit photo en une : © Romain Charrier, HOS 2020, Beatbox, Bottiere

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