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Nick Waterhouse, poète anachronique

Emmitouflé dans un manteau de lourde laine beige, Nick Waterhouse baille. Il s’excuse : il vient d’arriver, est complètement anéanti par le décalage horaire. Nick s’exprime avec aisance et charisme. Il a la classe de ses beaux mocassins vernis en cuir italien. À le voir on pourrait croire qu’il est papa, qu’il travaille dans la finance. Mais rien de tout cela, il n’a que trente ans et groove sur scène tous les soirs, de ville en ville. Sur scène il joue d’une musique emplie d’explosions par à-coups, fidèle à un autre temps. Nick Waterhouse connaît parfaitement la recette du bon rhythm’n’blues. Quelques une de ses notes suffisent à faire trémousser les derrières les plus renfrognés. Autant vous le dire, ce mec, c’est un peu un ovni dans le paysage musical, mal dans son temps et clairement nostalgique. Mais nous on est ravis qu’il soit de notre époque et qu’on puisse profiter de son génie soul.

J’ai entendu dire que tu faisais partie d’un groupe de rock garage à tes débuts, ça s’appelait Intelligista…

… Ça se prononce « hista », c’est le « g » espagnol.

Que s’est-il s’est passé avec ce projet ?

On a tous eu 18 ans. On était adolescents. La chanson « Is That Clear » issue mon premier album vient de ce groupe, j’avais 14 ans quand je l’ai écrite. On a beaucoup été comparés à The Animals. On était des petits blancs qui s’essayaient au rhythm’n’blues. Après, on a tous été séparés par la fac. Deux d’entre nous, mes meilleurs amis, ont eu des bourses pour aller à Tulane à La Nouvelle-Orléans et à Boston. Et moi j’ai déménagé à San Francisco. Maintenant je suis adulte mais j’essaye toujours de jouer du rhythm’n’blues.


Plutôt San Francisco ou Los Angeles où tu vis à présent ?

San Francisco sans aucun doute.

Pourquoi as-tu quitté cette ville alors ?

Je me suis exilé à vie. La ville a trop changé. J’ai vécu là-bas quand c’était encore une vraie ville. Maintenant, les gens qui la dirigent ont bien plus d’argent que je n’en aurais jamais et ça se reflète dans la culture. J’y reviens car je suis encore pas mal impliqué dans le développement du magasin de disques où je travaillais mais tous ceux que je connaissais et fréquentais à San Francisco ont déménagé parce qu’il ne pouvaient plus se permettre de rester. Ce n’est pas vraiment une histoire de gentrification mais plus une histoire de technocratie. Un appartement d’une chambre, qui était déjà bien trop cher pour moi à l’époque où j’ai quitté la ville, est à présent à un prix délirant. Certains de mes amis, des professeurs, ont dû partir parce qu’ils sont payés 2000 dollars par mois et que le prix d’un F1 à San Francisco est à 4500 dollars. Qui va vivre là-bas à présent ? C’est dégueulasse.

Paysage

« Quand tu bosses pour des gens de la pop, t’en entends des vertes et des pas mures. »

Et maintenant ? Tu es retourné à Costa Mesa, en banlieue de Los Angeles ?

Non, je suis parti de là-bas pour toujours. Vraiment. À l’âge de 18 ans je me suis juré de ne jamais y retourner. On s’y ennuie et c’est très conservateur. C’est un véritable trou noir culturel. Le seul point positif, c’est la culture adolescente, importante là-bas. Mes amis Sean et Lee tiennent Burger Records. Cette culture adolescente traduit très bien ce que j’ai vécu et senti, d’autres adolescents le vivront et sentiront encore, j’en suis sûr. Mais il y a un aspect superficiel au festival Burgerama, qui est maintenant consommé de la même manière que Coachella. Coachella, ce n’est pas de la musique, c’est une marque. Le gros problème, c’est qu’à Costa Mesa, si tu n’as pas de voiture, tu ne peux rien faire. La raison pour laquelle tout le monde de l’art et de la culture quitte New York et San Francisco pour Los Angeles, c’est que c’est la dernière frontière. Tout le monde s’est habitué à vivre loin de tout en apprivoisant Williamsburg et Bushwick. Maintenant ils poussent ça à l’extrême en allant quelque part où il faut posséder une voiture pour pouvoir aller acheter le pain. Mais il faut se souvenir que c’est une très grande ville, comme Tokyo. Tu pourrais vivre là bas toute une vie et ne jamais rien voir d’intéressant. Tu pourrais vivre à Santa Monica ou South County et ne jamais voir Echo Park et El Sereno qui sont les terreaux musicaux de la ville.

Tu jouais de la trompette quand tu étais plus jeune, pourquoi avoir changé ?

J’ai toujours voulu jouer de la guitare mais mes parents n’avaient pas beaucoup d’argent donc on a échangé ma trompette contre une guitare au pawn shop. C’est maintenant un grand regret de ne pas avoir continué. Mais j’imagine que c’est pour le meilleur puisque je suis ici grâce à cette décision.

Tu peux toujours en rejouer, non ?

Ça fait très longtemps. C’est trop lointain.

Te tiens-tu au courant des musiques plus « actuelles » ?

Pas vraiment, pas grand chose ne m’excite à vrai dire.

En quoi n’est-ce pas excitant ?

Tous les chanteurs des groupes du moment chantent la gamme musicale des chanteurs de R&B des années 1990. Je ne suis pas fan de cette série de notes. Je n’aime pas la production. J’entends rarement des compositions ou des paroles que j’aime vraiment. Rien de tout ça ne m’émeut particulièrement. C’est la meilleure manière de l’expliquer.

Mais tu produis quand même de nouveaux groupes, comme les Allah-Las.

Oui. J’ai travaillé sur quelques sorties depuis les Allah-Las. En 2014, j’ai produit tout un album des Hidden Charms, un groupe londonien dont j’ai écrit et joué pas mal de chansons mais ce travail est passé à la trappe parce qu’Universal voulait plutôt les faire sonner comme les Arctic Monkeys. Pas vraiment mon style. J’ai produit Ural Thomas à Portland en 2015. C’est un vieux chanteur de soul qui n’a rien enregistré depuis 1972, c’est vraiment bon. Puis en 2016, j’ai travaillé avec Ethan Burns qui est un chanteur plus folk. En ce moment je m’occupe beaucoup de Jon Batiste.

J’ai appris que tu avais perdu ton travail parce que la musique t’accaparait trop de temps, c’était quoi ce job ?

J’étais éditeur dans une agence de presse. Tu peux t’imaginer comment c’était ces dernières années quand je lisais les critiques me concernant dans les magazines. Je n’avais qu’une envie, sortir mon stylo rouge, corriger tout ça et annoter : « Quelle est ta thèse ? » ou : « Brouillon »… (rires) L’agence dans laquelle je travaillais essayait d’exporter le New York Times dans la Bay Area. C’était une période assez étrange. J’ai eu mon diplôme de littérature puis j’ai fait pas mal de petits jobs comme gérant de bar, vendeur dans un magasin de disques, attaché de presse dans un label. J’ai enfin eu ce travail, qui me rapportait un vrai salaire. Pile à ce moment, j’ai sorti mon premier album. Et ça a commencé : tous les week-ends, un concert dans une ville. J’ai perdu mon travail parce que j’avais utilisé tous mes congés mais j’avais prévu un mariage au Costa Rica pour lequel je devais faire le DJ. Mon boss m’a prévenu avant de partir, il m’a dit : « Tu as utilisé tout tes congés maladie, tous tes congés payés, ne reviens pas en retard. » Sauf que là-bas, je me suis fait piqué par une araignée venimeuse. J’ai été hospitalisé d’urgence à Los Angeles et j’ai loupé mon avion. En rallumant mon téléphone, j’avais 60 messages : j’étais viré. Je ne suis jamais retourné vivre à San Francisco et j’ai décidé de rester là où j’étais.

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« Les gens me disent que je n’écoute pas d’électro pourtant je m’en tape à longueur de journée. Si je vais dans un restaurant, dans une boutique… Il y en a partout. »


Tu n’aimes pas vraiment le digital, pourquoi ?

Je n’aime pas la manière dont ça sonne. Des gens disent qu’il est possible de sonner comme l’enregistrement classique mais ce n’est pas vrai. On oublie trop souvent que les ingénieurs du son s’appellent ainsi parce qu’ils sont des scientifiques, le son c’est une data pour eux. Certains ingénieurs du son ne sont pas sensibles à la poésie de ce qu’ils considèrent imparfait ou désordonné. Les gens tendent à aimer de plus en plus les imperfections assumées en tant que prise de position artistique. Le son que j’aime est caractérisé par ce qu’un ingénieur du son appellerait des « distorsions ». Si tu écoutes Kurt Cobain, tu te dirais pas qu’il y a des distorsions et qu’il faut les supprimer. Et puis je n’apprécie pas le digital parce que la distorsion qu’il imite est mauvaise. L’analogique a une harmonie scientifiquement agréable à l’oreille. Nos oreilles compressent le son lorsqu’il est joué fort, c’est ce qui se passe en concert. Une partie de l’énergie du live tient à cette action de l’oreille et je pense que l’analogique s’approche le plus de ça. C’est comme les impressionnistes, ils peignaient des sentiments et pas dans le sens classique du mot. Ils essayaient de retranscrire les émotions en peignant de manière imparfaite. Une peinture parfaite n’aurait pas le même impact.

Tu sembles hermétique à la musique électronique, il n’y a vraiment rien qui te plaît, dans l’electronica par exemple ?

Je n’y suis pas hermétique parce que j’en entends partout où je vais. Ça m’oppresse. Peu importe si je vais dans un restaurant, dans une boutique… Il y en a partout. Les gens me disent que je n’en n’écoute pas alors je m’en tape à longueur de journée. Je n’ai malheureusement pas de contrôle sur ce que j’entends à l’extérieur alors laissez-moi au moins la possibilité de contrôler ce que je veux écouter chez moi. Je suis allé à pas mal de festivals, j’en ai entendu tellement. Rien ne me touche. Et puis après tout je ne prétends pas être un maître du bon goût, je fais que ce qu’il me plaît. Autour de moi tout le monde aime ça. Quand j’habitais à Londres en 2007, on m’a beaucoup emmené en club, c’était l’époque Ed Banger et cie. Mais je ne me suis jamais surpris à demander : « C‘est quoi ce son ? » Parfois, il y a des éléments que j’aime bien mais ils ne leur appartiennent pas.

Même des types comme Brian Eno ou… ?

J’aime pas vraiment Brian Eno. Cette musique d’ambiance, ce n’est pas ce que je préfère. J’aime l’atmosphère dans les enregistrements mais je ne suis pas fan des enregistrements d’ambiance. Dans ces cas-là, je préfère le silence et lire un livre. Sans musique.

En parlant de bouquins, tu es féru de poésie. Comment cette passion t’inspire-t-elle ?

J’écris mes paroles avec l’économie d’intention qui est nécessaire en poésie. Tu écris en faisant attention à la façon dont les mots se disposent sur ta feuille, pour exprimer l’émotion de manière plus impactante. De la même manière, quand tu peins, tu le fais pour transmettre une émotion mais pas de façon explicite. Tu ne dis pas simplement : « Je suis si triste. » Parfois, dire : « La ligne dessinée par l’encadrement de la porte est brute. » véhicule plus de tristesse et solitude. Mon processus d’écriture est le même. Peu de personnes font attention à mes paroles. Elles se perdent un peu. L’une de mes chansons préférée « Sleeping Pills » parle de destin, de décision, d’impulsion, de maîtrise de soi. Le refrain dit : « I counted sixteen pills/In an open palm up/Just like tea leaves/In a china cup ». C’est bien plus qu’une simple chanson d’amour. Mais parce que l’instrumentale derrière est enjouée, les gens ne font pas attention aux mots. La seule critique de mes albums que j’ai appréciée depuis le début de ma carrière est celle du New York Times qui disait que mes paroles semblent censurées. Comme si le gouvernement avait coupé des phrases mais que l’important restait sous-jacent. Comme si c’était un langage subconscient. J’ai récemment discuté avec un superviseur musical qui m’expliquait qu’il recevait des demandes étonnantes. Il me disait : « Je n’aimerais pas que tu perdes de l’argent mais je me demande s’ils écoutent tes paroles… » La poésie est importante parce qu’elle apprend la puissance de la décision subtile. Un mot différent, une ponctuation différente peut tout changer et je pense que c’est la manière dont les paroles de chansons devraient être pensées. Enfin, c’est pas l’avis de tout le monde. Quand tu bosses pour des gens de la pop, t’en entends des vertes et des pas mures.

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« Ce n’est pas du pessimiste, c’est simplement être perceptif. »

À propos de la synchro, beaucoup de ton argent vient de tes musiques de pub ?

Tout mon argent vient de là. Je perds de l’argent en créant et sortant mes albums. Je perds de l’argent en faisant mes tournées. Je fais ça depuis 6 ans et cette tournée européenne me fait perdre 4000 dollars. Pour avoir un vrai groupe et les payer correctement, je n’ai pas gagné d’argent de toute ma carrière. L’argent que je gagne des publicités devient le budget de mes albums et de mes tournées. Je n’aurais jamais imaginé ça mais c’est comme ça que ça marche.

Tu choisis les spots où ta musique est utilisée ?

Non, je n’ai pas ce contrôle. Mais tant que j’ai le contrôle sur mon art, c’est tout ce qui compte. J’ai fait mon album accompagné de 12 personnes dont un ingénieur du son accro aux drogues et déséquilibré, un vieil ami à moi. Penser au fait que les concerts vont être complets ou bien que le single va passer à la TV dans une pub, c’est débile. Ça arrive uniquement quand tu fais en sorte que ton travail soit à propos de ça. Moi je fais mon travail parce que j’aime ça. C’est aussi mauvais pour moi qu’un con aime ma musique qu’avoir quelqu’un qui décide de la passer dans une pub pour une nouvelle voiture. Je fixe la limite : si l’administration Trump veut l’utiliser par contre, non. (rires)

Je t’ai entendu dire que tu voyais de la noirceur partout où tu allais, tu es du genre pessimiste ?

Wow, je me demande c’était quelle tournée ça. Je ne suis pas vraiment pessimiste. Mon père, maintenant retraité, était pompier et assistant paramédical. Il était toujours préparé à ce que le pire arrive. Il était du genre à être très calme. Il ne paniquait jamais. Je suis un peu plus sensible que lui. Il y a des choses dans ma vie qui ne se sont pas bien passées. Ce n’est pas du pessimiste, c’est simplement être perceptif. Je peux sourire aussi. (sourire) Il y a de belles choses même si je n’en vois que trop peu dans ce monde. J’ai quand même foi dans ce monde.

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