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Frustration : « Vouloir faire du rock pour y arriver ? Oublie tout de suite »

Empires de la honte, pets chauds, Sleaford Mods, sueur, a priori, les membres de Frustration n’ont pas changé de cap avec les années. Contenir sa rage n’a rien de bon dans le civil comme dans un groupe donc ces (déjà) vieux briscards du rock hexagonal préfèrent reprendre les mêmes, recommencer et tout casser. Entretien avec Fred Campo (claviers) et Pat D (basse) du groupe dans leur studio à Mains d’Oeuvres, deux étages en dessous de nos bureaux, à l’occasion de la sortie de leur troisième album. Qui déglingue tout.

Que sont les Empires of Shame, titre du disque ?

Fred Campo : Fabrice écrit tous les textes. Donc c’est lui qui a trouvé le titre d’Empires of Shames qui lui tient à cœur. Si t’écoutes les paroles, il y a des bribes que tu peux retenir : il parle de « Europa in flames », il y a un autre de ses couplets qui dit « Kissing America’s butt. » C’est le fait de vivre une situation de crise actuelle qui est la conséquence de nos actes du passé. On parle ici des sociétés occidentales qui ont colonisé à tour de bras les pays de l’hémisphère sud et qui maintenant se retrouvent avec le le retour de bâton, le retour de manivelle. On se retrouve à dire « non, on ne veut pas de ces gens », mais on a créé la pauvreté dans tous ces pays.

Pat D : C’est le revers de la médaille qu’on se prend en pleine gueule.

Fred Campo : C’est tout ça les empires de la honte. Sans compter les agissements sans foi ni loi, comme les gens qui continuent à ne pas payer d’impôts.

C’est une idée générale qui avait vocation à être déclinée dans les morceaux ?

Fred Campo : C’est pas un concept album, type Pink Floyd. On peut retrouver ça dans « Dreams, Laws, Rights and Duties », qui se comprend littéralement : rêves, lois, droits et devoirs, il faut faire attention à ce qu’on fait. C’est pas juste parce que c’est la loi que tu agis de telle façon, c’est aussi parce que tu as une conscience. Fabrice a tendance à dire qu’il va mieux, ce dont on est contents, parce qu’il y a un moment donné où il n’allait pas bien. En tout cas, il parle de problèmes qui ne le touchent plus lui personnellement, mais plutôt de choses dont il est le témoin. Comme cette crise qu’on vit. On est tous ces témoins alors qu’on devrait en être les acteurs.

https://www.youtube.com/watch?v=vLulx44oClQ

Vous sortez votre troisième album, ce qui est finalement assez peu par rapport au nombre d’années d’activité.

Fred Campo : Ecoute, ceux qui ne nous aiment pas pourraient trouver que c’est beaucoup. On peut dire que c’est peu. Tu sais que c’est pas la quantité qui compte, c’est la qualité.

Entre temps, vous faites quoi ?

Fred Campo : Entre temps, on les rôde ces morceaux. On n’est pas le genre de groupe qui s’enterre en studio pour faire un album. On va en studio quand on sent que l’album est prêt, quand on sent bien les morceaux. Et ça prend du temps. Le jour où tous les cinq on aura un accident d’avion et que notre producteur décidera de sortir les chutes, on aura de quoi faire un triple album.

« Tu te rappelles des maisons de disques qui signaient les bébés rockeurs à la « vas-y que j’t’allonge la thune » ? Bah ils ont eu le syndrome Patrick Fiori de l’explosion en plein vol. »

J’ai rencontré un musicien récemment qui a toujours fait une musique assez bourrine. Mais aujourd’hui, la quarantaine passée, il a carrément calmé sa musique. Il me disait qu’outre le fait qu’il ait largement passé cette quarantaine, il trouvait que dans un monde aussi violent, un peu de calme ne faisait pas de mal. Vous, vous n’êtes pas du tout dans cet état d’esprit ?

Fred Campo : Euh non. Nous, on est très calmes par ailleurs. Mais non. Ça nous permet de faire sortir toute la colère qu’il y a en nous. Ceci dit, quand Fabrice a trouvé le nom Frustration, il est allé chercher la signification dans le dictionnaire et la frustration est un état dont on ne s’accommode pas et dont on fait tout pour pouvoir la ranger. Ce serait un peu ça aussi pour nous de faire de la musique, de ranger notre frustration. C’est pas en jouant des ballades.

Pat D : Il y en a quand même une sur l’album.

Fred Campo : Oui, une ballade que j’écouterais pas au fond d’un bois, tout seul. Ça me ferait bien flipper.

Au Festival Villette Sonique 2016, quand on a vu Jason, le chanteur du groupe anglais Sleaford Mods monter sur scène pour rejoindre Fabrice chanter, on avait l’impression de voir en ce groupe vos frères spirituels. La comparaison vous va ?

Fred Campo : A fond. C’est un groupe qu’on a découvert via nos potes de Blackmail il y a trois ans. Blackmail, ils mixent nos albums depuis un moment. Ils nous ont fait écouter Sleaford Mods en nous disant « écoutez ça les gars, vous allez aimer. » On a écouté le truc et on a dit « ah ouais, direct ! » Pourtant, c’est pas la même musique.

Pat D : Même si tu as une ligne de basse un peu post-punk et quand tu découvres les paroles, tu sens que le mec est ultra-vénère.

frustr

Fred Campo : Ils avaient joué aux Instants Chavirés [à Montreuil]. On les a rencontrés dans les loges et ça s’est super bien passé. Andrew, son truc, c’est Ibiza, la techno. Je crois que Jason il était content de jouer dans un groupe et de faire des dates ensemble.

Pat D : On a répété deux fois avec lui avant au cas où.

Fred Campo : Vu les conditions, on n’a pas fait le morceau qu’on voulait faire et on est resté assez proches du disque pour pas que Jason soit complètement perdu. Mais c’est un super bon souvenir. Pour Fabrice, c’était drôle de se retrouver choriste.

Pat D : Après avoir écouté, on a acheté tous les disques. On était même les derniers à acheter les 45 tours de Jobseeker, c’était les cinq derniers. Maintenant, ça vaut 150 euros sur Discogs.

Vous n’êtes pas blasés de jouer toujours dans des clubs où il y a plus de sueur que d’oxygène ?

Fred Campo : Justement. Regarde la tête qu’il fait (il se marre en me montrant). Tu sais bien qu’il y a la réponse à ta question dans ta question. Bah oui, forcément, c’est ça qu’on aime. Ce qui était chouette à la Villette, y’avait 6000 personnes…

Pat D : … Non, 2000.

Fred Campo : Ah, 2000. Ah.. c’était à Binic 6000!

Pat D : Non, c’était 3000.

Fred Campo : Non, ça faisait 6000, ça allait super loin.

Pat D : Ouais, je regardais la lune à ce moment-là.

Fred Campo : Et ben à la Villette, ça avait beau être grand, ça sentait la sueur et la bière, c’était chouette.

« Born Bad, ça reste le système D. JB, il fait ses cartons tout seul »

Je confirme que c’était le concert où il y a eu le plus de slams.

Fred Campo : C’est possible. C’était la folie.

Vous avez suivi l’évolution des réseaux indépendants, sa professionnalisation aussi. Comment vous avez observé tout ça ?

Fred Campo : C’est pareil, la professionnalisation des réseaux indépendants… Born Bad, depuis le temps qu’on le suit, on n’est pas sûrs qu’ils soit plus professionnalisé que ça. Il suit le mouvement, mais même si on a un tourneur, ça reste quand même le système D.

Born Bad est quand même devenu une petite institution.

Fred Campo : Justement, c’est plutôt les institutions qui sont contentes de récupérer l’underground. Mais pas tant que ça.

Pat D : Le mode de fonctionnement ça reste le même. JB de Born Bad, il est toujours tout seul. Il y a quand même Clarisse [Vallée] qui s’en occupe avec lui, mais il fait ses cartons tout seul. On n’a pas de roadie.

Un Rochelais taré…? Dis plutôt un Rochelais tout seul.

Fred Campo : Ceci dit, on a connu des groupes qui avaient des roadies, et ben, ils existent plus. C’est pas un gage de réussite. Et même je dirais que faut faire gaffe à l’avance sur recettes, tu sais, le truc des maisons de disques qui signaient un moment donné tous ces petits groupes de rock, les bébés rockeurs, à la « vas-y que j’t’allonge la thune », bah les mecs, ils ont eu le syndrome Patrick Fiori de l’explosion en plein vol.

Ouais, enfin après tu peux faire les Enfoirés et Notre Dame de Paris, c’est sympa quand même.

Fred Campo : C’est hyper sympa.

Frustration aura 15 ans l’année prochaine. Comment vous expliquez cette longévité dans un secteur hostile, précaire, aux modes éphémères, alors que le rock est sensé être mort ?

Fred Campo : Tant qu’on fait des morceaux, qu’on est contents de les jouer et qu’entre nous ça se passe bien, parce que c’est aussi ça, on est copains hien. On a joué au Portugal, et on avait loué une baraque avec une piscine et on s’est tous retrouvés autour du barbecue, puis dans la piscine, il y a eu une photo, et ça a fini en photo promo.

Frustration-photos

La photo façon bébé de Nirvana.

Fred Campo : Exactement. Si t’es pas avec des potes, tu ne peux pas supporter le pet froid et les chaussettes sales dans le camion.

Pat D : Un pet chaud plutôt ?

Fred Campo : Bah, au bout d’un moment, ça pue le pet froid quand tu remontes dans le camion.

Pat D : Ah ouais.

OK. Vouloir faire du rock, c’est toujours pas conseillé pour un jeune aujourd’hui ?

Fred Campo : Vouloir faire du rock, c’est toujours conseillé. Faire du rock pour y arriver ? Oublie tout de suite. D’ailleurs vouloir faire quoi que ce soit pour y arriver, laisse tomber.

Vous écoutez tout ce que Born Bad sort ?

Fred Campo : Non, pas vraiment. Les trucs de pop notamment, pas trop comme Gasc, Pimpernel. Après, là ils rééditent El’Blaszczyk, j’ai vu une fois à Pigalle. Je jouais dans l’un de mes premiers groupes, ça s’appelait Steve and the Jerks, je remplaçait le bassiste et j’étais allé voir. Je me souviens des morceaux qui étaient introuvables, que j’avais quand même réussi à trouver à La Rochelle il n’y a pas si longtemps avant que JB ne ressorte le truc. Ça faisait partie des trucs mythiques, des Rochelais tarés.

Pat D : Un Rochelais taré…? Dis plutôt un Rochelais tout seul.

Fred Campo : Ouais avec sa soeur.

frus

Crédit photo en une © Blaise Arnold
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Hugo D. 12.10.2016

Je serai prêt-à-porter

La Bise,

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