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Mocke : « Il ne fallait pas faire des écoles de jazz : c’était une science de la rue »

Si, comme pour votre serviteur, Holden fut l’un des sommets de la pop française, si Arlt représente un renouvellement vivifiant et grisant de la chanson bizarre tendance label Saravah (les débuts de Brigitte Fontaine et Areski, Pierre Barouh), si le raï de Mohamed Lamouri (musicien sur le ligne 2 du métro parisien) vous déchire le cœur et enfin si vous n’êtes pas loin de penser que Chevalrex est ce qu’il se fait de mieux en chanson pop en français eh bien l’entretien qui suit est fait pour vous : Mocke est leur guitariste. Non seulement guitariste pour d’autres, il est aussi (co)compositeur au sein des différentes formations (Holden et puis Midget !) et compose depuis quelques années des solos instrumentaux aux noms d’animaux aquatiques d’eau douce et d’eau salée : L’anguille, St Homard, Parle Grand canard.

Et si vous ne connaissez rien des références jusqu’alors citées mais que la musique vous intéresse, eh bien vous trouverez aussi matière à satisfaction dans cet entretien. Car qui a eu la chance de croiser Mocke et de discuter musique avec lui comprendra le besoin impérieux de « fixer » tout ça afin que d’autres puissent en profiter.

Cet entretien, difficile à réaliser tant le monsieur est sollicité, a pu avoir lieu à l’occasion d’un passage à Toulouse pour Le printemps de Septembre (biennale d’art contemporain) dans le cadre d’une carte blanche proposée à la plasticienne Pauline Curnier-Jardin. Il devait jouer son « projet » Midget ! avec Claire Vailler. Mais décision a été prise en début d’après-midi d’annuler les concerts pour un risque d’averse à 20 heures. Le côté positif ? Nous avons eu davantage de temps pour mener cet entretien dans le chouette café toulousain L’Impro, avec Hendrix en fond sonore. Et sans pluie.

Lorsque Mocke parle de musique, de la sienne comme de celle des autres, de jazz, de classique ou de pop il est tout empli d’alacrité et d’une érudition joueuse, joyeuse et partageuse. L’idée de label a notamment du sens dans son histoire de musicien : au début, avec Lithium (cultissime label indé français fondé par Vincent Chauvier qui a vu commencer Dominique A, Francoiz Breut, Diabologum, Holden, etc), il jouait sur les disques des autres. En ce moment, il est le guitariste de Chevalrex (patron du label Objet Disque et graphiste – brest brest brest). Le premier album de Arlt, dont il est guitariste depuis le début, fut signé sur le label Almost Music, ce qui l’a amené à travailler avec d’autres artistes de cette structure : la chanteuse traditionnelle bolivienne Luzmila Carpio (pour une tournée mondiale) et Mohamed Lamouri.

Attention : entretien aux allures de masterclass. Spoiler : il y est question de « savant-populaire », de guitare-harpe et de guitare-flûte, de sincérité et de singularité dans le processus créatif, du caractère magique de la pop et figé du jazz mais aussi et surtout, pour paraphraser René Char, de l’importance « d’aller vers son risque » comme moteur de création et d’évolution musicale.

@Stephen Munson

Mocke © Stephen Munson

Pouvez-vous nous parler des guitaristes qui vous ont influencé ou vous influencent encore ? Parmi ceux que vous avez déjà cités (Eddie Lang, Scotty Moore, Lonnie Johnson, Tom Verlaine et Derek Bailey) tous sont considérés comme des pionniers dans leur genre et à les écouter, je perçois mal l’influence qu’ils ont eu sur votre musique et votre jeu.

Mocke : C’est vrai que ce sont tous des pionniers : j’aime assez bien remonter aux sources des choses. Par exemple j’aime beaucoup la musique de Django Reinhardt mais je dois bien avouer que je ne supporte vraiment pas le jazz manouche. Pour moi il s’est terminé avec Django. J’ai une histoire particulière avec tous ces guitaristes mais ce ne sont pas forcément des guitaristes qui m’ont le plus influencé. J’ai passé énormément de temps dans ma vie à retranscrire le jeu de pianistes et de saxophonistes, de jazz essentiellement et, depuis quelques temps, de musique classique. Ce qui est le plus important pour moi est de ne pas sonner comme un guitariste « classique » qui fait des « plans » : comme ceux qu’on entend dans les boutiques de Pigalle. Au contraire, je voulais une écriture guitaristique à la fois fluide, singulière, qui se démarque de ce qui a été fait avant et surtout qui n’utilise pas trop de clichés. Par exemple j’aime bien faire de la harpe avec la guitare. La harpe est une technique consistant à révéler les harmoniques artificielles sur la guitare. Il faut trouver un thème souple, ductile, plastique et le transformer jusqu’à plus soif grâce à la variation et à l’harmonisation pour en dévoiler tous les attributs cachés, sa joie comme sa tristesse. Sinon j’aime bien aussi mélanger les vraies flûtes avec des flûtes un peu orientales jouées à la guitare. J’essaie souvent de sonner comme d’autres instruments et que le jeu soit un peu orchestral parce que c’est ce que j’aime.

J’ai comme l’impression que vous avez un rapport contrarié au jazz, du moins à l’idée d’en jouer : est-ce un problème de sentiment de légitimité ? Le côté un peu fermé du « milieu jazz » ? Leur esprit de sérieux parfois pesant ?

Mocke : J’ai écouté énormément de jazz, je m’en suis inspiré, c’est une musique qui m’a bercé, mais j’ai l’impression assez étrange que maintenant il ne s’y passe que très peu de choses. Il y a des gens que j’aime énormément comme Matana Roberts ou Angel Bat Dawid (mais elle, c’est au-delà du jazz). Ce sont deux femmes qui ont quelque chose de très singulier : Matana Roberts s’inscrit dans une espèce de tradition free jazz à la Albert Ayler mais sans la reproduire d’une façon scolaire, et sans pose, on sent que c’est elle, et qu’elle s’exprime vraiment. Avec ces deux-là, on est dans une vraie continuité jazzistique. En fait je pense qu’il ne fallait pas faire des écoles de jazz : c’était une science de la rue. Le truc « savant-populaire » qu’il y a dans le jazz (comme dans la musique brésilienne d’ailleurs) aurait dû rester. Donc non, le jazz actuel ne m’intéresse pas trop, c’est une musique qui végète un peu, et je ne suis jamais complétement convaincu non plus par les actuelles tentatives de fusion. Mais il doit sans doute y avoir des exemples contraires.

« Ce que j’aime, c’est me lancer dans des entreprises ambitieuses, dans ce qui me stresse, où je n’ai pas l’impression de connaître les lois de la chose. », Mocke

Vous êtes autodidacte : avez-vous malgré tout un maître ou auriez-vous aimé en avoir un ? Que signifie cette idée pour vous avoir un maître, et donc devoir quelque chose à quelqu’un ?

Mocke : Ce n’est pas un hasard que je sois autodidacte car j’aime bien apprendre par moi-même. J’aime bien travailler, je suis très studieux mais j’aime bien le faire à mon rythme, donc quelque part je n’ai pas de maître direct mais par contre des maîtres indirects, oui, j’en ai plein. L’idée de devoir quelque chose à quelqu’un me plaît car cela veut dire accepter que la musique est une affaire de transmission et que c’est comme ça qu’on avance : en prenant de ce que ceux d’avant ont fait, en regardant sur leurs épaules et en passant le relais. S’il y a bien une chose qui me fascine en musique classique c’est de voir à quel point, à chaque fois, même chez les grands génies, les idées ne viennent pas de nulle part, sans pour autant que ce soit de l’ordre du plagiat.

Si je m’en tiens à votre évolution musicale (de Holden à Midget ! et à vos solos), la pop semble moins vous intéresser au profit de la musique instrumentale, symphonique, libre. Qu’en est-il ?

Mocke : En fait j’adore la pop, à chaque fois que j’entends un morceau pop que je trouve hyper magique, ça m’emporte complétement. Je n’ai vraiment aucun snobisme par rapport à cette musique, c’est juste qu’en termes d’arrangements il y a vachement de codes, de répétitions, de citations et ça, c’est vrai que ça m’intéresse moins. Ce qui m’intéresse c’est la magie d’un truc qu’on peut trouver avec trois ou quatre accords. Et ça j’aimerai toujours, ça me touche. En tout cas je ne veux plus du tout faire du Holden. Ce que j’aime, c’est me lancer dans ce que je ne sais pas faire, dans des entreprises ambitieuses, dans ce qui me stresse, où je n’ai pas l’impression de connaître les lois de la chose.

« J’en avais marre de composer dans le but de passer à la radio, j’avais envie qu’il n’y ait pas de travail, juste de l’amusement. », Mocke

Le nouveau disque s’intitule Parle grand canard. Il m’a semblé plus « sérieux », on y trouve moins d’humour et de distance, plus d’engagement, ce qui lui donne un caractère introspectif. Il me semble qu’il plus de composition et d’écriture.

Mocke : Je me demande où tu situes l’humour parce si c’est dans les titres, il n’y a pas grandes différences (ndlr : en voici un florilège : Mr Buffala est un idiome, Autrui réclame un concept, Le légume mésopotamien, L’assiette sociale, Faire une place à le poulet, L’épicier incomparable). C’est juste que dans les disques d’avant, enfin surtout le premier, j’étais dans un moment de ma vie où j’en avais vraiment marre de composer dans le but de passer à la radio, j’en avais marre de tout ça et j’avais envie d’une approche plus spontanée, qu’il n’y ait pas de travail, juste de l’amusement. Le deuxième album était un peu dans le même esprit. Pour celui-ci je me suis rendu compte que je n’avais plus envie d’être si spontané et en même temps je voulais quelque chose qui me motive, que je ne suis pas censé savoir faire. Je me suis dit que j’allais composer mais surtout sur-composer, composer de façon à ce tout où tout soit remis en question tout le temps : c’était ça l’exercice. Et ça m’a vraiment passionné !

Certains parlent d’une à propos de votre musique de musique conceptuelle ? Êtes-vous d’accord avec cela ?

Oui, en ce sens que depuis quelques temps, j’aime bien, au départ, travailler avec une idée et essayer de la mettre en œuvre. Pour le morceau « Quel est ton parcours ? » j’avais l’idée de faire un morceau qui renouvelait continuellement un thème initial assez simple et mélo : que ce thème soit constamment remis en question, redessiné, qu’il se désagrège, que la guitare soit une voix qui se balade et raconte quelque chose, et que progressivement ça se déconstruise pour revenir à la fin sous une forme extra mélo, avec tout le potentiel mélo. J’aime beaucoup prendre quelque chose qui peut se déployer de mille façons différentes. La métamorphose contre l’usure et pour le devenir : d’où l’idée de parcours. Pour l’album Ferme tes jolis cieux de Midget ! c’est pareil, il y avait une idée au départ : il s’agissait de créer – avec les moyens du bord – un oratorio qui tiendrait à la fois du requiem et de la célébration dionysiaque.

Et pour les arrangements réalisés par Nicolas Worms, jeune compositeur à la formation classique très poussée, comment avez-vous procédé ?

Mocke : C’est une relation de confiance avec lui car c’est vraiment un musicien génial. On avait déjà travaillé ensemble plusieurs fois pour des créations radiophoniques de France Culture (ndlr : autour du poète Apollinaire et plus récemment des fables de La Fontaine), je savais donc comment il travaillait et aussi à quel point il comprend rapidement. Nous avons aussi des goûts profonds en commun, ce qui aide sans doute. Je voulais le laisser complètement libre, qu’il puisse s’exprimer, et être surpris par ses arrangements. Après quelques échanges il m’a dit « il ne faut surtout pas que ce soit jazz » : je ne me l’étais pas formulé comme ça, mais j’ai tout de suite compris.

Je crois savoir que la suite de Midget ! va être surprenante… Racontez-nous.

Mocke : Oui, par l’entremise de Bertrand Belin nous avons rencontré Gavyn Bryars (ndlr : compositeur anglais affilié au mouvement des musiques minimales). Il est surtout connu pour une pièce de 1973 The Sinking of the Titanic mais également pour une symphonie composée autour du chant d’un clochard : Jesus Blood never Failed me yet. D’un petit bout de mélodie il en a fait une symphonie d’une heure quarante, c’est un des trucs les plus beaux qui soit, c’est poignant, c’est magnifique. Et donc il se trouve que Bryars était (avec Henryk Gorecki) une influence majeure pour le disque Ferme tes jolis Cieux. Bertrand Belin lui a donné un disque de Midget ! puis on lui a demandé s’il acceptait de composer les arrangements pour le nouvel album. Il a accepté. C’est un gros chantier ! L’album est composé depuis plus de deux ans. Il fallait aussi trouver les musiciens : ce sera avec l’ensemble 0. On a une première résidence au 104 en octobre.

Pour information Mocke sera en concert à Lyon dans le cadre de l’Opéra Underground, festival conçu par Bertrand Belin et Agnès Gayraud (La Féline), qui aura lieu du 13 au 21 Novembre.

Mocke jouera en duo avec Nicolas Worms le 17 novembre à Lyon, dans le cadre de l’Opéra Underground, festival conçu par Bertrand Belin et Agnès Gayraud (La Féline) et le 2 décembre à la Marbrerie à Paris. Et Midget jouera sa nouvelle création le 22 janvier 2022 à Rennes (Les Tombées de la nuit, Autres Mesures, l’Antipode), le 23 janvier à Rezé (La Soufflerie), le 2 mars 2022 à Paris (Le 104) et enfin le 14 mai à Lyon (Opéra Underground).

Photo en une : Mocke © Rémy Poncet

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