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10 ans de carrière : Nosfell se raconte

Dix ans qu’on suit Nosfell. Dix ans d’émerveillement face au talent d’un artiste qui n’a cessé de suivre son chemin singulier. A tout anniversaire sa fête. La sienne aura lieu au Trianon ce mercredi 4 mars, où Nosfell jouera, pour la première fois, l’intégralité de son premier album, le formidable « Pomaïe Klokochazia Balek ». Nos caméras seront évidemment là, pour une captation intégrale à suivre sur Culturebox. En attendant, Nosfell a pris le temps de nous débriefer cette folle décennie.

Le premier album

Je ne voulais pas refaire un album moins bien que le premier. Il a eu un accueil plus que positif. On en a vendu 60.000 alors qu’on l’a fait à l’arrache. L’enregistrement avait coûté 5.000 francs à l’époque ! C’était très indé comme projet. Pour nous, ce succès est hallucinant. Et le risque, c’est toujours de vouloir reproduire cette expérience mais de le faire moins bien. Du coup, à l’époque, je ne savais pas si j’allais avoir « une carrière » mais dès le deuxième album, j’ai voulu casser cette image qu’on avait de moi. Je suis donc parti vers des choses plus en phase avec le tempérament que j’ai et ce que je vivais à l’époque, où j’étais très fragile. Je raconte une histoire que je recentre sur mon personnage, contrairement au premier album où je présente l’univers global. Là, j’étais ancré sur Nosfell et sur des questionnements plus sombres. Evidemment, je sais que j’ai perdu plein de gens à ce moment-là, parce qu’il y avait sur le premier album un malentendu sur une musique qui était un peu sautillante et moi qui , dans ma culture et ma manière d’être, évoque des choses assez noires.

Et puis il y a cette histoire de langage qui a vraiment focalisé l’attention. Aujourd’hui, j’en parle beaucoup plus facilement car j’arrive à masquer les choses dures liées à ce langage. Mais à l’époque, j’en étais incapable. J’étais à fleur de peau et j’avais très peur. Et puis de manière générale, je suis chanteur/musicien donc j’avais envie qu’on parle de ma musique.

Mais le premier album, c’est particulier, pour tous les artistes. Ce sont des chansons que tu portes depuis longtemps en général, qui ont vécu sur scène depuis le début. Et là, tu les fixes sur un album.  C’est un peu comme un laboratoire, comme un tableau où tu fixes les couleurs. Et comme si, à chaque concert, le peintre repassait pour faire des retouches. A partir du deuxième disque, l’album est quasi indissociable de la performance live. Je prends beaucoup de plaisir à faire des disques. L’exercice de l’enregistrement m’a toujours fasciné. Quand j’étais gosse, j’enregistrais déjà ma guitare et du chant sur un petit 4 pistes. Ça m’amuse autant que ça me fascine. Et j’essaie de me perfectionner en permanence. Mais aux yeux des autres, j’existe principalement par mes performances. D’où l’importance de mes concerts.

Les collaborations

J’ai l’impression d’avoir accompli quelque chose, pas dans le sens « terminé » mais dans le sens où je suis arrivé à être une meilleure personne, à ne pas rester le personnage solitaire dans sa chambre. Car au début, c’était quand même ça ma vie de musicien. La musique, c’est fait pour partager, pour échanger. On travaille toujours mieux avec d’autres personnes. Et toutes mes collaborations sont très diverses. Elle sont à l’image de la manière dont j’écoute la musique. Je ne suis pas attaché à une esthétique particulière. Et c’est ce qui, malheureusement, me vaut souvent une étiquette d’ovni. Mais moi, je suis touché par les intentions musicales bien plus que par les esthétiques, même si j’ai bien sûr des préférences comme le rock, la musique improvisée, ou le jazz. Mais j’aime convoquer toutes ces influences. Et ça m’amène à bosser aussi bien avec Dominique A et Dick Anegarn qu’avec Josh Homme ou encore Ez3kiel.

Le lien entre ces collaborations ? Moi, je vois des intentions communes. Quand je vois comment Mederic Collignon et Loïc Lantoine font de la musique, je trouve qu’il y a quelque chose dans leur façon de travailler. Et quand je parle de musique avec Josh Homme, quand je vois sa culture va chercher dans le blues, le desert rock mais qu’en même temps, il va attaquer des gammes à la guitare qui sont proches de ce que pouvait faire Ravel ou Debussy…

Il y a des choses que je vais provoquer. Parce que simplement, les gens que j’admire, j’aime bien leur écrire pour le leur dire. Et puis parfois on m’écrit, et je réponds. Il y a aussi le pur hasard. Comme à la sortie d’un concert. Moi j’aime beaucoup discuter, échanger. Il y a aussi des directeurs artistiques à qui je dois beaucoup. Par exemple, à mes débuts, il y a Kem, le programmateur des Eurocks qui m’avait mis en lien avec EZ3kiel et avec l’équipe de l’Astrolabe d’Orléans. Il y a aussi Blaize Merlin du festival La voix est libre qui m’a fait rencontrer beaucoup de musiciens de l’improvisation, dont Mederic Collignon. Je suis aussi du genre à fermer les lieux où je joue. Je reste après le concert à boire des coups et discuter avec l’équipe technique, les programmateurs, etc. Je ne suis pas du genre à monter dans le camion dès le concert fini pour aller à l’hôtel.

L’ouverture à toutes les pratiques artistiques

La culture est une partie de l’éducation que j’ai voulu embrasser. Comme le conte, par exemple. C’est quelque chose qui m’a été apporté par mon éducation. Mon père me racontait beaucoup d’histoires. Il avait une vie à la fois fantasque et fantasmée. Fantasmée par moi, mon frère et ma mère mais aussi par lui. C’était quelqu’un de très insondable. Le champ des possibles dans les années 70 s’est ouvert, on était dans un schéma familial qui était beaucoup moins classique. Et puis mon père était issu de l’immigration, donc ça générait aussi beaucoup d’aventures humaines, des rencontres, et des ponts avec différentes cultures que j’ai beaucoup fantasmées,notamment la culture de mon père que je connaissais très mal et qui ne m’était transmise que par son prisme, son souffle, son regard. A l’école, j’ai appris la littérature. Puis, à l’université, j’ai étudié le japonais et je me suis intéressé à toute la culture japonaise, dont la littérature classique est parsemée de conte. Toute cette culture a énormément nourri mon imaginaire, tout comme la culture du Maghreb de mon père.

Il y a des choses de mes racines que je ne connais pas. Je pense que ma manière de faire de la musique, d’attaquer les différentes disciplines artistiques, est tentaculaire parce que je reste ouvert à ce qui peux me toucher, m’émouvoir.

J’aime aussi énormément dessiner. Mais en même temps, je me méfie : je fais très peu de clip vidéo et peu de dessins pour illustrer ma musique. Sur le premier album par exemple, aucune image n’a été réalisée, à part la pochette de l’album. Les seules images qu’on offrait, c’était notre scène, et puis ce que je voulais transmettre comme histoires, avec mes mots, avec mon corps. C’était une démarche assez simple pour moi et ça m’a amené à rencontrer la danse et le spectacle vivant.

L’évolution

Je pense que j’ai plus de méthode mais j’ai  l’impression d’avoir une manière d’écrire semblable sur ces quatre albums. Au final, ils ont tous été enregistré dans des lieux de vie, que ce soit ma maison ou celle d’un producteur. Après, pour le mix, c’est différent. Le dernier a été mixé dans un studio à New York car je voulais un rendu bien particulier. Je voulais que ça sonne le plus large possible et qu’on puisse l’écouter fort, qu’il ait beaucoup de dynamique. On a travaillé avec un des derniers bastions full analogique des USA. Ce qui est a contre courant de la manière dont on mixe aujourd’hui la musique puisqu’on la compresse beaucoup pour pouvoir l’écouter sur les ordinateurs ou avec les nouveaux écouteurs. C’est un peu se tirer une balle dans le pied, mais j’espère qu’à long terme le disque aura une meilleure vie que si j’avais compressé le signal.

Le travail sur le son

En fait, ce qui m’intéresse, c’est de chercher un équilibre entre les fondements de la musique électronique, de l’échantillonnage, et les fondements de l’écriture folk / rock. Il y a 8/10 ans, on a mis au point avec Matthieu Pavajot, qui est un programmeur de jeux vidéo, un logiciel pour mettre en boucle tout ce qu’il y a sur le plateau. Mais contrairement aux pédales dans le commerce, je peux faire ce travail en multipiste. Ce qui permet à notre sonorisateur de ne pas avoir une accumulation d’instruments sur une piste mais d’avoir une piste par boucle, et donc de pouvoir l’espacer sur la stéréophonie pour offrir un rendu plus organique et plus proche de ce que pourrait être un concert avec tous les instruments. Mais c’est aussi plus proche d’un rendu de concert de musique électro, ou les DJs travaillent aussi en multipiste. La base de la musique électro, pour moi, c’est l’échantillonnage : on échantillonne un son, on le répète, on le triture. Je fais ce même travail, sauf que moi, je ne triture pas le son en question. Je l’utilise tel quel, je le répète et l’espace dans le temps. Et par dessus ça, il y a l’écriture d’une chanson et de la mélodie. Ou là, je travaille exactement comme n’importe quel compositeur.

Les 10 ans au Trianon

J’adore cette salle mais je n’y avais jamais joué. J’ai fait la Cigale, l’Olympia, le Bataclan, même le Zénith en première partie. Mais le Trianon était vraiment la salle que je voulais faire. Et puis cette opportunité de jouer au Trianon en mars 2015 tombait vraiment bien puisque c’est les 10 ans après la sortie de mon premier album, enfin plutôt de la ressortie via mon label puisque je l’avais auto-produit quelques mois plus tôt. Et puis, je me suis dis que ce disque vieillit bien aux yeux de certaines personnes. En concert, on me demande souvent des morceaux de ce premier album. Je sens qu’il a marqué mon public. Il y a ce côté madeleine de Proust que j’ai envie de révéler. Et puis il y a des morceaux que je n’ai jamais joué en live sur ce disque ! Donc plus que les dix ans de carrière, c’est vraiment les dix ans de cet album que j’ai envie de célébrer sur cette date au Trianon.

Et comme j’ai voulu faire coexister toutes mes chansons, il y aura aussi des titres des trois autres albums, en plus de l’interprétation intégrale du premier album. J’ai envie qu’il y ait beaucoup de musique lors de cette soirée. Ce sera bien loin de mes dernières collaborations, notamment avec Decouflé. Là, j’ai vraiment envie de centrer cette prestation sur la musique.

Crédit photo : Elene

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