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La clique des intouchables

Foutages de gueule en règle, BO de films d’auteurs hongrois, projets dans l’air du temps, les artistes dont on vous parle ici peuvent aujourd’hui tout se permettre. Et la critique et le public en redemanderont. On a essayé de lister ces artistes un peu milieu de tableau dont il est interdit de dire du mal au risque de se faire traiter de réac fan d’Eric Besson. On dit bien milieu parce qu’on ne compte ni ceux qui sont déjà en haut de la pyramide (Thom Yorke et Dave Grohl) ou ceux qui sont déjà morts (Bashung et DJ Mehdi). Les créneaux « tirer sur l’ambulance » et « écrire des billets durs » étant déjà pris, on a choisi des cibles qu’on adore détester et écouter : James Blake, Todd Terje, Nicolas Jaar, Mac DeMarco, Chet Faker, Flying Lotus, Four Tet et Jamie XX.

Four Tet, claque sur claque ?

Four Tet- The BEatyardFour Tet © The Beatyard

La recette de Four Tet est simple. D’abord, il télécharge des musiques africaines et de la pop très produite (type Timberlake). Ensuite, il rend le son super cradingue pour que ça sonne basse qualité – et donc underground. Banco, il raffle toutes les lettres d’amour. En plus, il a cette tête d’Indien super-ingénieur super-biologiste qu’on trouve dans les blockbusters et qui doivent trouver le remède pour sauver le monde. Un type qui a tout compris, qui sort des albums tous les deux jours, et qui se fait programmer dans les festivals de jazz et les clubs techno à la mode. Comble de la nonchalance, il se permet de ne (quasi) jamais donner d’interview et de traîner avec Thom Yorke, Dan Snaith (Caribou) et Floating Points, qui sont au cool ce que la confiture de cerise noire sur du brebis basque est au fin gourmet. Que personne ne s’avise d’y toucher, sinon il vous enverra dans la journée un morceau de vingt-cinq minutes (douze de sitar, treize en compagnie de la voix flippante d’une petite fille nord-coréenne).

Jamie XX, XXI century star

Jamie XX - The Fader vraiJamie XX ©  The Fader

Quand on commence ainsi le premier album de son groupe, on gagne une immunité qu’envierait largement le couple Balkany. Mais c’est le disque tout entier qui consacre le talent de Jamie XX, maître d’oeuvre hors-pair en matière d’électro-pop. Les pros et le public déroulent alors le tapis rouge et Jamie Smith (son vrai nom, mais les Smith en musique, c’est un peu saturé) ne cesse depuis de se rouler dedans. Aujourd’hui, producteur et DJ installé, il a publié In Colour, son excellent et inattendu premier album solo, et multiplié les remixes et les lives aux quatre coins de la planète. Problème : on l’a souvent croisé sur scène et on s’y est ennuyé royalement. Or les critiques sont extrêmement rares : on ne touche pas à une des icônes de ce début de millénaire.

James Blake, soul system

IMG_9639-2James Blake © DR

Notre histoire d’amour avec lui avait pourtant plutôt mal commencé. Son premier disque nous avait certes époustouflé mais en live, la magie n’avait pas fonctionné. Un peu comme une rencontre physique pas vraiment à la hauteur d’échanges épistolaires qui annonçaient pourtant le meilleur. Entre l’excitation et le passage à l’acte, il n’y a qu’un pas. Mais tous, évidemment, reconnaissent cette formidable fusion entre soul et dubstep, qui vous touche au cœur autant qu’elle vous glace de sa beauté froide. S’ensuivent un Mercury Prize pour son second album et des collaborations avec tout ce que la sphère médiatico-musicale compte de stars : Kanye West, Bon Iver, Jamie XX (tiens, tiens…), etc. Une image aujourd’hui stratosphérique qui devrait lui permettre de pondre, si l’inspiration venait à le fuir, quelques daubes soporifiques qui le porteraient quand même aux nues.

Flying Lotus, la fleur du mal

Flying LotusFlying Lotus © Tim Saccenti

Pour les fans de jazz spatial, de beats hip-hop et d’abstract, Flying Lotus, petit neveu de John Coltrane (saxo) et de Alice Coltrane (piano), cousin de Ravi Coltrane (saxo) et fils de Marilyn McLeod (auteur-compositeur) est intouchable. A l’approche de ses 80 ans, Herbie Hancock (un admirateur de tonton) a bien suivi le travail du petit Steven alias FlyLo. Il est content de constater que dans un milieu plus agité que le jazz moderne, le petit gars de 32 ans est aujourd’hui considéré comme une influence planétaire. Ni une ni deux, papy-piano se refait une jeunesse en collaborant avec son petit jeunot-bidouille qu’il a vu grandir (il se rappelle qu’il était grand comme ça, il trouve que ça pousse vite et qu’il n’y a plus de saison). Impossibilité totale de le trasher parce qu’il a le don d’être excusé même quand il est mauvais : « FlyLo, c’est bien plus que ça, tu sais ». Free jazz n’importe comment dans You’re dead, abstract hyper obscur dans Until The Quiet Comes, il nous a bien eu, le beatmaker chelou.

Todd Terje, inspector cool

Todd TerjeTodd Terje © DR

Avec un tube hédoniste qui dépasse aujourd’hui les 5 millions de vues sur YouTube, Todd Terje pourrait être relégué au rang de « c’est-mainstream-donc-je-chie-dessus » cher à l’intelligentsia. Mais non. Todd Terje est non seulement encore au top dans les cœurs, mais il devient désormais trop facilement la référence lorsque la scène électronique scandinave est évoquée. Conséquence : quelques compatriotes, comme Lindstrom, reviennent sur le devant de la scène, étiquetés space disco made in Scandinavia, alors même qu’ils ont toujours continué à tourner. Pour donner encore un peu plus de coolitude à tout ça, il se prend même à tourner avec un orchestre, The Olsens, aperçus à ses côtés à seulement deux reprises en France (Eurockéennes et Days Off cette année). Car oui, quand on est intouchable, il faut aussi savoir se faire rare.

Mac DeMarco, image de marque

Mac_Demarco_by_Coley_BrowMac DeMarco © Coley Brow

Ne pas se prendre au sérieux, c’est un travail à temps plein, qu’il faut prendre très au sérieux. Le Mac préféré de la planète cool l’a très bien compris et ne manque désormais pas une occasion pour entacher sa pop de burlesque et de potache. Clope au bec, le Canadien peut se permettre toute les facéties de l’artiste excentrique et excessif. On lui pardonne souvent tant l’univers colle à sa musique réconfortante. On ne sait toujours pas si DeMarco est cliniquement atteint de folie où si ses barbecues improvisés en pleine rue sont de savantes opérations de comm’. En tout cas, tout ça ne date pas de sa reconnaissance médiatique. En atteste cette vidéo partagée récemment sur YouTube qui nous montre un ado déjà bien ravagé : « Charlie Brown, pourquoi as-tu violé ce mouton ? »

Nicolas Jaar, Jean-Michel-sans-faute

Nicolas Jaar DRNicolas Jaar © DR

Il est sans doute le roi des Intouchables. Celui à qui on embrasse les orteils chaque matin au réveil. Réussir à écrire les quatre lettres de ce nom sur une affiche de festival est une fierté sans équivalent pour tout programmateur qui se respecte. Avec Floating Points, Four Tet et Daphni (Caribou), Nicolas Jaar fait partie de ce quarté gagnant qui rime avec classe. Alors pourquoi ? Parce que Jaar a tout : une enfance partagée entre plusieurs pays (toujours mieux pour le storytelling), une éducation soignée par des parents très cultivés, un talent de composition hors-norme, une belle gueule, un label (Clown & Sunset) assez bluffant… Que ce soit en solo ou avec son groupe Darkside, Nicolas Jaar est une force tranquille, et les rares critiques qui osent s’attaquer à la masse de bandes originales d’obscurs films d’auteurs qu’il a réalisée passent immédiatement pour des aigris de premier ordre. A vingt-cinq piges et un album déjà essentiel (Space Is Only Noise, 2011), personne ne semble vouloir suivre le rythme.

Chet Faker, prince barbant

G L A S K E W I I P H O T O G R A P H YChet Faker © Gla2

Si Matt Damon revenait de son voyage sur Mars après de longues années d’absence et qu’il fallait lui faire un rattrapage express des nouvelles tendances musicales, il serait bien senti de lui faire écouter quelques titres de Chet Faker (photo en une) : downtempo, flow tantôt soul tantôt R’n’B, mélodies lancinantes agrémentées de cuivres et de nappes électroniques. L’Australien pourrait résumer à lui seul le phénomène « culturel » hipster de ces dernières années. Au delà du prototype vestimentaire et capillaire, Chet Faker produit une musique aussi intemporelle que parfaitement ancrée dans son époque, dans notre époque. On l’adore pour les mêmes raisons qu’on le déteste. Mais on ne peut l’ignorer et faire comme si le phénomène n’existait pas. Le fake n’a jamais été aussi réel.

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